C’était le premier crash test pour le Parti socialiste, depuis le congrès de Marseille. Le second tour de la législative partielle, en Ariège, a vu avec 60,19 % la victoire de Martine Froger, dissidente PS soutenue notamment par Carole Delga, président PS d’Occitanie et Nicolas Mayer-Rossignol, premier secrétaire délégué du PS, face à Bénédicte Taurine, candidate de LFI, soutenue officiellement par la Nupes, et donc par le PS, qui n’a obtenu que 39,81 % des voix.
Règlement de comptes
Depuis dimanche soir, ce résultat a mis un nouveau coup de projecteur sur les divisions au PS, à coups de communiqués et de tweets rageurs. Avec à la clef, la drôle d’impression d’avoir deux Partis socialistes pour le prix d’un. A peine 20 heures passées, Refondations, le courant de Nicolas Mayer Rossignol, qui a contesté Olivier Faure lors du congrès, lui reprochant de s’effacer derrière LFI, salue par communiqué une « immense victoire » et « une validation de la ligne stratégique de Refondations ». Autre son de cloche, un peu plus tard dans la soirée, quand le premier secrétaire, Olivier Faure, publie un communiqué au titre évocateur : « Un duel de la gauche arbitré par les voix de celles et ceux que la gauche combat au quotidien ». Il souligne l’apport, entre les deux tours, des voix de la candidate Renaissance (10,68 % des voix) et celles… du candidat RN (24,78 %).
La nouvelle députée reçoit aussi les salutations de Stéphane Séjourné, numéro 1 de Renaissance, du ministre du Travail (ex-PS), Olivier Dussopt, et même du député Julien Odoul, porte-parole du RN, qui y voit « une victoire pour la République ! »
Sur les réseaux, ça règle ses comptes. « Quand on est à ce point adulé par les fossoyeurs de nos droits sociaux, peut-on encore se revendiquer de la gauche ? » demande Benjamin Lucas, député Génération. s du groupe écologiste. « Honte à toi », réagit le sénateur PS David Assouline, l’un des responsables de Refondations. « Olivier Faure a obtenu sa réélection à Marseille par la fraude. Ce soir au lieu de saluer la victoire d’une députée socialiste en Ariège, il calomnie et porte une analyse scandaleuse », dénonce de son côté Michaël Delafosse, maire socialiste de Montpellier. En « off », un élu contacté ironise : « Au moins, le résultat est net. 60/40. Il n’y a pas de doute sur le mouvement majoritaire qui s’est exprimé. Ce n’est pas 50,5 %, ce n’est pas un congrès… »
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« L’élection rebat les cartes. Car la Nupes, dominée par LFI, c’est un plafond de verre », selon David Assouline
C’est peu dire que l’équipe de Refondations a peu apprécié le communiqué officiel du parti. « Si Martine Froger n’avait pas été là, c’est le RN qui aurait été là au second tour », corrige David Assouline, soit « l’inverse exact de tout ce qui est propagé comme élément de langage de la LFI, et que certains membres du PS répètent, qui est de calomnier Martine Froger, comme une candidate élue par les voix du RN, comme s’il y avait une quelconque collusion », pointe le sénateur PS de Paris, qui remarque que Bénédicte Taurine a aussi « progressé de 3.000 voix », en cherchant à « ne pas froisser les électeurs du RN » dans l’entre-deux-tours. Il ajoute : « Les électeurs n’appartiennent à personne et les candidats ne sont à juger que par rapport à leur positionnement politique ».
Pour David Assouline, « cette élection est très importante, car elle est un test comme souvent, lors des partielles ». Et pour le sénateur de Paris, les conclusions ne font pas de doute : « Dix mois après juin, on voit qu’une autre union de la gauche est possible, qui permet de gagner, de rassembler, avec un PS plus respecté. Cela rebat les cartes. Car la Nupes, dominée par LFI, c’est un plafond de verre qui permettrait éternellement un face à face entre droite macroniste et le RN ». Il reconnaît que « bien entendu, tous les territoires on leur particularité, mais quand dans un territoire socialiste, historiquement à gauche, c’est la gauche PS qui l’emporte face à la gauche LFI, on peut en tirer quelques conclusions ».
Patrick Kanner, président du groupe PS du Sénat, a lui « pas apprécié le tweet d’Olivier Dussopt », venu s’immiscer dans les affaires de la gauche. « Qu’il balaie devant sa porte. Il est aujourd’hui la source du chaos qui règne en France. Il devrait plutôt s’occuper de sa propre formation politique, qui ne pèse plus rien dans la macronie de droite. Qu’il reste à sa place. La récupération politique, devant quelqu’un qui met le pays dans la tourmente, n’est pas à la hauteur des enjeux », lance le sénateur PS du Nord. Pour le reste, s’il a soutenu activement Refondations, il préfère s’abstenir de commentaire. Mais on voit bien que le sujet est sensible. Et le scrutin de dimanche a remis une pièce dans la machine, dans le débat entre deux stratégies qui s’opposent au sein du PS. « Je suis pour l’union de la gauche, mais me soumettre derrière un seul homme, c’est une erreur, en termes de valeur, et une erreur stratégique et politique », a ainsi réagi dimanche soir Carole Delga.
« Microclimat ariégeois »
A la direction du PS, en cherche à ne pas surinterpréter le sens de l’élection. « Il faut quand même relativiser la chose. Le département de l’Ariège n’est pas du tout représentatif de l’électorat au niveau national. Ce qui reste possible de faire en Occitanie, n’est pas forcément duplicable », selon le sénateur Rémi Cardon, l’un des nouveaux porte-paroles du PS. S’il a « bien compris qu’ils en faisaient un trophée hier soir », le sénateur de la Somme ajoute : « Ce n’est pas un affrontement de stratégie. Ce sont des réalités locales, avec quelqu’un plus investi, qui a eu la chance de récupérer des voix à droite. Il n’y a aucun enseignement à tirer pour la Nupes ».
« Tous les anti-Nupes ont fait de cette élection un enjeu national, alors que c’est en réalité un microclimat ariégeois », y va de son côté Corinne Narassiguin, secrétaire nationale à la coordination et aux moyens du PS, selon qui « tous ceux qui ont essayé d’en faire une question d’enjeu national, se trompent totalement ». Tout juste reconnaît-elle, concernant LFI, « des questions sur leur façon de fonctionner et l’image qu’ils projettent actuellement ». Et les conséquences sur les électeurs.
Reste qu’entre ces deux lignes, qui paraissent presque irréconciliables, le PS perdure dans la division. « Ce sont les cinq mêmes personnes. Il n’y a pas de surprise », tempère Corinne Narassiguin. Mais si elle minimise, la direction du parti n’entend pas en rester là. Quelques comptes vont se régler dès demain, mardi, lors d’un bureau national. « A mon avis, ça va être chaud », lâche un socialiste tendance Refondations. Chaud surtout pour Nicolas Mayer-Rossignol ?
Nicolas Mayer Rossignol devrait « tirer les conséquences » de la situation, selon Corinne Narassiguin
« On ne peut pas continuer à exprimer des avis majoritaires et prétendre être dans la direction du parti. Ce n’est pas possible. Maintenant, on est allé au bout de tout cela. Il y aura une discussion au bureau national demain soir, sur ce que veut dire avoir des instances nationales qui prennent des décisions », prévient Corinne Narassiguin. Elle parle de la décision du Conseil national du parti, entérinant le 11 mars le soutient du parti à Bénédicte Taurine. « Il y a des gens qui ont besoin de cohérence avec eux-mêmes, et peut-être qu’il faudra les aider à l’être… » glisse cette proche d’Olivier Faure, qui soutient que le maire de Rouen devrait « tirer les conséquences » de la situation. Corinne Narassiguin continue : « Si Nicolas Mayer Rossignol était cohérent avec lui-même, il aurait déjà constaté qu’il ne pouvait pas être premier secrétaire délégué. Le protocole de Marseille était conditionné à ce que les décisions importantes soient tranchées par les instances nationales, quand il n’y a pas de consensus au sein de la direction. Et ensuite, chacun respecte les décisions majoritaires ». Et de prévenir :
Je ne vais pas parler à la place d’Olivier Faure, mais il est tout à fait capable de faire acte d’autorité si c’est nécessaire.
« Il faut juste comprendre que le congrès est terminé »
L’impression qui ressort, c’est un PS qui n’arrive pas à tourner la page d’un congrès au résultat très serré et contesté. « Si chacun fait son communiqué à chaque fois, on ne va pas avancer. A ce rythme-là, on fragilise le PS. Et ce n’est pas nous », soutient Rémi Cardon, pour qui « il faut juste comprendre que le congrès est terminé ». « Il y en a qui ont continué à jouer le congrès jusqu’à la législative de l’Ariège. C’était dans la continuité », constate Corinne Narassiguin, qui craint que le résultat « va probablement les relancer ».
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Pour David Assouline, ce n’est pas Refondations qui divise le PS, « c’est l’inverse. Nous, on joue les électeurs. Et eux on fait un communiqué pour reprendre mot pour mot les éléments de langage donné par LFI. Et ils continuent d’aller dans le mur d’une ligne sectaire et suiviste, qui ne permet aucune perspective à l’union. Nous, nous sommes simplement d’accord avec Fabien Roussel, (numéro 1 du PCF, ndlr) pour un élargissement de la base d’union de la gauche ». Le responsable communiste estime que « la Nupes est dépassée », voulant unir jusqu’à Bernard Cazeneuve, qui a quitté le PS.
« J’aurai un peu de mal à comprendre comment elle espère être dans le groupe PS »
Les socialistes auront une autre question, très concrète, à régler rapidement : où va siéger Martine Froger ? La députée élue a dit à France Bleu qu’elle comptait « demander au président du groupe, Boris Vallaud » de « siéger dans le groupe socialiste », mais, précision importante, « sans adhérer à la Nupes ». Premier élément de réponse : « Ce soir, l’union de la gauche comme l’intergroupe de la Nupes à l’Assemblée nationale perdent une députée », a dit le communiqué du PS dimanche soir, formulation qui ne ferme cependant pas totalement la porte.
Mais pour Corinne Narassiguin, l’issue semble faire peu de doute. « Elle-même a dit qu’elle n’avait rien à voir avec la Nupes. Donc j’aurai un peu de mal à comprendre comment elle espère être dans le groupe PS », affirme la secrétaire nationale, qui pense qu’« elle fait une demande pour nous pousser à refuser et nous le reprocher… » Pour l’heure, Boris Vallaud, contacté, n’a pas souhaité réagir. Le sujet sera assurément évoqué demain lors de la réunion de groupe. On sait déjà que Valérie Rabault, députée PS du Tarn-et-Garonne, « souhaite que Martine Frogier rejoigne le groupe PS. Elle est socialiste, elle y a toute sa place », soutient-elle. En cas de refus, la socialiste pourra toujours imiter Laurent Panifous, autre député de l’Ariège, également socialiste dissident, parti siéger au sein du groupe Liot. Mais avec 31 députés pour le groupe PS, un député de plus ne serait pas un député de trop.