Laïcité : la droite sénatoriale continue de mettre la pression sur Emmanuel Macron

Laïcité : la droite sénatoriale continue de mettre la pression sur Emmanuel Macron

Que ce soit par un grand discours ou une loi, la droite du Sénat demande une nouvelle fois à Emmanuel Macron de « clarifier » sa position sur la laïcité et le communautarisme. Mais à la veille de l’examen d’une proposition de loi sur la neutralité religieuse des accompagnants scolaires, ces débats divisent au sein même de la majorité de la Haute assemblée.
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« Ce sujet doit rassembler, pas diviser. Il faut qu'il clarifie les choses ». Pour la deuxième fois en 15 jours, Gérard Larcher, presse Emmanuel Macron de s’exprimer sur le sujet de la laïcité. Dans une interview donnée au JDD, le président du Sénat évoque particulièrement la question de l’islam. « Ne pas la traiter (cette religion), c'est une faute politique. Or, que s'est-il passé depuis deux ans ? Rien ! On a abandonné nos compatriotes musulmans de bonne volonté, et on a ainsi laissé le champ libre à des formes de radicalité ».

« Depuis quand le chef de l’État serait obligé de répondre aux injonctions de l’opposition. Les Républicains comme les socialistes, comme le RN, sont dans l’outrance permanente. Emmanuel Macron a raison de ne pas s’exprimer sous la pression. Il a raison de dire qu’il ne faut pas tout mélanger » défend François Patriat, président du groupe LREM du Sénat.

Face aux divisions (y compris dans les rangs de la majorité) suscitées par l’incident au conseil régional de Bourgogne Franche-Comté, le chef de l’État a pourtant dû s’exprimer à plusieurs reprises sur la question de la laïcité et du communautarisme. Dans sa dernière prise de parole, réalisée par RTL dans l’avion qui le ramenait de la Réunion dimanche, Emmanuel Macron a d’abord considéré qu’on ne lui demandait pas de « parler de laïcité mais de l’islam ».

« Le communautarisme ça n'est pas le terrorisme, beaucoup de gens là aussi confondent. Mais c'est le fait que dans certains endroits de notre République il y a un séparatisme qui s'est installé, c'est-à-dire la volonté de ne plus vivre ensemble, de ne plus être dans la République, et au nom d'une religion, l'islam, en la dévoyant » a-t-il poursuivi.

« Ligne Larcher » contre « ligne Retailleau ?

Avec deux propositions de loi, sur la neutralité religieuse des accompagnants scolaires et sur l’interdiction des listes communautaires (voir nos articles), la droite sénatoriale a bien senti la frilosité au sommet de l’État dans l’affirmation d’une position claire et ordonnée sur la laïcité. Mais la ligne dure tracée par le patron du groupe LR du Sénat, Bruno Retailleau semble, elle aussi, se fissurer ici et là au sein de la majorité LR/centre de la Haute assemblée. Certains, comme le sénateur centriste Vincent Capo-Canellas, n’hésitent plus à opposer une « ligne Larcher » à une « ligne Retailleau ». « Je trouve qu'il y a une maladresse à poser ce genre de débat au moment où le Rassemblement National l'a mis à l'agenda politique de cette manière-là. La société française gagnerait à aborder ces questions autrement que sous forme de coups politiques » a -t-il rapproché, ce matin, sur Public Sénat avant d’annoncer qu’il n’envisageait pas « à ce stade » de voter en faveur de la proposition de loi sur la neutralité religieuse des accompagnants scolaires.

« Ce débat sur le voile est en train d’être récupéré »

La semaine dernière, Jacques Grosperrin, vice-président LR de la commission de la culture et de l’éducation du Sénat s’était opposé à Bruno Retailleau sur le calendrier de l’examen de ce texte, estimant que le climat n’était pas suffisamment serein pour en débattre. Ce lundi, le sénateur du Doubs semble avoir révisé sa position. « J’ai dit que ce n’était pas le bon moment. Mais ça fait 20 ans qu’on dit que ce n’est pas le bon moment. J’ai vu, ce week-end, que des gens ont utilisé cette proposition de loi pour faire des manifestations contre l’islamophobie, pour dire qu’on les stigmatise. Alors que ce n’est pas du tout ça. Ce débat sur le voile est en train d’être récupéré. Je pense que nous, Les Républicains, devons prendre nos responsabilités sur la question de la laïcité ». Toutefois, Jacques Grosperrin ne sait pas encore s’il votera contre ou s’abstiendra, demain, lors de l’examen du texte.

« On aura l’impression que c’est une grande victoire alors que ce serait un échec »

« En interdisant le voile pour les accompagnatrices scolaires, on aura l’impression que c’est une grande victoire alors que ce serait un échec. N’oublions pas qu’on parle de femmes qui ont mis leurs enfants dans les écoles publiques. Elles ont donc encore un lien avec la République. Il ne faut pas se faire d’illusions, ce n’est pas comme ça que nous gagnerons le combat contre le salafisme. Je m’abstiendrais sur ce texte » explique la sénatrice centriste Françoise Gatel, auteure de la loi visant à mieux encadrer l’ouverture des écoles privées hors contrat. Au lieu d’une nouvelle loi, la sénatrice préconise d’agir sur le modèle « d’une task force républicaine » impliquant les établissements scolaires, les collectivités locales, les représentants du culte musulman… « Pour lutter contre cette idéologie radicale qui met notre République en danger, il faut une vraie détermination politique pour toucher les gens partout où ils sont et là où la loi ne suffit pas ».

« Le Sénat doit travailler dans la sérénité, c’est ce qui justifie le bicamérisme »

Le vice-président communiste de la commission de l’Éducation du Sénat, Pierre Ouzoulias, goûte peu le climat qui règne en ce moment à la Haute assemblée. « C’est un débat qui divise Les Républicains et les centristes mais aussi Les Républicains eux-mêmes » a-t-il observé. « On ne peut pas travailler dans ces conditions. Le Sénat doit travailler dans la sérénité, c’est ce qui justifie le bicamérisme. Sinon, on perd un peu de l’âme du Sénat ». Se définissant comme laïc et athée, Pierre Ouzoulias « n’attend rien » de la parole d’Emmanuel Macron. « Je ne peux plus lui faire confiance depuis son discours au collège des Bernardins, où il a dit qu’il fallait réparer le lien entre l’Église et l’État ».

Un « programme de lutte contre le communautarisme » en préparation

Du côté de l’exécutif, ce n’est pas une nouvelle loi mais un « programme de lutte contre le communautarisme » qui est en préparation. Le Président va aussi s’appuyer sur le Conseil Français du culte musulman (CFCM) pour faire avancer sur une réforme de l’organisation de l’islam de France. Il « nous a fait passer le message qu'il comptait sur le CFCM pour prendre des initiatives fortes concernant la question de la prévention de la radicalisation, la question de la place du voile dans la religion musulmane, la question de la place des femmes » a indiqué Anouar Kbibech, vice-président du CFCM à l’issue d’une réunion à l’Élysée avant de réaffirmer les différences entre la pratique soutenue de l'islam et les signes de radicalisation, que l'exécutif appelle à mieux détecter depuis l'attaque de la préfecture. « Aller à la mosquée, porter une barbe, jeûner le ramadan avec ferveur, ce ne sont pas des signes de radicalisation et cela contribue à un amalgame honteux entre islam, islamisme et terrorisme » a-t-il précisé.

« Le chef de l’État a eu une parole bienvenue la semaine dernière lorsqu’il a dit que le port du voile dans l’espace publique n’était pas son affaire. Mais il a également participé à cette ambiance de montée du racisme dans notre pays, comme par exemple en instituant un débat sur l’immigration au Parlement. Ce qui m’embête également, c’est que lorsqu’il parle du communautarisme, il annonce dans la foulée une rencontre avec le CFCM et je ne vois pas d’autres rendez-vous sur ce sujet à son agenda » note la sénatrice membre de Génération.s, Sophie Taillé-Polian.

La proposition de loi sur la neutralité religieuse sera examinée demain à partir de 14H.

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