La réouverture des maisons closes proposée par le RN : « En France, on n’achète pas le corps des femmes », rappelle Laurence Rossignol

Au plein cœur du débat budgétaire, une information quelque peu décalée avec l’actualité est sortie dans le journal Le Monde. Le député RN, Jean-Philippe Tanguy prépare une proposition de loi visant à permettre aux prostitué(e) s d’exercer leur activité sous forme de coopérative dans des « maisons closes ». L’ancienne ministre des droits des femmes, qui a porté la loi de 2016 sur la pénalisation des clients, Laurence Rossignol dénonce la volonté du RN de « vouloir légaliser l’achat de services sexuels ».
Simon Barbarit

Temps de lecture :

7 min

Publié le

Mis à jour le

Lundi, en plein cœur de l’après-midi, l’actualité du côté de l’Assemblée nationale portait surtout sur les chances de voir le budget de la Sécurité Sociale être adopté par les députés dans les 24 heures à venir. C’est à ce moment-là, que le quotidien Le Monde publiait une information exclusive et quelque peu décalée avec les enjeux du moment. « Le RN veut rouvrir des maisons closes tenues par les prostituées », titre l’article.

« Les maisons closes, ce n’est pas la priorité des Français, ni du RN »

C’est le député RN, Jean-Philippe Tanguy qui prépare un texte en ce sens. Ce ne serait pas des maisons closes d’avant-guerre, mais des établissements gérés par les prostituées elles-mêmes sous forme de coopératives. Pour Jean-Philippe Tanguy, qui assure avoir le soutien de Marine Le Pen sur ce texte, les prostituées seraient ainsi « impératrices en leur royaume », comme « une forme de revanche », rapporte Le Monde.

« Les maisons closes, ce n’est pas la priorité des Français, ni du RN », tempère pourtant le sénateur Rassemblement national, Joshua Hochart. L’élu du Nord renvoie la responsabilité de ce timing à la presse. « Le contexte, c’est une discussion qui date d’un mois en commission des finances sur l’idée d’une taxation de l’industrie de la pornographie. La discussion s’est ensuite ouverte sur les maisons closes. Je ne sais pas pourquoi Le Monde a choisi de publier l’info lundi et de la présenter comme une priorité du RN alors nous risquons de ne pas avoir de budget ».

Presque 10 ans après la loi de 2016 visant à pénaliser les clients de la prostitution, l’information a toutefois vivement interpellé la sénatrice socialiste, Laurence Rossignol qui avait porté le texte lorsqu’elle était ministre des droits des femmes. « Ce que propose le Rassemblement national, c’est de légaliser de nouveau l’achat de services sexuels […] c’est l’inverse de ce que la France a choisi. En France, on n’achète pas le corps des femmes, on ne loue pas, on ne vend pas. On a de bonnes raisons d’avoir posé ce principe car tant qu’on pourra acheter, louer ou vendre le corps des femmes, l’égalité entre les femmes et les hommes sera impossible », a-t-elle souligné.

Rappelons qu’en France, comme dans beaucoup d’autres pays dans le monde, l’activité prostitutionnelle en elle-même n’est pas sanctionnée. La loi du 13 avril 2016 a instauré la pénalisation des clients, une infraction punie d’une amende de 1 500 euros, l’amende et qui peut aller jusqu’à 3 750 euros en cas de récidive. Le texte a aussi aboli le délit de racolage passif, adopté sous Nicolas Sarkozy. Quant aux maisons closes, elles sont interdites en France depuis 1946 et la loi Marthe Richard, ancienne prostituée, espionne et conseillère municipale de Paris.

« On ne peut pas dire que les services de l’Etat se mobilisent pour faire appliquer la loi »

Les failles dans l’application du système prohibitiste français sont néanmoins régulièrement pointées du doigt. En 2021, la délégation aux droits des femmes du Sénat soulignait, dans une lettre ouverte au gouvernement, que depuis 2016, seulement 1 300 « clients » sont verbalisés chaque année, avec 50 % des procédures en région parisienne.

De même, en cinq ans, 2 % des personnes prostituées avaient eu recours au dispositif d’aide financière à l’insertion sociale et professionnelle (AFIS), proposée aux personnes prostituées en parcours de reconversion, introduit par la loi.

« On ne peut pas dire que les services de l’Etat se mobilisent pour faire appliquer la loi », confirme la présidente de la délégation aux droits des femmes, Dominique Vérien (centriste). En 2026, la délégation organisera une table ronde pour faire le bilan de l’application de la loi, 10 ans après sa promulgation.

Concernant, la proposition du RN, la sénatrice y voit une volonté de faire « le buzz ». « Je n’imagine pas de coopérative de prostituées sans l’immixtion de la mafia. Il faut regarder ce qu’il se passe en Allemagne où les maisons closes sont autorisées, le risque de dérive est plus fort que la protection. »

« En Allemagne, c’est documenté. Vous avez 400 000 femmes prostituées. 1,5 million de clients. Une banalisation totale de la prostitution, les bordels font partie des documents touristiques. Et il n’y a pas moins de violences de clients à l’égard des prostituées », confirme Laurence Rossignol.

Il n’en demeure pas moins que l’idée d’une évolution législative traverse les clivages. L’année dernière, c’est le député LR, Philippe Juvin qui déposait une proposition de loi « visant à sécuriser les droits des personnes qui se prostituent pour garantir un exercice plus sûr ».

L’efficacité de la loi de 2016 en question ?

Un clivage qui traverse également la délégation aux droits des femmes. « Soyons clairs, pour avoir beaucoup travaillé sur le sujet, les maisons closes, ce n’est pas une ne demande des travailleurs du sexe. C’est une demande de clients. En revanche, les travailleurs du sexe demandent à rentrer dans le droit commun », indique la sénatrice écologiste, Anne Souyris, vice-présidente de la délégation aux droits des femmes. L’élu de Paris plaide pour changement de législation coconstruite avec les associations. Le 13 avril 2026, Anne Souyris organisera un colloque au Sénat sur les pistes de réformes de la loi de 2016. « C’était une loi dont le but était de protéger les femmes. Je doute fort que ce soit le cas. Car nous ne sommes pas sans un système qui renforce les droits des travailleurs du sexe. C’est un système qui les oblige à se camoufler », relève-t-elle.

La sénatrice, à l’instar de Philippe Juvin, voudrait retravailler la notion juridique de proxénétisme, « trop large », selon elle. Le député LR propose, lui, d’adjoindre à la définition de proxénétisme, les notions de contrainte et de profit anormal. Dépénaliser les parties tierces qui ne commettent pas « d’abus », comme un conjoint ou un bailleur est en effet, l’une des principales revendications du mouvement TDS (travailleurs du sexe).

« Vous avez tout un tas de lobbies qui explique que les travailleurs du sexe ont choisi leur métier et sont totalement libres. Mais c’est une minorité. En réalité vous avez de plus en plus de filles esclavagisées et de plus en plus de mineurs », balaye Dominique Vérien. Une grande partie mineurs placés sous la garde de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) sont victimes de la prostitution.

En 2022, la Belgique avait adopté une loi pour sortir la prostitution de l’illégalité et qui accorde aux personnes prostituées les mêmes droits que les travailleurs indépendants. Une loi qui peine à montrer son efficacité. Comme le rapporte la RTBF, neuf mois après son entrée en vigueur, « seule une poignée de personnes bénéficieraient des premiers contrats de travailleurs du sexe ».

 

Partager cet article

Pour aller plus loin

Dans la même thématique

La réouverture des maisons closes proposée par le RN : « En France, on n’achète pas le corps des femmes », rappelle Laurence Rossignol
4min

Politique

Budget de la Sécu : « Ce n'est pas un budget de gauche, c'est un budget qui inclut des demandes du PS », estime Clément Beaune

Le gouvernement tentera de faire adopter le budget de la Sécurité sociale à l’Assemblée nationale ce mardi 9 décembre. Le vote s’annonce serré, même si Sébastien Lecornu devrait pouvoir compter sur les voix des députés socialistes, à qui Olivier Faure a demandé d’approuver le PLFSS. « On est capable d’avoir un PS qui se détache de la gauche radicale et de LFI », salue Clément Beaune, haut-commissaire à la stratégie et au plan.

Le

La réouverture des maisons closes proposée par le RN : « En France, on n’achète pas le corps des femmes », rappelle Laurence Rossignol
2min

Politique

Écologie : le Sénat confirme les coupes budgétaires dans le Fonds Vert

Malgré la protestation de la gauche et de certains élus de la majorité sénatoriale, le Sénat n’a pas touché au coup de rabot prévu par le gouvernement sur le Fonds Vert, qui sert à financer la transition écologique des collectivités. De 2,5 milliards en 2024, le budget du Fonds Vert est donc passé à 650 millions en 2026.

Le

Paris: Weekly session of questions to the government at the National Assembly
9min

Politique

« C’est la survie de notre famille qui se joue » : l’union des droites avec le RN travaille les LR

Alors que Nicolas Sarkozy n’appellera pas au front républicain et que Bruno Retailleau défend l’union des droites « par les urnes », la question d’un possible rapprochement des LR avec le RN divise encore. La ligne reste au rejet de tout accord d’appareils, plusieurs parlementaires craignant pour « la survie » des LR en cas de fusion-absorption avec le RN. Mais certains sont prêts à se laisser tenter.

Le