La gauche dépose une motion référendaire sur la réforme des retraites : de quoi parle-t-on ?

La gauche dépose une motion référendaire sur la réforme des retraites : de quoi parle-t-on ?

La gauche du Sénat demande un référendum sur la réforme des retraites. Si sa proposition n’a que très peu de chance d’aboutir, le mécanisme qu’elle enclenche avec cette démarche devrait repousser de plusieurs heures l’examen du projet de loi.
Romain David

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Passé la discussion générale, le second temps fort de l’examen de la réforme des retraites au Sénat se tiendra vendredi à partir de 9h30, avec l’examen d’une motion référendaire soutenue par l’ensemble des groupes de gauche. « Nous porterons avec nos collègues une motion référendaire, l’objectif étant de dire aux Français : puisque c’est votre avenir qui est en cause, nous voulons vous consulter ! », a expliqué Patrick Kanner, le président du groupe socialiste mercredi, à l’occasion d’une conférence de presse lors de laquelle les différents responsables de la gauche sénatoriale ont esquissé les grandes lignes de la stratégie commune qu’ils comptent déployer pour marquer leur opposition au texte. Cette motion a été déposée ce jeudi, en milieu d'après-midi. 

La motion référendaire fait partie de l’arsenal législatif dont disposent les parlementaires pour suspendre l’examen d’un texte. Elle tend à supplanter le débat dans l’hémicycle par un autre mécanisme législatif, celui d’une consultation des Français. L’article 11 de la Constitution permet en effet au Parlement, sur « décision conjointe » des deux chambres, l’Assemblée nationale et le Sénat, de soumettre au président de la République un projet de référendum. Il convient donc que les élus du Palais du Luxembourg et du Palais Bourbon adoptent au préalable la même motion avant que celle-ci ne puisse être présentée au chef de l’Etat.

Une démarche collective

Pour être considérée comme recevable, une motion référendaire doit être signée par au moins un dixième des membres de la chambre qui va l’examiner. Au Sénat, il faut donc un minimum de 30 sénateurs. Par ailleurs, au moins 30 signataires dans la liste des soutiens à la motion doivent se trouver dans l’hémicycle au moment de son dépôt. La motion référendaire que la gauche veut défendre sur les retraites a été initiée par les socialistes, mais un membre du groupe nous expliquait en début de semaine que l’objectif était aussi de faire figurer, parmi les signataires, les noms d’au moins 10 communistes et 10 écologistes, afin de renforcer le poids politique de la démarche.

 

La procédure d’examen d’une motion référendaire est détaillée dans les articles 67 et 68 du règlement du Sénat. Il ne peut être présenté qu’une seule motion référendaire par texte de loi. Les sénateurs ont la possibilité de la déposer jusqu’à la clôture de la discussion générale. Elle doit être débattue en ouverture de la séance suivante, avant la lecture à proprement parler des articles du texte de loi visé. Le débat d’une motion se déroule de la manière suivante, selon des dispositions prévues à l’article 44 du règlement du Sénat : ont le droit à la parole l’un des signataires de la motion, puis un orateur d’opinion contraire, suivi par le président ou le rapporteur de la commission qui a procédé à l’examen préalable du texte de loi, puis un membre du gouvernement.

La motion référendaire sur les retraites devrait être portée à la tribune par Patrick Kanner. Une adoption suspend aussitôt la discussion de la réforme, et la motion concluant au référendum est déposée à l’Assemblée nationale. Le Palais Bourbon dispose alors d’un délai de 30 jours pour l’examiner.

Le dernier mot au président de la République

Si l’Assemblée nationale l'adopte à son tour, cela ne signifie pas pour autant qu’un référendum va pouvoir se tenir. Cette décision appartient au président de la République. S’il accepte de suivre le Parlement, la question qu’il soumettra aux Français devra encore recevoir l’aval du Conseil constitutionnel, chargé de vérifier sa conformité avec l’article 11 de la Constitution qui cadre le recours à ce type de plébiscite : « Le Président de la République […] peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité ». Si le chef de l’Etat retoque la proposition du Parlement, ou que le Conseil constitutionnel a jugé que l’objet de la consultation était non conforme aux champs déterminés par la loi fondamentale, l’examen du texte reprend son cours au Parlement.

Il faut remonter à 2014 pour voir une motion référendaire adoptée par le Sénat, elle concernait le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales. Mais l’Assemblée nationale n’a pas suivi la Chambre haute. « Depuis la première motion référendaire en 1984 sur le projet de loi relatif aux établissements privés, dix motions référendaires ont été examinées au Sénat. Quatre ont été adoptées », nous indiquait une administratrice au Palais du Luxembourg. Mais il n’est jamais arrivé qu’une motion adoptée par le Sénat le soit aussi par l’Assemblée nationale. Par ailleurs, la Chambre basse n’a jamais adopté aucune des huit motions référendaires d’abord examinées dans son enceinte depuis 1958.

Un moyen d’obstruction

Vous l’aurez compris, les chances d’aboutissement de ce dispositif sont particulièrement minces, d’autant plus avec la réforme des retraites, puisque la majorité sénatoriale de droite et du centre est largement acquise au report de l’âge légal de départ de 62 à 64 ans. Dans ces conditions, pourquoi avoir recours à la motion référendaire ? Parce qu’elle est aussi considérée comme un outil d’obstruction parmi d’autres : son examen permet de retarder la lecture du texte, une manière de gagner du temps sur le débat de fond et, dans certains cas, de miser sur la contestation populaire à un projet de réforme pour faire monter l’embarras du côté du gouvernement et de ses soutiens. Par ailleurs, en jouant la carte de la consultation populaire, la gauche renvoie l’exécutif aux accusations d’autoritarisme.

Dans la mesure où la gauche espère un débat sur l’article sept, celui qui allonge la durée du temps de travail, mais entend également empêcher un vote global sur l’ensemble du texte, elle devra redoubler d’astuce pour tantôt contracter, tantôt distendre le temps d’examen jusqu’à la date couperet du 12 mars. À minuit ce soir-là, les débats prendront fin en vertu de l’article 47-1 de la Constitution, déjà activé par l’exécutif à l’Assemblée nationale et qui permet, pour un texte de nature budgétaire, de limiter la durée de la discussion parlementaire.

>> Pour en savoir plus sur l’arsenal parlementaire dont disposent les sénateurs pour bloquer ou suspendre des débats, nous vous invitons à lire notre article : La réforme des retraites arrive au Sénat, tout comprendre aux « motions de procédure »

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