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Laïcité : « Il y a une instrumentalisation politique » s’indigne le sénateur Pierre Ouzoulias

À l’occasion de l’anniversaire de la loi de 1905, la Fondation Jean Jaurès publie une note qui revient sur l’évolution de la laïcité dans le débat public. Elle y observe la multiplication des interprétations et des usages politiques du principe, et invite à renouer avec une compréhension partagée de ce cadre républicain essentiel.
Emma Bador-Fritche

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Cent vingt ans après son adoption, la loi de séparation des Églises et de l’État continue de structurer en profondeur l’architecture républicaine. Adoptée en 1905 par 341 voix contre 233, portée par Aristide Briand, député républicain socialiste, elle visait à garantir « l’égalité de tous les citoyens devant un État neutre ». Mais ce principe fondateur, qui avait longtemps fait figure de socle commun, semble aujourd’hui plus disputé que jamais. C’est ce que montre l’étude « Que vive la laïcité », publiée par la Fondation Jean Jaurès et coordonné par Hadrien Brachet, Iannis Roder, Laurence Rossignol et Milan Sen. Une somme de plus de 200 pages réunissant historiens, responsables politiques, philosophes et acteurs associatifs. Avec pour ambition d’éclairer la trajectoire d’un principe dont le sens s’est obscurci, au point de devenir, selon les auteurs, un outil de confrontation idéologique. A l’occasion de cette anniversaire, Emmanuel Macron a appelé à « défendre » la laïcité, pour « préserver notre liberté à chacun et donc la liberté de tous ». Il a rendu hommage aux professeurs, Samuel Paty et Dominique Bernard.

Un principe simple, un débat brouillé

La laïcité repose sur deux piliers : la neutralité de l’État et la liberté religieuse des citoyens. Pourtant, ce principe aisément formulé figure parmi « les moins compris de la Ve République ». Les crises sociales, les attentats islamistes, et l’irruption du religieux dans la sphère politique ont favorisé une inflation d’interprétations concurrentes. De totem républicain, la laïcité est devenue un instrument de clivage. Conçu comme un cadre juridique stable, l’outil s’est transformé en objet d’incompréhension et de polarisation.

Le sénateur LR Max Brisson rappelle que la loi de 1905, souvent présentée comme un modèle intangible, est pourtant née d’un affrontement politique âpre, sur fond d’affaire Dreyfus. « La laïcité est un projet politique exigeant, qui affirme la primauté de la loi républicaine sur toutes les croyances », souligne-t-il. Pour lui, si la société s’est profondément transformée, la loi, elle, est restée inchangée : « Ce n’est pas la loi qui a évolué, mais le regard que la société porte sur elle. Les polémiques actuelles viennent aussi de courants laïcards qui réagissent comme si nous étions encore en 1905 face à la seule Église catholique. » Le sénateur communiste Pierre Ouzoulias met en garde contre une tentation de transposer les anathèmes d’hier : « Certains discours à droite reprennent, dans la figure du musulman, les mécanismes d’exclusion autrefois dirigés contre les juifs. C’est en contradiction directe avec l’esprit de 1905. »

Une fracture qui traverse tout l’échiquier politique

La droite et l’extrême droite ne sont pas les seules à nourrir la confusion. À gauche aussi, les lignes ont bougé. La France insoumise, qui dénonçait autrefois le port du voile, défend désormais la liberté de le porter, au nom de la lutte contre les discriminations. Pour l’ancienne ministre socialiste Laurence Rossignol, la polarisation actuelle tient à une double instrumentalisation : « L’extrême droite utilise la laïcité pour stigmatiser les musulmans et réaffirmer une identité chrétienne fantasmée. Une partie de la gauche, elle, réduit la laïcité à la seule neutralité. Il faut résister sur ces deux fronts. »

Pierre Ouzoulias rappelle cependant que le débat n’a jamais cessé d’accompagner la loi : « Depuis 1905, la laïcité a toujours suscité des discussions. »

La multiplication des controverses

Chaque année, à l’approche de Noël, la même controverse ressurgit : l’installation de crèches dans certaines mairies, notamment à Béziers, Beaucaire ou Perpignan. Dans toutes ces villes, les tribunaux administratifs ont tranché dans le même sens : ces crèches ne respectent pas l’obligation de neutralité imposée aux collectivités. Pour le constitutionnaliste Benjamin Morel, cette situation illustre un double standard : « Une partie de la classe politique critique l’islam tout en tolérant les crèches en mairie. Installer une crèche dans un bâtiment public pose exactement le même problème de neutralité que d’organiser une cérémonie religieuse pour le ramadan. »

Le sénateur communiste Pierre Ouzoulias voit dans ces dérives un symptôme plus large : « Le maire d’Asnières a installé une crèche et il explique qu’il y a de la laïcité mais que la religion est une tradition ». Le sénateur LR Max Brisson adopte une position plus nuancée, selon lui, tout dépend de l’histoire locale. « Recréer artificiellement des traditions qui n’ont jamais existé, m’agace. Mais lorsque certaines pratiques s’inscrivent dans la durée, il ne faut pas appliquer la laïcité sans tenir compte de l’histoire », estime-t-il.

Vers une charte de la laïcité ?

Face à la fragmentation du débat public et politique, de nouvelles pistes émergent. Le député socialiste Jérôme Guedj propose la création d’un Défenseur de la laïcité, autorité indépendante accessible aux citoyens, chargée d’unifier l’interprétation du principe.

Le constitutionnaliste Benjamin Morel, lui, plaide pour une Charte constitutionnelle de la laïcité afin de clarifier un principe devenu « slogan » ou « mot-valise » : « La laïcité n’est pas une valeur mais un principe juridique. Tant qu’on ne l’inscrit pas clairement, chacun en fait sa propre version, selon ses intérêts. » Une telle charte, dit-il, « obligerait les partis politiques à se positionner et mettrait fin aux instrumentalisations ». Le sénateur communiste Pierre Ouzoulias partage cette analyse : « Il faut un grand débat constitutionnel, une charte de la laïcité à l’image de la charte de l’environnement, et consulter les Français par référendum. »

Reste une question : la loi de 1905 serait-elle adoptée aujourd’hui ? Benjamin Morel comme Pierre Ouzoulias en doutent. Entre replis identitaires, tensions autour de l’islam, résurgences nationalistes et méconnaissance du texte, les conditions politiques semblent loin d’être réunies. « Ce serait un beau chaos », tranche Benjamin Morel.

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