Les propos datent d’il y a plusieurs jours. Mais la polémique, allumée par les médias de l’empire Bolloré, prend de l’ampleur ces dernières heures. C’est l’idée d’une « labellisation » des médias, non pas faite par l’Etat mais par les journalistes, avancée par Emmanuel Macron, qui est visée.
Le chef de l’Etat, qui fait une série de déplacements en région pour dénoncer les dangers des réseaux sociaux, a évoqué l’idée il y a deux semaines, à Arras, face aux lecteurs de la Voix du Nord. Porté « par des professionnels » des médias, le label viserait à « distinguer les réseaux et les sites qui font de l’argent avec de la pub personnalisée et les réseaux et les sites d’information », précisant que ce n’est pas au gouvernement de dire « ceci est une information, ceci n’en est pas ». Il s’agit de l’enjeu démocratique des fausses informations. Sur ce sujet, l’ONG Reporters sans frontières a déjà avancé, avec le Journalism Trust Initiative, dont l’AFP est membre. Rebelote vendredi dernier, dans les Vosges, à Mirecourt, devant les lecteurs du groupe EBRA, où le Président précise que « ce n’est pas l’Etat qui doit vérifier », sinon « ça devient une dictature ».
« Ce n’est pas un truc qui a germé dans l’esprit malade du Président Macron »
L’idée n’est pas nouvelle. Un fidèle rappelle que le Président « a évoqué cela depuis longtemps, lors de ses vœux à la presse, en 2018 ». Le même ajoute ironiquement : « Ce n’est pas un truc qui a germé dans l’esprit malade du Président Macron ».
« Une dictature », c’est justement ce que reprochent quasiment, ensuite, les médias de la sphère d’extrême droite et conservatrice. Dimanche, le JDD fait sa Une : « Vers un contrôle de l’information », dénonçant dans un article « la tentation du ministère de la Vérité », une référence au roman 1984, de George Orwell. Derrière, l’éditorialiste vedette de C News, Pascal Praud, embraye et dénonce la « tentation autoritaire d’un Président mécontent du traitement médiatique, qui souhaite imposer un récit unique », parlant de « Pravda ».
Côté politique, Jordan Bardella, président du RN, dénonce dimanche toujours sur C News la « labellisation des médias » qui lui « rappelle le « ministère de la Vérité »». Le président des LR, Bruno Retailleau, pointe lundi « une dérive inquiétante ».
« Le gouvernement ne va pas créer tel ou tel label destiné à la presse »
Devant la tournure des événements, l’Elysée décide de riposter sur les réseaux. Dans une vidéo publiée lundi sur X, le Château tente de répondre : « Quand parler de lutte contre la désinformation suscite la désinformation… » La vidéo reprend notamment un extrait de l’édito de Pascal Praud, avec écrit « attention, fausse information », puis montre des extraits des propos du chef de l’Etat.
La réponse de l’exécutif s’est faite en deux temps. Après le compte X, la porte-parole du gouvernement, Maud Bregeon, a cité ce mardi les mots d’Emmanuel Macron en Conseil des ministres : « Le gouvernement ne va pas créer tel ou tel label destiné à la presse, ce n’est pas, ce ne sera jamais son rôle de le faire ».
La vidéo de l’Elysée a aussitôt été dénoncée à droite et à l’extrême droite. Au point que les LR lancent une pétition en ligne intitulée, « médias : oui à la liberté, non à la labellisation ! », estimant que « c’est à la liberté d’information et d’expression qu’on s’en prend ». Le président de l’Union des droites, Eric Ciotti, y va aussi de sa pétition.
« C’est de manière caractérisée une fausse information qui est grave. C’est pour ça que l’Elysée a répondu » confie un proche du chef de l’Etat
Qui suit le compte X de l’Elysée ne sera pas totalement surpris de la réponse de la présidence. Depuis plusieurs mois, un « virage » a même été pris en termes de communication. « Depuis quelque temps, quand il y a une fausse information, qui est grave et avec viralité, s’il y a ces deux points, on dément », confie un proche du chef de l’Etat. L’Elysée a ainsi déjà tenté de tuer dans l’œuf la fausse information sur Emmanuel Macron qui voulait s’acheter l’Aston Martin de James Bond, la DB9. Ou encore lorsque certains comptent affirmaient que le Président cherchait à cacher de la cocaïne avec un mouchoir. A chaque fois, l’Elysée a répondu pour dénoncer ces « fausses informations ».
Aujourd’hui, autre polémique, mais le principe est le même. « C’est de manière caractérisée une fausse information qui est grave. C’est pour ça que l’Elysée a répondu », explique un proche d’Emmanuel Macron. Et selon nos informations, Emmanuel Macron était bien au courant de la vidéo publiée par le compte officiel de l’Elysée. « Il l’a vue », assure-t-on. La décision de publier « une vidéo comme ça » n’est pas « prise, sans que le Président ne l’ait vue »
Pour les pourfendeurs d’Emmanuel Macron, c’est presque du pain béni. « Que le compte officiel de l’Élysée s’attaque à un média privé en dit long sur la dérive de la présidence macroniste, et sur le détournement des institutions. Voilà pourquoi la « labellisation des médias » est une idée dangereuse combattue par tous les démocrates cohérents », vient au secours Jordan Bardella. « Rassurez-moi : ce tweet de l’Elysée a bien été labellisé ? » préfère ironiser Bruno Retailleau.
« Il faut faire confiance au peuple aussi. Il est assez adulte et vote, et doit être en capacité de comprendre d’où vient l’information », soutient le sénateur LR Max Brisson
Au Sénat, le sénateur LR Max Brisson, fidèle de l’ancien ministre de l’Intérieur, relaie les attaques. « C’est quoi la labellisation des médias, c’est un coup de tampon ? Un sceau ? C’est la presse officielle ? On revient au Moniteur de Louis Philippe ? » demande le sénateur des Pyrénées-Atlantiques, qui pointe ce qui serait « encore une autorité supplémentaire qui fixe la pensée unique dans laquelle on doit se conformer ».
Pour Max Brisson, l’enjeu des fausses informations « renvoie au métier de journaliste, de déontologie, à la formation des journalistes. Je crois qu’ils jouent un rôle irremplaçable dans notre société, dans la mesure où ils assurent une information certifiée. Après, il faut faire confiance au peuple aussi. Il est assez adulte et vote, et doit être en capacité de comprendre d’où vient l’information », soutient le sénateur LR, qui accuse Emmanuel Macron « d’infantiliser le peuple ».
« On peut vite tomber dans une forme de totalitarisme », dénonce Olivier Paccaud (LR)
« Doit-il y avoir une instance, une autorité pour contrôler ? C’est très délicat. Il faut agir, réfléchir, légiférer d’une main très tremblante car on peut vite tomber dans une forme de totalitarisme », lâche pour sa part Olivier Paccaud, sénateur LR de l’Oise, qui pointe « l’espèce de vidéo publiée par l’Elysée ». « J’ai été consterné car Emmanuel Macron met en scène ceux qu’il estime être ses adversaires. Je pense à un journaliste bien connu. Et ça ne me semble pas être du niveau d’un président de la République. Je suis assez surpris de cette dérive totalitaire », insiste Olivier Paccaud.
L’adjectif n’est-il pas exagéré ? « Peut-être. Mais sincèrement, il a autre chose à faire que vouloir museler, policer la parole publique. Il n’a pas à imposer une pureté journalistique. Car à ce moment-là, il n’y a plus de presse d’opinion », soutient le sénateur LR. Regardez (image, Jérôme Rabier) :
« Face à toute la polémique qu’on entend sur les médias du groupe Bolloré, il faut arrêter, il faut siffler la fin de la récré », lance la socialiste Sylvie Robert
Les propos d’Emmanuel Macron ne font que des indignés. Au PS, la sénatrice Sylvie Robert, qui ne peut être suspectée d’être macroniste, voit d’un bon œil l’idée de labellisation, qui serait gérée par les journalistes entre eux. « Ce que fait le Président est salutaire dans la période, par rapport à ce qu’il se passe aujourd’hui en termes de désinformation, d’attaques sur le pluralisme et l’Arcom », estime la sénatrice PS d’Ille-et-Vilaine, qui ajoute : « C’est bien, car ça bouge contre l’Elysée contre Bolloré », même si l’exécutif assure ne pas viser de médias en particulier.
Mais pour Sylvie Robert, il y a bien un sujet Bolloré. « D’une certaine façon, face à toute la polémique qu’on entend sur les médias du groupe Bolloré, il faut arrêter, il faut siffler la fin de la récré. A un moment, il faut réguler », soutient la sénatrice, auteure d’une proposition de loi visant à renforcer l’indépendance des médias. Adoptée, elle avait été vidée de sa substance par la majorité sénatoriale. Elle continue : « C’est certains que pour eux (les médias Bolloré, ndlr), qui pratiquent la désinformation permanente, quand se posent les questions de certification et de transparence, ça les embête ! » lâche Sylvie Robert, qui pointe aussi « la désinformation sur les propos du Président. C’est insupportable ».
Mais si « le Président fait de grande déclaration » qu’elle « salue », Sylvie Robert aimerait « qu’on passe aujourd’hui aux actes, c’est-à-dire un texte ». Elle attend la proposition de loi, issue des conclusions des états généraux de la presse, promise par l’exécutif.
Le texte issu des états généraux de la presse « prochainement présenté en Conseil des ministres »
Ça arrive. « Ces conclusions, nous les avons intégralement reprises. Le texte a été transmis au Conseil d’Etat et va être prochainement présenté en Conseil des ministres », a assuré ce mardi, lors des questions d’actualité au gouvernement, la ministre de la Culture, Rachida Dati. Il portera notamment sur « le contrôle des concentrations, mais aussi sur les difficultés financières des médias ». Mais promis, ni labellisation, ni ministère de la Vérité ne sont au programme.