Le printemps marquera-t-il un nouveau tournant dans la guerre en Ukraine ? La rumeur d’une contre-offensive russe grandie, alimentée notamment par des déclarations du président Volodymyr Zelensky : « La Russie est en train de concentrer ses forces, nous le savons tous. Elle veut se venger non seulement de l’Ukraine, mais aussi de l’Europe libre », a-t-il alerté le 2 février, alors que cette guerre s’apprête à rentrer dans sa seconde année. « Offensive majeure ou consolidation des positions russes dans le Dombass ? Il est encore trop tôt pour le dire. Les deux options sont sur la table », a relevé ce vendredi 17 février Bertrand Badie, professeur émérite à Sciences-po et spécialiste des relations internationales, au micro de « Bonjour chez vous », la matinale de Public Sénat.
« Poutine, fin février, s’était lancé dans une guerre de conquête, et dans l’esprit de chacun, il devait être à Kiev en trois ou quatre jours. Cette guerre de conquête a échoué. Au bout d’un an, l’une des plus fortes armées du monde ne contrôle que 18 % du territoire ukrainien, et encore… Il faut y inclure des zones qui étaient déjà sous le contrôle de milices pro-russes. D’ailleurs, depuis 1945, il n’y a pratiquement plus de guerre de conquête qui réussisse alors qu’autrefois, c’était l’ordinaire », note Bertrand Badie.
« Il est tout à fait faux de parler de nouvelle Guerre froide, et tout à fait hasardeux de parler d’une troisième Guerre mondiale »
« Poutine a dû passer d’une guerre de conquête à une guerre de terrorisation sociale. À défaut de pouvoir conquérir l’Ukraine, il terrorise la société ukrainienne à coups de bombardements atroces, Boutcha, Izioum, Marioupol... Là aussi, c’est un deuxième échec, il n’a pas réussi à démoraliser la société ukrainienne et à relâcher sa capacité de résistance », poursuit notre invité. « Cet échec de la guerre sociale l’amène à deux autres sorties : l’une de type diplomatique, complexe, et l’autre militaire qui consiste, à travers un processus d’annexion, à consolider les positions russes sur le territoire ukrainien. »
Pour ce spécialiste, la difficulté à prévoir ce que sera la réaction russe tient aussi au caractère inédit de ce conflit. Bertrand Badie alerte ainsi sur les comparaisons malheureuses : « Il est tout à fait faux de parler de nouvelle Guerre froide, et il est tout à fait hasardeux, et dangereux, de parler d’une troisième Guerre mondiale », explique-t-il.
« La guerre d’Ukraine n’est pas une Guerre mondiale, c’est la première guerre mondialisée. Cela veut dire une guerre dont l’un des principaux effets est celui d‘irradiation sur le monde et sur les différents secteurs de la vie humaine », pointe-t-il. « La guerre militaire est encerclée par une guerre économique et commerciale, mais aussi par des logiques d’exclusion. Exclusion de l’économie mondiale, de la culture, des médias, du sport… C’est quelque chose de totalement nouveau que nous, Européens, vivons de manière particulièrement grave car nous sommes dans cette situation étrange de cobelligérance non belligérante : c’est-à-dire que nous sommes aux côtés des Ukrainiens, mais sans nous battre avec les Ukrainiens. »
La « pression du système international » comme levier de paix
Pour Bertrand Badie, l’inscription de cette conflictualité dans un environnement mondialisé laisse peu d’espoir à la voie diplomatique en raison, notamment, du nombre important d’acteurs plus ou moins impactés par cette crise. « La paix ne viendra pas de la négociation, mais de la pression systémique d’un monde globalisé », explique l’universitaire. « La diplomatie du mégaphone est contre-indiquée dans des situations comme celle-ci, il faut pouvoir s’accorder sur une pression du système international, cette pression sera d’autant plus efficace qu’elle se fera à bas bruit, sans faire perdre la face à quiconque. »