« La France est désormais le premier État à introduire en Europe une taxation des géants du numérique », s’est réjoui le ministre de l’Économie et des Finances. Alors qu’hier les États-Unis ont lancé une enquête contre la France, la loi de taxation des GAFA a été définitivement adoptée au Sénat, ce jeudi. Cette taxe de 3 % sur le chiffre d’affaires des plus gros acteurs du numérique concerne une trentaine d’entreprises du numérique réalisant 750 millions d’euros de chiffre d’affaires, dont 25 millions en France. Le gouvernement espère pouvoir obtenir un rendement de 500 millions d’euros par an, une goutte d’eau par rapport aux 560 milliards de chiffre d’affaires dégagés par les GAFA en 2017, dans le monde.
La taxe s'inspire directement de la proposition de directive de la Commission européenne concernant le système commun de taxe sur les services numériques. La directive avait été bloquée à cause de l’opposition de plusieurs pays européens, comme l’Irlande qui accueille les sièges de nombreux géants du numérique.
Faisant cavalier seul sur ce terrain, la France s’est donc attiré les foudres des États-Unis. « Le président (des États-Unis) nous a demandé d’enquêter sur les effets de cette législation et de déterminer si elle est discriminante ou déraisonnable et pèse sur le commerce des États-Unis », a déclaré le représentant américain pour le commerce, Robert Lighthizer. Une enquête est donc lancée contre la France. Cette procédure, ouverte au titre de l’article 301 de la loi de 1974 sur le commerce, permettrait aux États-Unis d’imposer des droits de douane ou de prendre des mesures de rétorsion visant la France.
Une première dans l’histoire des relations entre les États-Unis et la France
« Les Américains ont choisi la voie de cette section 301 et la voie de la menace. Je ne pense pas que ce soit la bonne voie entre alliés et je pense que nous pouvons régler ces différends autrement », a réagi Bruno Le Maire rappelant au passage que la France est « un État souverain » qui « décide souverainement de sa fiscalité ». Le ministre de l’Économie a également souligné que cet incident constitue une première dans l’histoire des relations entre les États-Unis et la France. « Il existe d’autres moyens, entre alliés, de régler nos différends que par la menace », tance Bruno Le Maire.
Au Sénat, cet épisode laisse un brin circonspect. « Il ne faudrait pas que les conséquences économiques, que pourrait avoir cette décision, excèdent les bénéfices dont le rendement demeure à ce jour assez incertain », prévient Albéric de Montgolfier (LR), le rapporteur du projet de loi. La commission des Finances du Sénat avait émis de sérieuses réserves sur les volets juridiques et financiers lors de l’examen du projet de loi. Le Sénat s’inquiète notamment du fait que le gouvernement n’ait pas notifié son projet de loi à la Commission européenne. Albéric de Montgolfier a d’ailleurs porté un article pour que le gouvernement informe le Parlement des raisons de ce refus.
Le Sénat s'inquiète de la constitutionnalité de la taxe GAFA
Sur le plateau de Sénat 360, Philippe Dominati déplore le fait que Bruno Le Maire ait renoncé à consulter le Conseil constitutionnel. Le sénateur rappelle que « le dernier couac gouvernemental » - qui concernait la taxe sur les dividendes des 300 plus grandes entreprises françaises, instaurée par François Hollande - avait contraint l’État à rembourser « 6 milliards d’euros » à ces mêmes entreprises, après que le Conseil constitutionnel a invalidé la « taxe dividendes ». « Ça risque d’être exactement le cas pour les mêmes raisons constitutionnelles, à partir du moment où l’on cible de façon très précise des sociétés, on a ce risque », s’alarme-t-il
Sur le volet financier, la droite sénatoriale craint notamment que ce projet de loi empiète sur les objectifs du gouvernement concernant la baisse de l’impôt sur les sociétés. L’article 2 du projet de loi revient, en effet, sur la baisse de l’impôt sur les sociétés (IS) pour les grandes entreprises. Une mesure dérogatoire qui répond à l’impératif de financer les mesures en faveur du pouvoir d’achat prises en réponse au mouvement des gilets jaunes, en décembre dernier. Certains sénateurs craignent que le gouvernement se condamne à ne pas respecter l’objectif de ramener à 25 % le taux d’imposition pour les sociétés, « ce qui serait très dommageable pour notre compétitivité et pour la confiance des entreprises », selon Albéric de Montgolfier.
« La solution internationale est la seule solution possible à terme »
Taxe GAFA : « Il ne faudrait pas que les conséquences économiques, que pourrait avoir cette décision, excèdent les bénéfices dont le rendement demeure à ce jour assez incertain », prévient Albéric de Montgolfier (LR)
Pour la sénatrice Génération.s, Sophie Taillé-Polian, cette taxe au contraire ne va pas assez loin. « La taxe dite GAFA représente, malgré son petit rendement prévu, un symbole important. Je crois que la réaction des États-Unis le montre et nous invite à mettre en œuvre avec force cette taxe », nuance-t-elle. Finalement, la menace des États-Unis aura, d’une certaine manière, facilité une entente de circonstance entre les sénateurs et la majorité. Albéric de Montgolfier affirme toutefois que la réaction des Américains « montre que la solution internationale est la seule solution possible à terme ».
La taxe sur les services numériques aura une durée limitée, jusqu'au 1er janvier 2022. Comme l’a rappelé le ministre de l’Économie, des négociations sont en cours entre les pays l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). Si aucun accord ne sortait de ces négociations, il serait « toujours possible de prolonger la taxe », précisent les sénateurs « J’appelle chacun, notamment nos alliés américains, à travailler avec plus d’ardeur pour trouver une solution internationale sur la taxation du numérique », a lancé bravache Bruno Le Maire.
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