A quelques heures de l’examen du budget de la sécurité sociale à l’Assemblée nationale, le gouvernement s’engage à ce qu’il n’y ait pas de déremboursement des médicaments en 2025, accédant à une demande du Rassemblement national.
La question prioritaire de constitutionnalité a 10 ans : quel bilan ?
Par Public Sénat
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On connaissait 2020 comme l’année de Gaulle avec un triple anniversaire. 2020 est également un anniversaire symbolique pour la Constitution, texte fondateur de la Ve République. Voici 10 ans que s’applique l’un de ses articles introduits par la réforme de 2008 : la question prioritaire de constitutionnalité, également connue sous son sigle de QPC. Ces trois lettres, entrées dans le quotidien des Français le 1er mars 2010, sont synonymes d’un droit supplémentaire pour les citoyens. Elles sont aussi à la base de nouvelles avancées pour les libertés individuelles. L’assistance effective d’un avocat lors d’une garde à vue ? C’est grâce à une QPC portant sur le Code de procédure pénale en 2010. Le principe de fraternité consacré en 2018 par le Conseil constitutionnel, en pleine affaire Herrou sur l’aide humanitaire à des migrants ? Là encore, une QPC en est à l’origine.
Comment fonctionne cette question, que l’on peut déposer au cours de toute instance ? Elle permet à tout justiciable de contester la conformité à la Constitution d’une loi, à l’occasion d’un procès, lorsqu’il estime qu’un texte porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution. Tous les domaines du droit sont concernés, mais seuls les textes votés par le Parlement peuvent faire l’objet de cette contestation (pas les actes administratifs). Exception faite des dispositions qui ont déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. La question doit par ailleurs présenter un « caractère sérieux ». La recevabilité de la question est examinée par le juge du fond (celui qui juge les faits), qui décide ensuite de faire suivre ou non la demande à la Cour de cassation (pour l’ordre judiciaire) ou au Conseil d’Etat (pour l’ordre administratif) pour un deuxième examen. Le filtre est donc double avant que la question ne soit transmise au Conseil constitutionnel.
Une non-conformité à la Constitution, partielle ou totale, dans un cas sur trois
Dans l’attente de sa décision – il dispose de trois mois maximums pour se prononcer – la procédure est suspendue. Dans le cas où la disposition contestée est déclarée inconstitutionnelle, elle ne peut plus s’appliquer dans le procès en cours, et elle devra être abrogée, selon un délai fixé par le Conseil constitutionnel. Sur 740 décisions rendues depuis le 28 mai 2010, environ un tiers des dispositions législatives étudiées sont jugées contraires à la Constitution (la non-conformité est seulement partielle dans deux cas sur trois).
La portée de la réforme constitutionnelle de 2008 est inédite. Avant elle, le citoyen était écarté du contrôle de constitutionnalité. Seules les deux têtes de l’exécutif, les deux présidents des assemblées et un groupe de 60 parlementaires pouvaient saisir le Conseil constitutionnel, et seulement avant la promulgation d’une loi. La temporalité du contrôle a évolué. « La QPC doit être soulevée à l’occasion d’un procès. L’intervention du Conseil constitutionnel ne se situe pas à l’intérieur de la procédure parlementaire mais à l’intérieur de la procédure juridictionnelle », relève le constitutionnaliste Dominique Rousseau.
« La QPC a produit beaucoup de changements dans les mentalités », selon Dominique Rousseau
La QPC a également profondément changé notre regard sur la Constitution. « Jusqu’en 2008, la culture juridique française était une culture de la loi, la loi comme expression de la volonté générale et fabriquée par le Parlement. Avec la QPC, on est passé à une culture de la Constitution : la loi n’exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution », nous explique Dominique Rousseau. Benjamin Morel, maître de conférences en Droit public à l’Université Paris II Panthéon-Assas, y voit une « évolution conceptuelle ». « La vraie sécurité juridique se gagne avant tout par la garantie des droits fondamentaux », analyse-t-il.
On le voit, les conséquences de la QPC, à la fois concrètes et culturelles, sont bien réelles. « En 10 ans, elle a produit beaucoup de changements dans les mentalités. On peut aussi dire pas assez, mais ça ne fait que dix ans ! Et ce, dans un pays très réfractaire au contrôle de constitutionnalité des lois, à l’idée qu’il y ait quelque chose au-dessus du Parlement, de la loi. Tous les éléments montrent qu’en 10 ans, le progrès a été très important », considère Dominique Rousseau.
Par voie de conséquence, la réforme a révolutionné le rôle du Conseil constitutionnel. Son actuel président, Laurent Fabius, parlait d’ailleurs d’une « révolution de velours » en mars, au sujet de la mise en place des QPC. « Il y a une juridictionnalisation du Conseil constitutionnel », relève Benjamin Morel. Une salle d’audience a justement été installée. Mais le parallèle avec les cours constitutionnelles, comme il en existe dans des Etats fédéraux, s’arrête là, en l’absence de magistrats. « On est dans une sorte d’entre-deux, avec une juridictionnalisation qui est assumée, mise en avant par le Conseil constitutionnel, mais qui ne correspond pas tout à fait à son rôle envisagé par la Constitution », ajoute-t-il.
« Le Conseil constitutionnel, c’est une petite PME »
Dix ans après, quelles remarques tirer de ce nouveau droit, encore jeune à l’échelle de l’âge de la Ve République ? Un comité scientifique pour les 10 ans de la QPC a été lancé par le Conseil constitutionnel, mettant à contribution des chercheurs indépendants, dans un champ pluridisciplinaire. L’étude confirme que « les plus vulnérables ou les plus modestes accèdent difficilement » à leurs portes. A moins que des structures d’intérêt soutiennent des justiciables. Bien souvent, les requérants dans les QPC sont des personnes morales, des associations, des entreprises. Cela est lié au coût élevé de la procédure, en termes de frais d’avocats.
Dès lors, quelles évolutions pourraient améliorer la procédure ou le fonctionnement du Conseil constitutionnel ? Selon Benjamin Morel, des « marges de progression » existent, probablement « techniques » mais « qui peuvent conduire à de vraies évolutions ». En moyenne, six à sept QPC sont étudiées par mois : 80 % des décisions prises par les sages de la rue de Montpensier concernent une QPC. Du point de vue des améliorations susceptibles de renforcer la procédure de la QPC, Benjamin Morel estime que des questions peuvent se poser sur l’étape du filtre. Mais le Conseil constitutionnel pourrait-il suivre ? « Probablement oui, mais pas beaucoup plus. Il y a une question de moyens. Le Conseil constitutionnel, c’est une petite PME », rappelle-t-il. Pour « massifier » le contrôle, la question de moyens supplémentaires est donc inévitable. Il suggère de faire passer le nombre de membres de 9 à 12. Dominique Rousseau estime que le niveau pourrait même être relevé jusqu’à 15, pour se rapprocher des standards internationaux. « Je propose aussi de permettre à chaque membre du Conseil constitutionnel d’être aidés par des assistants juridiques, qu’ils pourraient recruter eux-mêmes, pour les aider dans l’instruction et la rédaction de leurs décisions », ajoute Dominique Rousseau.
Vers une cour constitutionnelle ?
La composition du Conseil constitutionnel, face aux nouvelles missions assumées depuis dix ans, est, elle, aussi interrogée. « Il faut exfiltrer les anciens présidents de la République de la République, ça devient problématique pour la légitimité », note Benjamin Morel. Dominique Rousseau recommande la même évolution. Les deux plaident aussi pour une réforme des nominations des membres du Conseil constitutionnel (actuellement désignés par le président de la République et les présidents des deux assemblées), afin de faciliter l’émergence de personnalités consensuelles et reconnues pour leur expertise juridique. Dominique Rousseau propose une désignation par le Parlement à la majorité des trois cinquièmes.
Sur les audiences, Benjamin Morel estime par ailleurs qu’une réflexion doit être menée sur le rôle du gouvernement. « Lorsqu’il y a une QPC, le gouvernement intervient. A travers le secrétariat général du gouvernement, il se fait le défenseur de la loi », rappelle-t-il. Le SGG est notamment chargé de préparer les observations qui seront présentées au nom du Premier ministre, lorsque la constitutionnalité d’une loi est contestée. La manière dont est organisée la procédure appelle aussi à des clarifications, selon Dominique Rousseau. « Le moment est venu, étant donné la fonction occupée par le Conseil constitutionnel, d’élaborer un Code de procédure constitutionnelle, comme il existe un Code de procédure pénale, de procédure administrative. Il faut poser le principe du jugement impartial, du contradictoire, des droits de la défense : ces règles doivent être organisées au sein d’un tel code », encourage le constitutionnaliste.
Autant de réformes de potentielles qui pourraient déboucher sur une autre évolution, sémantique. « Si on fait les transformations dont je parle, à ce moment-là, le Conseil constitutionnel pourrait devenir une Cour constitutionnelle à l’égal des autres cours constitutionnelles », résume Dominique Rousseau.
À l’occasion des dix ans de la QPC, les chaînes parlementaires Public Sénat et LCP-AN proposent une programmation spéciale, en partenariat avec le Conseil constitutionnel. Le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, sera l’invité spécial de la matinale Bonjour chez vous à 8h20. LCP-AN diffusera en direct l’émission QPC 2020 - 10 ans de questions citoyennes de 9h à 11h, un rendez-vous auquel participeront Emmanuel Macron, le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, ou encore le président de la Cour européenne des Droits de l’homme Robert Spano.
A 18h, Public Sénat diffusera le documentaire « A la conquête d’un droit, la genèse de la QPC », de Richard Berthollet. Le documentaire sera suivi d’une émission spéciale de 18h30 à 19h30 présentée par Rebecca Fitoussi. Nous débattrons avec Jean-Louis Debré (président du Conseil constitutionnel de 2007 à 2016), François-Noël Buffet (président LR de la commission des lois du Sénat), Bertrand Mathieu (professeur de droit constitutionnel) et Cédric Herrou, qui avait déposé une QPC après avoir arrêté en 2016 pour avoir aidé des migrants à passer la frontière franco-italienne.