Il est un peu plus d’une heure du matin quand le ton monte au Sénat, lors de l’examen d’une proposition de loi de Max Brisson sur « l’École de la liberté, de l’égalité des chances et de la laïcité. » Si l’auteur LR de la proposition de loi s’attendait à un débat « clivant », mais « noble », sur des sujets aussi brûlants pour les connaisseurs de l’Education nationale que l’autonomie des établissements, il met aussi en cause « quelques dérapages et propos un peu insupportables, parce qu’il n’y a pas de racistes sur ces bancs. »
« C’est la 4ème fois qu’on en débat en 4 ans, cela devient une véritable obsession »
En cause, l’intervention de Thomas Dossus (voir la vidéo ci-dessus), accusant la droite sénatoriale « d’instrumentaliser une nouvelle fois la laïcité pour discriminer nos compatriotes de confession musulmane avec ce petit fumet de racisme permanent qui entoure vos propositions pour la laïcité. » Le sénateur écologiste s’opposait à la proposition de la majorité sénatoriale de rendre la neutralité religieuse qui incombe aux dépositaires du service public aux « personnes participant au service public de l’éducation », et notamment les accompagnateurs et accompagnatrices de sorties scolaires. Un serpent de mer s’il en est des débats sur l’éducation et la laïcité au Sénat, comme l’a fait remarquer la gauche. « Avec cet article qui dénature le principe de neutralité, c’est la quatrième attaque de la droite sénatoriale en quatre ans », a notamment fustigé le sénateur socialiste Yan Chantrel, dénonçant une « véritable obsession. »
Et si le débat revient aussi souvent à la Chambre haute, c’est parce que la jurisprudence du Conseil d’Etat a toujours estimé que les parents accompagnateurs n’exerçaient pas de mission de service public et n’étaient donc pas soumis aux obligations de neutralité des agents du service public. « Ce débat, nous l’avons eu pendant plus d’une dizaine d’heures, nous connaissons parfaitement vos arguments et vous aussi. La seule différence, c’est que le droit est de notre côté, ne voulant pas l’accepter vous décidez de rejouer la scène comme si c’était la seule issue. Vous ne changerez pas les conclusions du Conseil d’Etat : les parents sont des collaborateurs occasionnels du service public », a notamment tancé la sénatrice socialiste, Sylvie Robert. « Il faut que ces activités soient encadrées par des fonctionnaires, ce sera beaucoup plus clair pour tout le monde », a ajouté Pierre Ouzoulias pour le groupe communiste. « Cette disposition nie une réalité grandissante dans notre territoire : dans certaines classes vous priverez certains élèves de sorties scolaires », a enfin ajouté le sénateur radical Henri Cabanel.
« Un entrisme rampant qui fragilise le cadre scolaire »
Du côté de la droite sénatoriale, on assume de revenir à la charge. « Nous sommes constants parce que nous sommes obligés à nous suppléer à une gauche qui ne défend plus la laïcité dans le creuset même où elle a défendu la République, nous en sommes réduits à vous remplacer », a répondu Max Brisson, sénateur LR auteur de la proposition de loi. Sa collègue du groupe LR, Jacqueline Eustache-Brinio a vu dans cette disposition qu’elle avait fait adopter dans une proposition de loi en octobre 2019 un moyen de défendre « une laïcité de plus en plus remise en cause », notamment par le port de plus en plus fréquent d’après elle de kamis et d’abayas en contexte scolaire. La sénatrice du Val d’Oise a ainsi souhaité attirer l’attention du gouvernement sur « cet entrisme rampant qui fragilise le cadre scolaire », en fustigeant une « absence de clarté et de fermeté » du ministre de l’Education nationale, qui s’est rangé derrière les arguments de la gauche en séance.
D’un point de vue juridique, Max Brisson met en avant le statut particulier de l’Ecole en matière de régulation de ports de signes religieux : « L’Ecole a une exigence de neutralité supplémentaire depuis longtemps. La neutralité s’impose aux usagers, aux élèves, c’est la spécificité de la laïcité à l’Ecole. C’est ce qui la différencie de beaucoup d’autres services publics. Vous avez abandonné un héritage qui était noble, nous le conserverons. À l’Ecole, la neutralité s’impose aux agents, aux usagers et nous souhaitons qu’elle s’impose à celles et ceux qui font la classe, puisqu’une sortie scolaire n’a de raison d’être que pédagogique. » La proposition de loi ayant été adoptée, elle devra maintenant être mise à l’agenda de l’Assemble nationale, puis adoptée par les députés pour entrer en vigueur. Un cheminement qui n’a jamais été entamé pour les précédentes dispositions sur le port du voile lors de sorties scolaires adoptées par le Sénat ces dernières années.