Cette fois, la rupture est consommée. L'ex-candidate socialiste à la présidentielle Ségolène Royal s'estime licenciée de ses fonctions d'ambassadrice des pôles, l'exécutif la sommant de taire ses critiques et envisageant de "mettre fin" à son rôle.
"Il est envisagé de mettre fin à vos fonctions au regard de vos récentes prises de parole publiques, qui mettent en cause la politique du gouvernement à la mise en oeuvre de laquelle, en votre qualité d'ambassadrice (...) vous êtes étroitement associée", ont écrit le 7 janvier à Mme Royal les deux secrétaires généraux du Quai d'Orsay, François Delattre et Emilie Piette, lui rappelant son "devoir de réserve".
"Un prochain Conseil des ministres pourrait examiner le projet de décret mettant fin à vos fonctions d'ambassadrice", ajoute la lettre dont le Canard enchaîné a publié des extraits et que Mme Royal a elle-même publiée mardi sur sa page Facebook.
Sans tenir compte des précautions sémantiques du Quai d'Orsay - emploi du verbe "envisager" et du conditionnel - l'intéressée affirme elle sur le ton catégorique qui lui est familier: "Je comprends par cette lettre que le président de la République va mettre fin à mes fonctions à un prochain Conseil des ministres puisque je n’ai pas l’intention de renoncer à ma liberté d’opinion et d’expression garantis par la Constitution. J’en prends acte".
Alors que le Canard Enchaîné, à paraître mercredi, fait état d'une "convocation" de Mme Royal au Quai d'Orsay pour un "entretien préalable", celle-ci tient à donner sa version des faits: "Je ne suis pas convoquée car le licenciement de cette mission bénévole sur les pôles a déjà eu lieu, sans entretien préalable, comme indiqué dans la lettre" ministérielle, écrit-elle.
Interrogée par l'AFP, Mme Royal n'a pas souhaité faire d'autres commentaires.
Entre l'ambassadrice des pôles et l'exécutif, cela faisait des semaines que le feu couvait. En cause: les vives critiques de l'ex-ministre socialiste envers la politique sociale du gouvernement, Mme Royal n'hésitant pas à fustiger "l'égo machiste" de l'exécutif sur la réforme des retraites. Ou encore, en allusion aux +gilets jaunes+, à parler de "désordre" ou de "sentiment d'abandon absolument réel" chez les Français, qui "ne comprennent plus la cohérence des réformes tous azimuts".
- "Trop, c'est trop" -
Retraites, mais aussi écologie, hôpital, pension du chef de l'Etat (Emmanuel Macron ayant annoncé renoncer à sa retraite de président): Les critiques de Mme Royal fusent depuis son compte Twitter ou dans ses interviews. "Ce qui pèche, aujourd'hui, c'est la concentration du pouvoir entre les mains de quelques-uns qui décident pour 60 millions de Français", assénait-elle récemment, en dénonçant "l'ego machiste" de l'exécutif".
Trop, c'est trop, semble avoir répondu le gouvernement. Mme Royal "critique le gouvernement très fortement depuis quelques semaines, est-ce que c'est bien compatible avec un poste d'ambassadeur qui appelle une certaine réserve? On peut se demander", a tonné le 10 janvier la ministre de la Transition écologique Elisabeth Borne, trois jours après l'envoi de la lettre ministérielle.
La mise en cause de Ségolène Royal a débuté par des soupçons émis par deux députés UDI et LREM, l'accusant d'utiliser l'enveloppe allouée pour ses frais d'ambassadrice à des fins personnelles, par exemple pour la promotion de son livre ("Ce que je peux enfin vous dire", réédité en poche fin 2019).
L'intéressée se défend en pointant que son travail d'ambassadrice est "bénévole". Prévenant la macronie qu'elle ne désarmerait pas, elle avait assuré auprès de l'AFP: "Je continuerai chaque fois que c'est nécessaire. Ils devront s'y habituer".
Pour Daniel Cohn-Bendit, ancien eurodéputé EELV devenu proche d'Emmanuel Macron, qui parle de "vengeance" de la part de Mme Royal, "elle est gonflée. Elle en veut à Macron parce qu'il ne l'a pas proposée comme commissaire de la France à la Commission européenne".
A droite, la vice-présidente LR de l'Assemblée nationale Annie Genevard a défendu la nécessité d'une "parole politique libre", même s'il y a des "éléments à lui reprocher sur son assiduité", notamment au Conseil de l'Arctique.
Pour un cacique socialiste, c'est simple: "Dès que quelqu'un émet la moindre critique contre Macron, il peut être sûr qu'on va trouver une affaire à lui mettre sur le dos".