Le gouvernement a-t-il voulu trop bien faire au risque d’oublier les principes de l’Etat de droit ? La décision du 29 janvier rendu par le Conseil Constitutionnel vient rappeler à l’exécutif l’article 66 de la Constitution selon lequel : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. - L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ».
Presque un an après son entrée en vigueur, les Sages de la rue Montpensier viennent censurer définitivement l’article 15 d’une ordonnance du 25 mars 2020, prise sur le fondement de la loi d’habilitation de l’état d’urgence du 23 mars 2020. Ce texte autorisait la prolongation de toutes les mesures de détention provisoire ou d’assignation à résidence sous surveillance électronique, sans passer par le contrôle d’un juge.
Comment expliquer un tel retard ? Rappelons ici que la loi organique d’urgence du 23 mars avait suspendu les délais de recours d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) jusqu’au 30 juin 2020. C’est à cette date que Conseil d’État ou la Cour de cassation pouvaient se prononcer sur le renvoi d’une QPC (voir notre article).
La crainte des vices de procédures
Pour comprendre les motivations du gouvernement dans la rédaction d’une telle ordonnance, replongeons-nous dans le contexte de l’époque. Le confinement généralisé annoncé par Emmanuel Macron le 12 mars, fait craindre des perturbations dans les juridictions pénales. Ne pouvant statuer dans les délais légaux, la justice risquait de relâcher dans la nature des détenus placés sous mandat de dépôt.
Cette inquiétude transparaît dans les débats du Sénat de l’époque. « À défaut d’ordonnances prises dans des délais extrêmement brefs, des vices de procédure pourraient apparaître, et nous assisterions à la remise en liberté de certains détenus », s’inquiétait la sénatrice centriste, Nathalie Goulet lors de l’examen du projet de loi d’urgence le 19 mars dernier.
« Cette ordonnance est un véritable fiasco »
« L’habilitation donnée au gouvernement ne posait pas en soi de problème tant que la prolongation de la détention provisoire était faite sous contrôle du pouvoir judiciaire et dans la mesure où une détention arrivait au bout des délais légaux. Ce n’est pas ce qu’a fait la Chancellerie. Cette ordonnance est un véritable fiasco », note Katia Dubreuil, présidente du Syndicat de la magistrature, qui s’est joint à la question prioritaire de constitutionnalité à l’origine de la décision du Conseil.
Les délais de la détention provisoire de personnes présumées innocentes dans l’attente de leur jugement sont en effet très encadrés. Par exemple, en matière délictuelle, le mandat de dépôt est de 4 mois renouvelable dans la limite d’un an.
L’ordonnance du 25 mars prolongeait « de plein droit » de 2 à 6 mois, selon la gravité de l’infraction, l’ensemble des détentions provisoires. En application de l’article 15 de cette même ordonnance les prolongations de détention provisoire décidées pendant la période de l’état d’urgence sanitaire continuaient à s’appliquer malgré la fin de celui-ci.
Saisi en référé le 3 avril, le Conseil d’Etat, qui n’avait pas pris la peine de tenir audience, avait jugé que l’ordonnance garantissait les droits et libertés des personnes en détention provisoire ».
Le sénateur PS Jean-Pierre Sueur se dit aujourd’hui satisfait de la décision du Conseil Constitutionnel. « Elle rejoint nos débats de l’époque. Nous avions dit avec énormément de clarté que la prolongation de la détention provisoire était contraire aux fondements de la Justice ».
Un rapport du Sénat pointait l’inconstitutionnalité et l’inconventionnalité de l’ordonnance
En effet, dès le 11 mai, lors de l’examen du projet de loi de prolongation de l’Etat d’urgence, le Sénat avait mis un terme aux prolongations des détentions de plein droit et sans débat contradictoire. « Par définition, la détention provisoire concerne des personnes qui n’ont pas été jugées et qui restent donc présumées innocentes. Il est donc essentiel de revenir rapidement, s’agissant de ces personnes, à l’application des règles de droit commun » précisait Philippe Bas, rapporteur LR du texte.
Dans un rapport sénatorial sur le suivi de l’Etat d’urgence de juillet dernier, la commission des lois du Sénat regrettait que « la Chancellerie n’ait pas été en mesure de lui communiquer le nombre de personnes ayant vu leur détention provisoire prolongée sur la base de l’article 16 de l’ordonnance n° 2020-303 ».
Avant même la décision du Conseil Constitutionnel, les sénateurs pointaient la constitutionnalité « incertaine » de l’ordonnance. « La prolongation de plein droit sans intervention explicite du juge des libertés et de la détention était une atteinte disproportionnée aux libertés, dont les conséquences pratiques semblent heureusement circonscrites » écrivaient-ils. De même, le rapport du Sénat rappelait la position de la chambre criminelle de la Cour de Cassation qui s’appuyait sur l’article 5.3 de la Convention européenne des droits de l’homme, selon lequel toute personne « arrêtée ou détenue [notamment celles placées en détention provisoire] doit être aussitôt traduite devant un juge […] et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libéré pendant la procédure ». « Une interprétation apparemment inverse de celle du Conseil d’État » relevaient sobrement les élus.