« Là, nous sommes en train de toucher le fond » : au Sénat, le clivage gauche droite réactivé par le visa étrangers malades 

La majorité sénatoriale de droite et du centre a obtenu un durcissement des conditions d’accueil des étrangers gravement malades, sans solution de soins dans leur pays. Furieuse, la gauche a voulu rappeler les origines de ce dispositif, initialement destiné à soigner des personnes porteuses du VIH.
Romain David

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Les discussions se poursuivent au Sénat, ce mardi 7 novembre, autour du projet de loi immigration. Les élus ont examiné nombre d’articles additionnels, ajoutés par la commission des lois avant le premier article du texte présenté par le gouvernement, et visant dans l’ensemble à durcir les conditions d’accès au territoire français. Ils ont ainsi adopté, en début d’après-midi, un renforcement des conditions d’accès au titre de séjour « étranger malade », qui permet d’accueillir un étranger qui, souffrant d’une maladie grave, ne pourrait pas se faire soigner dans son pays. Les élus, sous l’impulsion de la majorité sénatoriale de droite et du centre, ont ainsi remplacé les modalités actuellement en vigueur– à savoir le défaut d’accès aux soins – par le critère plus restrictif d’absence de traitement dans le pays d’origine.

Les « montants exceptionnellement élevés » des soins

« C’est un titre de séjour qui n’existe quasiment qu’en France, nous sommes le seul pays à considérer que nous avons vocation à soigner les personnes qui estimeraient ne pas pouvoir le faire convenablement à travers le monde », a pointé le rapporteur centriste Philippe Bonnecarrère. Le dispositif concerne en moyenne 4 000 étrangers par an. Le sénateur a évoqué les « montants exceptionnellement élevés » des soins accordés, refusant toutefois de citer les chiffres – consultables dans un rapport de l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII) – pour ne pas nourrir de polémique sur les réseaux sociaux. Ce qui a aussitôt fait sortir de ses gonds le sénateur Reconquête Stéphane Ravier, qui s’est engagé à se saisir de ces données pour en faire « l’écho le plus large », car « ce coût est financé par les Français, sur leurs impôts, leurs cotisations ».

Les débats autour de cette mesure n’ont pas manqué de faire tourner à plein l’opposition gauche/droite, une sorte de mise en bouche avant d’entrer plus en avant dans un projet de loi particulièrement clivant. Et ce malgré le fait que les modalités d’encadrement que la majorité sénatoriale veut mettre en place étaient déjà celles en vigueur entre 2011 et 2016. « Sans déplaire, me semble-t-il, aux deux majorités qui se sont succédé dans cet intervalle à la tête du pays », a relevé la rapporteur LR Muriel Jourda.

« Nous pouvons être fiers en France d’avoir offert à des personnes qui allaient crever une solution humanitaire et sanitaire »

« L’adoption d’un tel dispositif n’empêchera certainement pas les personnes malades de migrer avec l’espoir d’être soignée dès lors que les soins ne sont pas accessibles dans leur pays d’origine. Rendre l’accès à la procédure aussi contraignant reviendra simplement à laisser sur notre territoire des personnes malades, en situation irrégulière, avec toutes les conséquences sanitaires que cela implique », a estimé le sénateur RDSE André Guiol.

Patrick Kanner, le patron des sénateurs socialistes, a voulu rappeler l’origine du titre de séjour « étrangers malades », mis en place dans les années 1990 face à l’épidémie de VIH/Sida, et reprenant une disposition qui figurait déjà dans l’ordonnance du 2 novembre 1945. « Là, nous sommes en train de toucher le fond au niveau des mesures de dureté portées par la majorité sénatoriale, en tous cas, par une partie de cette majorité sénatoriale », a regretté l’élu du Nord, dénonçant une vision « déshumanisée », en rupture selon lui avec la tradition d’accueil de la France.

« Nous pouvons être fiers en France d’avoir offert à des personnes qui allaient crever une solution humanitaire et sanitaire digne d’une forme de solidarité universelle. En ayant produit cet article, vous considérez qu’il faut tourner le dos à ce qui a été notre histoire », a-t-il tempêté.

« Il y a des dérives et des dérapages »

La sénatrice écologiste Mélanie Vogel a tenu à apporter quelques précisions sur le coût des traitements. « Une des conditions pour pouvoir accéder à ce visa, c’est que votre vie soit en danger. Quand votre vie est en danger, ce sont des traitements qui coûtent un peu plus cher qu’un Doliprane ou une aspirine. Nous n’avons pas fait un visa pour jambe cassée ou entorse au poignet. Ce sont des cas VIH, des cancers, des phases terminales … Et cela coûte cher », s’est-elle agacée. Le dispositif imaginé par la commission des lois exclut toute prise en charge par l’assurance maladie et implique que celle-ci se fasse dans le cadre d’un accord avec les services sociaux du pays d’origine.

Le sénateur LR Roger Karoutchi, a estimé que ce titre de séjour n’était plus vraiment adapté au contexte actuel. « J’entends bien ce qui a été dit sur les origines de ce texte […] Cela n’est plus le cas aujourd’hui, et même les gens du conseil d’administration de l’OFII disent qu’il y a des dérives et des dérapages », a-t-il plaidé.

En face, le gouvernement a opté pour une position de « sagesse ». « Le titre de séjour étranger malade n’est pas à rejeter en soi d’un revers de main. Il concerne peu de gens, il est un peu différent de ce qui a été imaginé jadis », a reconnu Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur. Sur ce point, il a indiqué vouloir attendre de connaitre la position de l’Assemblée nationale, où le texte sera examiné début décembre.

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