Traquer et sanctionner davantage les fraudeurs fiscaux, qui portent un "coup de canif" au pacte républicain: l'Assemblée a entamé lundi, après le Sénat, les débats sur le projet de loi antifraude, qui doit aussi desserrer le "verrou de Bercy".
"Frauder l'impôt, c'est évidemment tout à fait inacceptable, c'est un coup de canif, voire un coup de poignard au pacte républicain", a affirmé le ministre des Comptes publics Gérald Darmanin à l'ouverture des débats en première lecture, dans un hémicycle clairsemé.
Le texte "complète" celui sur le "droit à l'erreur", adopté définitivement fin juillet, qui doit permettre, sous réserve d'être "de bonne foi", d'éviter des sanctions de l'administration au premier manquement, a-t-il affirmé, notant que si l'erreur est humaine, "persévérer est diabolique".
Pour "mieux détecter la fraude" et "mieux la sanctionner", le projet de loi, au menu des députés jusqu'à mercredi avant un vote solennel le 26 septembre, met notamment en place une "police fiscale". Elle sera opérationnelle au 1er juillet 2019, selon le ministre.
Le projet étend aussi la possibilité de rendre publics les noms des fraudeurs (pratique du "name and shame"), prévoit une procédure de plaider-coupable ou encore revoit les règles pour les plateformes en ligne de type Airbnb, avec une transmission automatique des sommes perçues par les utilisateurs. Sur ce point, le gouvernement prévoit, via un amendement, des dispenses en deçà de 3.000 euros par an.
Mesure phare, qui ne figurait pas dans la version initiale du gouvernement: l'aménagement du monopole des poursuites détenu par l'administration fiscale, le fameux "verrou de Bercy". Mis en place dans les années 1920, ce dispositif est critiqué depuis des années notamment par les magistrats et des ONG, qui l'accusent de favoriser une certaine forme d'opacité.
- "Pétard mouillé" -
Les députés ont voté en commission un amendement de la rapporteure Emilie Cariou (LREM), qui va plus loin que ce qu'avait prévu le Sénat début juillet sur ce "verrou", avec un "mécanisme de transmission automatique des dossiers les plus graves". Avec cette question, désormais "réglée", selon le ministre, le nombre de dossiers ainsi transmis au fisc devrait doubler.
Si tous les groupes d'opposition s'accordent sur la nécessité de lutter contre le "poison" de la fraude et que la droite salue globalement un texte qui "va dans le bon sens", certains à gauche le trouvent trop timoré, notamment sur le "verrou" ou la transposition de la liste européenne des paradis fiscaux.
L'Insoumis Eric Coquerel a défendu en vain une motion de renvoi en commission, d'un texte qui ne s'attaque "aucunement à l'évasion fiscale" et risque d'être "une rustine sur un pneu crevé". "Moi, je traverse la rue et je vous trouve tous les jours des montages fiscaux agressifs", a affirmé le député, dans un clin d'oeil aux conseils du chef de l'Etat à un chômeur pendant le week-end.
"La loi tient davantage du pétard mouillé que de la charge au canon", a aussi affirmé le communiste Fabien Roussel, qui avait appelé plus tôt sur Twitter à ne pas "mégoter" face à "100 milliards à récupérer". Petit quizz sur les drapeaux à l'appui avec "les Palaos qui feront partie de la liste et pas la Suisse", l'élu a critiqué le volet sur les paradis fiscaux et demandé pourquoi ne pas "faire sauter complètement" le verrou de Bercy.
Exprimant aussi des bémols, notamment sur le niveau auquel le verrou ne s'appliquerait plus, la cheffe de file des élus PS Valérie Rabault a toutefois annoncé un vote favorable.
Aucune estimation officielle n'existe sur les milliards d'euros d'impôts qui échapperaient chaque année à l'Etat à cause de la fraude - 80 à 100 milliards, selon Solidaires finances publiques. M. Darmanin a annoncé la semaine dernière la mise en place d'un observatoire qui devra produire un chiffrage précis dans un an.