L’hémicycle du Sénat

La reconnaissance des personnes condamnées pour homosexualité adoptée au Sénat, sans les réparations financières

La proposition de loi qui visait à reconnaître et réparer la criminalisation de l’homosexualité en vigueur en France durant quarante ans a été amendée par la droite, qui a tenu à retirer l’idée de réparations financière, invoquant la complexité d’une telle mesure.
Hugo Ruaud

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C’est une victoire au goût amer pour les défenseurs initiaux du projet de loi. Par 221 voix contre 116, le Sénat a adopté l’amendement du rapporteur de la commission des lois, Francis Szpiner, désavouant l’idée initiale de la proposition de loi du sénateur socialiste Hussein Bourgi.

L’idée initiale était, comme c’est le cas dans certains pays européens, à l’instar l’Espagne ou l’Allemagne, non seulement de reconnaître les politiques de criminalisation de l’homosexualité en France entre 1942 et 1982, mais également de réparer financièrement les dizaines de milliers de personnes condamnées. Le 22 novembre, seule la première partie du projet de loi a été adoptée. « Avec une reconnaissance sans réparation, on ne franchit que la moitié du chemin. Soyons cohérents jusqu’au bout », a insisté Hussein Bourgi quelques minutes avant le vote.

Car durant 40 ans, en France, les homosexuels étaient discriminés devant la loi : le régime de Vichy a instauré en août 1942 une distinction entre homosexuels et hétérosexuels dans l’âge légal du consentement, en pénalisant les relations homosexuelles incluant une personne mineure sur le plan civil, mais majeure sur le plan sexuel. Cette loi, qui revenait à appliquer une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, est restée en vigueur après la libération, jusqu’à son abrogation, en 1982.

 

Le texte dénaturé

 

Durant plusieurs décennies, des homosexuels ont pâti de cette discrimination, qui les a parfois mis au ban de la société : « Je pense en particulier à un brillant avocat du Nord qui avait réussi le concours du barreau. Du fait de sa condamnation, il a fini sa vie comme surveillant dans l’internat d’un lycée. Des révocations de la fonction publique ont aussi été prononcées, de même que des licenciements », a soutenu à la tribune la sénatrice socialiste Audrey Linkenheld.

La semaine dernière, Hussein Bourgi se montrait optimiste quant à l’adoption du texte. « Je persiste à penser que c’est un sujet suffisamment consensuel pour réunir toutes les bonnes volontés de l’hémicycle » avançait-il. Pourtant, dès l’examen du texte en commission, le rapporteur Francis Szpiner a rejeté la proposition de loi afin de « la laisser intacte pour l’examen en séance publique ».  « La commission, avec l’accord de son président, pourrait déposer pour la séance un texte consensuel indiquant que la République reconnaît l’existence de cette discrimination de 1945 à 1982, ainsi que les souffrances qui en ont découlé », avait suggéré le sénateur de droite. C’est ce qu’il s’est passé le 22 novembre, où la majorité sénatoriale a amendé l’article premier de la proposition de loi de Hussein Bourgi pour retirer du texte toute exigence de réparation des dommages, avant de voter contre les quatre autres articles du texte, suivie par les deux tiers des sénateurs.

 

Le gouvernement est resté neutre

 

Plusieurs raisons ont motivé le choix Francis Szpiner, qui ne remet pas en cause « la nature discriminatoire de la répression » dont ont été victimes les homosexuels au XXe siècle. Cependant, selon le sénateur de Paris, « ces souffrances ont souvent été causées non pas par la loi, mais par certains éléments extérieurs ». De même, Francis Szpiner a avancé la hardiesse de réparer financièrement les victimes de cette loi, tant par la « complexité » du calcul des indemnisations que par la difficulté « à rassembler des preuves plus de quarante ans après la condamnation », et donc à évaluer le nombre de personnes concernées. D’autant plus, toujours selon le même sénateur, que les lois d’amnisties adoptées en France dans les années 1980 rendent caduc le principe de réparation.  « Je suis donc contre la réparation pécuniaire, mais pour la réparation symbolique, c’est-à-dire l’affirmation de la faute de la République et la reconnaissance de sa responsabilité, en modifiant l’article unique » s’est justifié le Francis Szpiner.

 

En vain, ses adversaires de gauche se sont succédé à la tribune de l’hémicycle pour tenter de convaincre leurs pairs de se ranger de leur côté : « C’est un peu facile de rejeter la faute sur la société », a par exemple rétorqué le communiste Ian Brossat, pour contester l’argumentation de Francis Szpiner. Mais sans le soutien explicite du gouvernement, qui s’est contenté, par la voix de d’Eric Dupond-Morreti, d’exprimer des avis de sagesse, l’argumentation des sénateurs de gauche est restée sans effet.

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