C’est un des totems de la gauche pour le budget 2026 et l’une des bêtes noires du gouvernement Bayrou : la taxe Zucman, qui propose de taxer à 2 % les patrimoines au-delà de 100 millions d’euros.
Cette taxe, imaginée par l’économiste français Gabriel Zucman, a été adoptée par les députés au sein d’une proposition de loi écologiste le 20 février dernier. Selon les calculs de son auteur, elle concernerait 1 800 personnes et permettrait de rapporter entre 15 et 25 milliards d’euros par an. Dans un contexte budgétaire contraint, les partis de gauche y voient une solution pour renflouer les caisses de l’Etat. Ce qui n’est pas le cas des sénateurs, qui l’ont rejetée quelques mois plus tard, le 12 juin.
Hier, c’est le Premier ministre en sursis qui a enterré la mesure demandée par la gauche. Interrogé en direct sur quatre chaînes d’informations (BFMTV, franceinfo, CNews et LCI), François Bayrou s’est résolument exprimé contre cette taxe, qu’il juge « inconstitutionnelle ». « C’est une menace sur les investissements en France », a-t-il ajouté.
La taxe Zucman, « confiscatoire » ?
Cet argumentaire est également celui de la majorité sénatoriale de droite et du centre, au moment de l’examen du texte par la Chambre haute. La taxe Zucman serait « confiscatoire », car elle instaure un taux d’imposition plancher de 2 %, sans fixer de plafond. Dans le rapport de la commission des finances, on peut lire : « Le Conseil constitutionnel serait […] amené à censurer un taux marginal d’imposition sur le patrimoine situé entre 0,5 % et 1,8 % s’il n’était pas assorti d’un dispositif de plafonnement sur les revenus. En ne prévoyant aucun plafonnement et en fixant un taux d’imposition à 2 %, l’impôt plancher sur la fortune s’expose à la censure du juge de la rue Montpensier ».
De plus, selon les sénateurs opposés au dispositif, ce dernier risquerait de contraindre des particuliers à liquider leur patrimoine pour faire face à la taxe.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel consacre en effet le principe d’égalité devant la charge publique. Ce dernier prévoit que « l’impôt ne doit pas revêtir un caractère confiscatoire ou faire peser sur les contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives ». La taxe Zucman contrevient-elle effectivement à ce principe ? « Il ne faut pas priver l’individu de la totalité de ses moyens », explique la constitutionnaliste Anne-Charlène Bezzina à Public Sénat, « or, la notion de ‘confiscatoire’est très politique, on ne sait pas exactement ce qu’est le niveau d’une confiscation ».
Des questions de ce genre sont souvent posées au Conseil constitutionnel, notamment en 2013, lorsque François Hollande a voulu taxer à 75 % des très hauts revenus. Le Conseil constitutionnel, suivi ensuite par le Conseil d’Etat, avait alors statué que, pour ne pas être confiscatoire, un taux marginal maximal d’imposition sur le revenu ne devait pas dépasser les deux-tiers, soit environ 66,66 %. Cela avait conduit à une adaptation du dispositif, avant sa suppression en 2015.
Le Conseil constitutionnel explique que, pour statuer sur une telle question, il prend en compte trois aspects : la « raison d’intérêt général en rapport direct avec la loi » qui justifierait une différence de traitement, le « caractère objectif et rationnel des critères qui fondent la différence de traitement » et une « éventuelle rupture manifeste d’égalité devant les charges publiques ». « Le Conseil a une approche la moins politique possible », explique Anne-Charlène Bezzina, « il ne distingue pas juridiquement les éléments qui pèsent sur le revenu. A ce titre, la taxe Zucman peut risquer d’être inconstitutionnelle ».
« Ce que dit François Bayrou, ce n’est pas complètement hors des clous de la logique du Conseil constitutionnel »
Un autre risque d’inconstitutionnalité pèse sur le dispositif : l’assiette. « Le Conseil constitutionnel, au moment de la taxe à 75 %, a dit qu’elle était calculée sur une seule personne alors que l’impôt sur le revenu est calculé sur le foyer fiscal, et que cela créait une inégalité entre personnes et foyer et que cela devenait confiscatoire. Dans ce sens-là, ce que dit François Bayrou sur la taxe Zucman n’est pas complètement hors des clous de la logique du Conseil constitutionnel », explique la juriste. « Si elle frappe le patrimoine, va-t-elle frapper une seule personne, des foyers, … ? Comment va-t-on globaliser tout ça sur une seule personne ? » s’interroge-t-elle.
La taxe Zucman « rétablit » l’égalité devant l’impôt ?
L’économiste à l’origine du dispositif, sur X, a répondu point par point aux critiques du Premier ministre. « Qui peut sérieusement évoquer un risque de ‘confiscation’quand on parle d’un impôt maintenant un socle de 100 millions ? », a-t-il écrit.
Les défenseurs de la taxe arguent également qu’un tel impôt contribuerait à « rétablir » le principe d’égalité devant l’impôt, consacré par la Constitution. Pour étayer leurs arguments, les partisans de la taxe Zucman citent une étude de l’Institut des Politiques publiques, rattaché à la Paris School of economics, de juin 2023. Les chercheurs mettent en évidence que, pour les 0,1 % les plus riches, le taux d’imposition effectif devient dégressif, c’est-à-dire qu’il diminue alors que le revenu grandit. Il passe de 46 % pour les 0,1 % les plus riches à 26 % pour les 0,0002 %.
« Ce résultat s’explique par un changement dans la composition des revenus au sommet de la distribution. Ceux-ci passent d’une majorité de revenus imposables à l’impôt sur le revenu à une majorité de revenus sous la forme de bénéfices de sociétés non distribués aux foyers fiscaux qui les contrôlent, imposables à l’impôt sur les sociétés. En conséquence, les taux d’imposition effectifs à l’impôt sur le revenu diminuent en pourcentage du revenu économique global pour atteindre environ 2 % parmi le top 0,001 % », peut-on lire dans l’étude.
« La conception de la justice fiscale et de l’égalité n’est jamais la même d’une année sur l’autre, politiquement et juridiquement », observe la constitutionnaliste, « on peut avoir une taxe du type ‘robin des bois’, mais constitutionnellement, ça ne veut pas dire grand-chose ».
Peut-on vraiment taxer les « ultra-riches » ?
Mais alors, si un taux d’imposition plus élevé sur les grandes fortunes risque la censure du Conseil constitutionnel, est-il vraiment possible, en l’état du droit, de taxer les « ultra-riches », comme le demande la gauche ? « Tout est affaire de proportionnalité. Le Conseil va regarder qu’on n’étouffe pas la capacité d’investissement et de revenu des grandes fortunes. Il ne faut pas que ce soient elles qui contribuent exclusivement », explique Anne-Charlène Bezzina, « il faut laisser du revenu disponible et être cohérent avec les bases imposables et avec les éléments juridiques non politiques ».
Quoi qu’il en soit, si des insécurités juridiques pèsent sur le dispositif, « le Conseil constitutionnel n’a pas émis d’avis sur la taxe Zucman », rappelle-t-elle.