La justice du « Droit dans le mur » ?

La justice du « Droit dans le mur » ?

Introduite dans le Code civil en 1993, la présomption d’innocence est une notion de droit fondamentale. Pour autant, la présomption d’innocence rime souvent avec celle de la culpabilité alors même que le droit accorde que seule se présume l’innocence, jamais la culpabilité. Si cette dernière doit d’abord être démontrée pour être attestée, elle est parfois induite à la hâte. Quelles menaces pèsent alors sur les droits fondamentaux dans la jonction des termes « présumé » et « coupable » ? A quel point la mise en détention provisoire peut-elle dépendre d’une intuition infondée ? Retour sur l’efficacité de la justice française qui balance sous le poids du glaive.
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La cour des erreurs

Parfois reconnue pour ses excès de zèle et de célérité, la justice agit souvent avec moins d’empressement pour indemniser les préjudicies moraux subis, fruit d’une bévue judiciaire. Pour autant, Virginie Duval, présidente de l’Union Syndicale des Magistrats, nuance l’analogie des termes d’« erreur judiciaire » et de « détention provisoire » trop souvent galvaudée. Elle précise qu’une : « erreur judiciaire c’est quand on a condamné quelqu’un et que c’était une erreur. La détention provisoire n’est pas une peine, on est dans le cours de l’information [judiciaire] même si humainement cela est perçu comme une peine ». Pour autant, cet hygiénisme langagier atténue-t-il les préjudices encourus ? William Bourdon, avocat au barreau de Paris entend résister à ce toilettage terminologique :

« C’est une forme d’erreur judiciaire. Ce n’est pas parce que les gens n’ont pas été condamnés que cette détention provisoire totalement injuste n’a pas créé une forme de mort sociale et professionnelle absolument irréversible avec des dommages irréparables […] Donc c’est une forme de dysfonctionnement de la justice. […] Il y a des juges qui surréagissent et qui du coup convertissent trop malheureusement et avec des effets funestes la présomption d’innocence en présomption de culpabilité comme s’ils craignaient d’être stigmatisés ».

Errare humanum est, perseverare diabolicum

Dans cette comédie humaine, la figure schizophrène du juge qui instruit à charge comme à décharge et diligente les enquêtes, occupe une place souvent questionnée dans l’instruction du dossier. Comme le rappelle Virginie Duval, depuis 2000, seul le juge des libertés et de la détention ordonne la détention. « On a voulu couper le lien entre celui qui mène l’enquête et celui qui prend la décision ». L’image du juge d’instruction a-t-elle été écornée par un panel de bévues judiciaires ? Malgré l’annonce de la suppression de la fonction en 2009 par Nicolas Sarkozy, la réforme n’a jamais abouti. En plus de témoigner de la dépendance du parquet vis-à-vis du pouvoir politique, cette tentative de révision questionne les prérogatives du juge d’instruction. Pour Georges Fenech, membre de la commission des lois de l’Assemblée nationale et secrétaire national Les Républicains à la justice, le véritable enjeu concerne la culture judiciaire française : 

« Nous sommes l’un des derniers pays à avoir ce juge d’instruction qui essaie de faire son travail du mieux qu’il peut et qui endosse une très, très lourde responsabilité dans cette prise de décision avec le juge des libertés et de la détention.. Je pense qu’on doit sortir de cette culture du « tout détention » et de l’aveu ». Cet ancien membre de la commission d’enquête de l’affaire dite d’Outreau relate les arcanes de la procédure : « En réalité, il y a eu soixante magistrats qui se sont penchés sur le dossier. C’est aussi la démonstration de cette procédure inquisitoire et de la solitude du juge d’instruction dans son cabinet. Il va falloir un jour ou l’autre qu’on adopte une procédure d’oralité des débats et de transparence ».

Mais avant un tel remaniement, peut-on résorber le nombre croissant d’individus qui attendent leur procès en prison ? D’après une étude annuelle du Conseil de l’Europe publiée le 14 mars, le nombre de détenus décroit dans un grand nombre de pays européens ce qui laisse à penser qu’il en va de même pour celui des détenus en détention provisoire. La France fait figure d’exception. Comme en témoigne William Bourdon, il est question d’ « une mentalité judiciaire qui n’arrive pas à se métamorphoser, à muter et qui fait du réflexe carcéral le premier réflexe quand il s’agit de prendre une décision et d’opter pour l’alternative. » Loin de ce pessimisme manifeste, Virginie Duval précise néanmoins le caractère exceptionnel de la détention provisoire et revient sur les alternatives envisagées :

« Pour les nécessités de l’enquête, [la personne mise en cause] peut être placée sous contrôle judiciaire. S’il est insuffisant, c’est l’assignation à résidence avec surveillance électronique et, si c’est encore insuffisant, c’est la détention provisoire. C’est-à-dire que la détention provisoire arrive normalement en quatrième position à titre tout à fait exceptionnel. C’est là-dessus qu’il faut insister ».

Alors comment envisager l’avenir ? Georges Fenech suggère une solution radicale pour freiner cette mise en détention préventive parfois abusive. Il propose en effet, de n’autoriser la détention provisoire qu’à partir d’un certain quantum de peine encourue, d’imposer un certain seuil en deçà duquel on ne pourrait pas détenir en préventive.

Peu importe les moyens, pourvu que les plaidoiries concourent à l’idéal de la détention comme l’exception et de la liberté comme la règle.

 

Retrouvez l’émission Un Monde en Docs consacrée à la présomption d'innocence le samedi 1er avril à 22h, le dimanche 2 avril à 9h et le dimanche 9 avril à 18h.

 

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