Proposition de loi relative a la
La ministre française de la Culture, Rachida Dati, prend une tasse de thé lors du débat sur le projet de loi portant réforme de l'audiovisuel public et de la souveraineté audiovisuelle au Sénat.

La réforme de l’audiovisuel public adoptée dans la douleur au Sénat : retour en 5 actes sur des débats électriques

EN VIDÉOS - Les élus ont adopté la mise en place d’une holding « exécutive » pour chapeauter France Télévisions, Radio France et l'Ina (Institut national de l'audiovisuel). Après des échanges tendus et face à « l'obstruction » des oppositions, le gouvernement à choisi d’activer le « vote bloqué », une manœuvre constitutionnelle vilipendée par la gauche.
Romain David

Temps de lecture :

9 min

Publié le

Mis à jour le

Il y a longtemps que l’examen d’un texte au Sénat n’avait plus suscité autant de remous. Ce vendredi, la session parlementaire s’est achevée dans une certaine confusion avec l’adoption pour le moins chaotique de la réforme de l’audiovisuel public. Décriée par la gauche, la proposition de loi du sénateur centriste Laurent Lafon, devenue l’un des chevaux de bataille de la ministre de la Culture, Rachida Dati, prévoit de réunir dans une holding « exécutive » France Télévisions, Radio France et l’Ina (Institut national de l’audiovisuel), sous la houlette d’un unique président-directeur général.

Au-delà de leurs craintes pour l’indépendance et les moyens financiers à disposition des rédactions, les groupes d’opposition ont vu dans le retour express de ce texte au Sénat, quelques jours seulement après son rejet surprise par l’Assemblée nationale, la main de Rachida Dati. La ministre a été attaquée à plusieurs reprises pour son « agenda politique ». In fine, c’est l’activation du « vote bloqué », un mécanisme de rationalisation des débats prévu par la Constitution, qui a permis de mener la discussion à son terme, au grand désarroi des groupes de gauche. L’épisode devrait laisser quelques traces dans un Palais du Luxembourg habitué à des échanges bien plus feutrés.

1er acte : la ministre prise pour cible

Dès l’ouverture de la discussion générale jeudi après-midi, lors de laquelle le gouvernement et le rapporteur présentent le texte, avant que des orateurs n’expriment la position des différents groupes politiques, la ministre a été prise à partie depuis la tribune par plusieurs élus de gauche. De quoi donner le ton des débats. La plupart ont ciblé ses ambitions parisiennes, et sa volonté de faire aboutir cette réforme avant la campagne des municipales. « Par caprice vous avez décidé de tout faire voler en éclat pour votre bon plaisir et nous voilà face à des délais qui vont au-delà du raisonnable », lui a lancé la socialiste Colombe Brossel.

À plusieurs reprises, les affaires judiciaires dont Rachida Dati est la cible ont été évoquées. « Les scandales, les soupçons de corruption et de conflit d’intérêts ont émaillé tous les gouvernements jusqu’à la ministre en face de moi », a pointé Guillaume Gontard, chef de file des sénateurs écologiste. Son homologue Cécile Cukierman n’a pas mâché ses mots : « Vous multipliez les procédures bâillons à l’encontre des journalistes et des médias qui font leur travail. Vous êtes, et vous le savez, visée par une litanie d’enquêtes et nous devrions croire à votre sincérité morale quand vous affirmez vouloir renforcer l’indépendance de l’information ? Soyons sérieux », a-t-elle tancé.

2e acte : accrochage avec les élus parisiens

« Vous vous attaquez à ma personne, souvent de manière très indigne », a répondu Rachida Dati à ses détracteurs. Mais c’est surtout avec les élus parisiens que le ton est monté. Notamment une série d’accrochages entre la ministre, qui reste maire du VIIe arrondissement de Paris, et la sénatrice socialiste Marie-Pierre de la Gontrie, également élue dans la capitale. Plusieurs interpellations se sont faites hors micro, mais elles ont donné lieu à des rappels au règlement. « Madame de la Gontrie, vos conseils sur la vie, le travail… Je pense qu’il y a une vraie différence entre vous et moi, s’agissant de la connaissance des classes populaires notamment », lui a lancé Rachida Dati. L’ancienne ministre socialiste, Laurence Rossignol, a pris la défense de sa collègue, accusant la locataire de la rue de Valois de faire du « délit de patronyme ».

Un peu plus tard, la tension a encore grimpé d’un cran, toujours entre Rachida Dati et Marie-Pierre de la Gontrie. « La ministre de la Culture a utilisé à mon égard l’insulte de raciste, je demande qu’elle retire son propos et qu’il soit consciencieusement consigné au procès-verbal officiel de la séance », a accusé la sénatrice. Alors que le président Xavier Iacovelli proposait de lui donner la parole pour réplique, Rachida Dati n’a pas souhaité répondre.

3e acte : la gauche retarde l’examen des amendements

Dans l’après-midi de jeudi, alors que les élus étaient en train d’examiner l’une des trois motions de rejet du texte déposées par la gauche, les débats se sont totalement enlisés sur des questions de procédure. Ce sont les socialistes qui ont mis le feu aux poudres en demandant une vérification du quorum. Peu usitée, et non sans arrière-pensées, cette procédure consiste à vérifier qu’un nombre suffisant d’élus siègent pour garantir la sincérité des scrutins.

Au bout d’une heure de suspension de séance, et considérant que les rangs de la majorité sénatoriale de droite et du centre étaient toujours très dégarnis, la gauche a demandé une seconde vérification du quorum. Refus cette fois du président de séance, le centriste Loïc Hervé, qui motive sa décision en citant un arbitrage du Bureau du Sénat – l’organe de direction de la Chambre haute – remontant à 2006, et selon lequel il n’est pas possible de procéder à plus d’une demande de quorum par séance. Pourtant, le règlement du Sénat, révisé en 2015, n’est pas aussi explicite. Ce flou a donné lieu à d’âpres débats sur la hiérarchie des normes au Palais du Luxembourg.

À plusieurs reprises, la gauche a accusé la droite de privilégier « le droit coutumier » sur les textes qui organisent le fonctionnement interne de cette assemblée. Les échanges ont même fini par dévier sur le port de la cravate, un impératif dans l’hémicycle. « Rien n’indique qu’il faut porter la cravate, ce serait de l’ordre de l’usage ; on a pris des risques sanitaires en portant la cravate dans cet hémicycle par temps de canicule. C’est simplement un usage, ce qui veut dire que si l’un d’entre nous l’enlève, il ne se passera rien. Pourtant, j’ai été longtemps convaincu que le Sénat s’effondrerait si nous arrivions sans cravate », a raillé l’écologiste Ronan Dantec.

En face, la droite n’a pas manqué d’accuser à plusieurs reprises la gauche de faire de l’obstruction parlementaire. « J’entends dire que vous êtes pressés d’avoir ce débat sur l’audiovisuel public, mais je constate que tout est fait pour essayer de contourner ce débat et de l’éviter », a regretté le rapporteur LR Cédric Vial.

4e acte : le gouvernement active « le vote bloqué »

À la fin de la première journée d’examen, seuls 27 amendements sur les 330 déposés avaient pu être examinés, laissant craindre que le texte ne s’embourbe totalement, alors que la session parlementaire est supposée s’achever vendredi, à minuit, avant la coupure estivale. À la reprise des discussions dans la matinée, la gauche a continué de multiplier les interventions sur chaque amendement. Après une demi-heure de débats autour de mesures destinées à assurer l’indépendance et la liberté éditoriale des différentes sociétés de l’audiovisuel public, la ministre de la Culture prend la parole. « À ce rythme, il faudrait 70 heures de débat pour aller au bout du texte. Force est de constater qu’à nouveau, il y a un souhait, notamment de la gauche, d’empêcher le Parlement de se prononcer », a-t-elle déclaré.

Rachida Dati annonce alors l’activation par le gouvernement du « vote bloqué », prévu par le 3e alinéa de l’article 44 de la Constitution, un mécanisme qui n’avait plus été utilisé depuis 2023 et la réforme des retraites. Ce « 49-3 sénatorial », selon la formule de certains élus, permet au gouvernement de ne retenir que les amendements de son choix et de demander au Sénat un vote unique sur l’ensemble du texte, et non plus article par article. De quoi accélérer drastiquement la discussion.

5e acte : la gauche quitte l’hémicycle

Après une nouvelle série de suspensions de séance, la gauche n’a pas eu de mots assez durs pour dénoncer la « confiscation du débat ». Le communiste Pierre Ouzoulias a évoqué « les droits des parlementaires bafoués par le gouvernement avec la complicité de la majorité sénatoriale ». « La proposition de loi n’a pas été discutée à l’Assemblée nationale, après une manœuvre montée entre la ministre et une partie du RN, il n’y a pas eu de débat en commission et pas de débat en séance au Sénat et on parle de liberté de la presse ! Commencez déjà par respecter les droits du Parlement pour prouver vos intentions », a taclé la sénatrice socialiste Laurence Rossignol.

Les parlementaires ont été jusqu’à laisser entendre que l’activation du « vote bloqué » s’était faite sans consultation du président du Sénat, Gérard Larcher, ou du Premier ministre François Bayrou. Finalement, c’est Guillaume Gontard, le président du groupe écologiste, qui annonce le départ des élus de gauche : « Le spectacle que vous nous offrez aujourd’hui est particulièrement lamentable, on est face à un effondrement démocratique, un effondrement de nos institutions », s’est-il emporté. « Pas de débats, pas de possibilité d’échanges… La seule chose qui nous reste, c’est de quitter cet hémicycle. Mesdames et Messieurs les censeurs, bonsoir ! »

Dans une assemblée vidée de ses oppositions, l’examen des amendements conservés par le gouvernement a été expédié en moins d’une heure. La gauche n’a repris place que pour procéder au vote final. In fine, le texte a été adopté en fin d’après-midi par 194 voix contre 113, grâce au soutien de la droite et des centristes. En revanche, la quasi-totalité du groupe Les Indépendants, qui rassemble les soutiens d’Edouard Philippe, mais aussi une large partie des élus RDPI, les macronistes du Sénat, se sont abstenus. La réforme doit à présent repasser à l’Assemblée nationale, probablement à l’automne, là aussi pour une seconde lecture qui s’annonce au moins aussi mouvementée que celle du Sénat.

Partager cet article

Dans la même thématique

vote
2min

Parlementaire

La réforme de l’audiovisuel public adoptée par le Sénat à l’issue de débats particulièrement houleux

Le Sénat a adopté en seconde lecture, vendredi 11 juillet, la réforme de l’audiovisuel public, un texte qui prévoit de rassembler dans une même holding France Télévisions, Radio France et l’INA. Les débats ont été marqués par les tentatives d’obstruction parlementaire de la gauche, poussant le gouvernement à déclencher un « vote bloqué » sur l'ensemble du texte.

Le

rachida
6min

Parlementaire

Attaques contre Rachida Dati et obstruction parlementaire : les débats sur l’audiovisuel public patinent au Sénat

La réforme de l’audiovisuel public ira-t-elle au bout de sa seconde lecture au Sénat ? La gauche sénatoriale, fermement opposée à cette proposition de loi soutenue par Rachida Dati, a multiplié les manœuvres parlementaires pour ralentir l'examen de ce texte jeudi. Un véritable supplice chinois pour la ministre de la Culture et la majorité sénatoriale de droite et du centre, alors que la session parlementaire est supposée s’arrêter vendredi soir.

Le

La réforme de l’audiovisuel public adoptée dans la douleur au Sénat : retour en 5 actes sur des débats électriques
5min

Parlementaire

Marchés publics : un rapport sénatorial dénonce un « recours massif » de l’Etat aux GAFAM

Le rapport de la commission d’enquête sur la commande publique met en lumière un déficit de pilotage de l’Etat en la matière. Les sénateurs appellent à utiliser ce « levier » de souveraineté en déclinant des mesures de l’échelon des collectivités à l’échelon européen. Ce travail pourrait donner lieu à deux propositions de loi à la rentrée.

Le

La réforme de l’audiovisuel public adoptée dans la douleur au Sénat : retour en 5 actes sur des débats électriques
1min

Parlementaire

Le Sénat rend hommage à Olivier Marleix

En préambule des questions d’actualités au gouvernement, le président Gérard Larcher a rendu hommage au député Les Républicains, Olivier Marleix, retrouvé mort à son domicile lundi. Il a rappelé l’engagement du député « marqué par le gaullisme ». François Bayrou a également salué la mémoire d’Olivier Marleix.

Le