C’est une révélation du Canard Enchaîné publiée ce mercredi. Lactalis aurait continué de vendre 8 000 tonnes de lait en poudre, destinés aux préparations industrielles (glaces, pâtisseries) alors que l’entreprise était au cœur d’un scandale sanitaire. « La décision de laisser consommer les 8 000 tonnes de poudre nous a surpris, parce qu'à l'époque on ne savait pas si la tour produisant le lait pour les adultes était elle aussi contaminée. C'était prendre un risque inutile pour la santé publique », a confié à l’hebdomadaire satirique, un fonctionnaire de la DGCCRF (direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) qui a requis l'anonymat.
À la fin de l’année 2017, une vingtaine de jeunes enfants âgés de moins de 6 mois avaient été contaminés par des salmonelles en consommant des lots de lait infantile fabriqués dans l'usine Lactalis de Craon. La crise sanitaire avait entraîné la décision par le ministère de l’Économie de retirer de la commercialisation 600 lots. Au total, 53 bébés ont été atteints de salmonellose en France (200 en dehors des frontières nationales), après avoir consommé du lait infantile produit par le groupe.
La mission d’information du Sénat
À la suite du scandale, les commissions des Affaires sociales et économiques du Sénat avaient mené une série d’auditions et interrogé les différents acteurs concernés : la direction de Lactalis, les services de l’État, la grande distribution et les associations de victimes, avant de rendre ses conclusions en avril. (voir notre article).
Pour Lactalis, les produits fabriqués sur la Tour 2 ne faisaient pas l’objet de contamination
Par communiqué, le groupe Lactalis n’a pas tardé à démentir des « accusations sans fondement ». « Les 8 000 tonnes visées par le Canard Enchaîné ont été fabriquées sur la Tour 2 non-objet de la contamination et conditionnées sur un circuit d'ensachage indépendant. Aussi en toute transparence avec les autorités, ces produits n'étaient pas concernés par le retrait/rappel »
La directrice générale de la DGCCRF évoque devant le Sénat, « la détection de la bactérie dans l'environnement de la tour n° 2 »
Des arguments qui interpellent. En effet, le 23 janvier 2017, auditionnée par le Sénat, Virginie Beaumeunier, directrice générale de la DGCCRF explique : « Le 21 décembre 2017, suite à la détection de la bactérie dans l'environnement de la tour n° 2, le groupe Lactalis annonce généraliser le retrait-rappel à l'ensemble des produits fabriqués ou conditionnés sur la partie du site Lactalis Nutrition Santé depuis le 15 février 2017. Il s'agit de laits et céréales infantiles, ainsi que de produits de nutrition spécialisés » peut-on lire dans le rapport de la mission d’information du Sénat.
« On fait passer le profit avant la vie humaine »
« Il faut tout prendre au conditionnel bien sûr. Mais l’opacité, en particulier lors des gestions de crise, est problématique au sein du groupe Lactalis. On fait passer le profit avant la vie humaine. Dès 2005, des traces de salmonelle ont été relevées dans l’usine de Craon. La vraie question, ce sont les moyens alloués par l’État pour faire les contrôles sanitaires, en particulier au sein de la DGCCRF. » explique Fabien Gay, sénateur communiste, qui a participé à la mission d’information du Sénat.
Pour Martial Bourquin, sénateur socialiste, ces nouveaux soupçons vont nécessiter « un complément d’enquête de la part du juge d’instruction ». Le parquet de Paris a ouvert début octobre une information judiciaire contre X pour « tromperie sur les qualités substantielles des marchandises », « blessures involontaires ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à trois mois » et « inexécution par un exploitant du secteur alimentaire de procédures de retrait ou de rappel d'un produit préjudiciable à la santé ».
Renforcer les moyens des agences de l’État
Si, comme le rappelle l’élu du Doubs, « le Sénat ne peut pas se substituer à la justice », les autorités pourraient s’inspirer des recommandations de la Haute assemblée à la suite de cette affaire, comme l’obligation pour les entreprises de rendre public les autocontrôles sanitaires positifs ou encore d’augmenter les moyens des agences de l’État censées repérer les problèmes et les fraudes sanitaires. Selon la mission d’information, dans l’affaire Lactalis, l’efficacité des agences sanitaires est également en cause. « On a mis au jour toutes une série de dysfonctionnements comme le non-respect du principe de précaution. La logique économique ne peut prévaloir sur la logique sanitaire » conclut Martial Bourquin