« Il est possible que le président de la République ait pris conscience du problème puisqu’il en parle. Nous, nous voulons passer à l’action en donnant un coup d’arrêt aux revendications communautaristes ». Contacté par publicsenat.fr, le président LR de la commission des lois du Sénat, Philippe Bas, insiste. « Le cœur du dispositif » de sa proposition de loi de révision constitutionnelle présentée dans le journal Le Figaro dimanche, porte sur un alinéa qu’il souhaiterait voir ajouter à l’article 1 du texte fondateur de la Ve République. À savoir : « Nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune ».
« Les Français ont besoin d’un cadre de référence qui soit clair et lisible »
« Aujourd’hui, les revendications communautaristes affectent tous les pans de notre société. Les Français ont besoin d’un cadre de référence qui soit clair et lisible » avance-t-il citant tour à tour, les horaires différenciés dans les piscines, le refus d’être examiné par un homme médecin, l’interruption du travail pour faire la prière…
Hervé Marseille : « La Constitution n’avait pas prévu que notre société soit à ce point morcelée »
L’auteur de cette proposition de loi cosignée par le président du groupe LR, Bruno Retailleau et par celui du groupe centriste, Hervé Marseille (les deux groupes forment majorité sénatoriale) entend rassembler un consensus le plus large possible autour de cette question « pour un objectif idéal » : Une révision constitutionnelle avant l’été. Pour rappel, à la différence d’un projet de loi de révision constitutionnelle (initiative gouvernementale), une proposition de loi de révision constitutionnelle (initiative parlementaire) nécessite obligatoirement la mise en place d’un référendum après son adoption dans les mêmes termes par le Sénat et l’Assemblée nationale.
« Et pourquoi pas un référendum ? J’ai écouté ce qu’a dit Emmanuel Macron à la Convention citoyenne sur le climat, il s’est déclaré favorable à un référendum sur certaines propositions. On peut très bien ajouter une question en plus » imagine Hervé Marseille qui justifie son soutien à cette proposition de loi par le fait que « la Constitution n’avait pas prévu que notre société soit à ce point morcelée ».
« J’ai bien peur qu’on stigmatise nos concitoyens de confession musulmane » s’inquiète Patrick Kanner
Il n’est pas certain que ce texte recueille le soutien du groupe PS du Sénat. « Il est loin d’être acquis » confirme son président, Patrick Kanner qui précise néanmoins ne pas en avoir encore débattu avec ses collègues. En tant qu’ancien ministre de la Ville, je suis bien placé pour savoir que les prédateurs communautaristes, ça existe. Sur le fond, personne ne peut être opposé au constat fait par Philippe Bas, mais il ne faut toucher la Constitution que d’une main tremblante » conseille-t-il avant de rappeler que des textes constitutionnels existent déjà en matière de lutte contre le communautarisme, notamment l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme. « En touchant à la Constitution, j’ai bien peur qu’on stigmatise, une fois de plus, nos concitoyens de confession musulmane. Exactement le genre de choses que les prédateurs recherchent à exploiter ».
Marine Le Pen se félicite de voir la droite du Sénat reprendre sa proposition
Sur Twitter, la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen se félicite de l’initiative sénatoriale et s’en attribue même la paternité. « Cette mesure correspond à l’article 3 » de sa proposition de loi constitutionnelle déposée en avril 2018, assure-t-elle.
Imposer le respect du principe de « laïcité » aux partis politiques
À l’instar d’une autre proposition de loi, déposée par Bruno Retailleau en novembre dernier (voir notre article), le second volet de la proposition de révision constitutionnelle de Philippe Bas entend également imposer le respect du principe de « laïcité » aux partis politiques. Dans l’article 4 de la Constitution, il est simplement précisé que les groupements et partis politiques doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie. En y ajoutant le principe de « laïcité », la majorité sénatoriale entend interdire le financement public de partis dit « communautaristes » dans le sens où ils feraient prévaloir des règles reposant sur l’appartenance religieuse ou ethnique sur les lois de la République. « Sur cette base, le législateur pourrait également voter une loi permettant la dissolution d’un parti communautariste en cas de manquement au principe de laïcité » précise le président de la commission des lois.
Si Philippe Bas se refuse de faire le lien entre sa proposition de révision constitutionnelle et la proposition de loi de Bruno Retailleau, on ne peut s’empêcher de relever que la première apporte une solution à la deuxième. En effet, interdire, par le biais d’une loi « simple » les listes et les candidats communautaristes peut se heurter à une difficulté constitutionnelle, comme nous l’expliquait, en novembre, Benjamin Morel, maître de conférences en Droit public à l'Université Paris II Panthéon-Assas. La laïcité est un « terme polysémique dans la société, mais en droit, il englobe simplement la neutralité de l’État et le non-financement des cultes » soulignait-il.
Bruno Retailleau: « Oui ou non, Emmanuel Macron veut-il combattre l’islam politique en France ? »
Interrogé par publicsenat.fr quelques jours plus tard, Bruno Retailleau prenait conscience de cette difficulté :et n’écartait d’ailleurs pas la « voie constitutionnelle », pour interdire les listes et les candidats communautaristes. « J’avais proposé qu’à l’article 2 de la Constitution, on rappelle ce qu’est la laïcité. Parce que chaque Français connaît la laïcité du point de vue de la neutralité de l’État (…) Mais la laïcité, c’est aussi un devoir de chaque citoyen. Nul ne peut se prévaloir de sa croyance, de sa religion, pour échapper à la règle commune » préconisait-il avant d’affirmer qu’il ne s’agissait pas d’une question de « modalité juridique », mais de « volonté politique ». « Oui ou non, Emmanuel Macron (…) veut-il combattre l’islam politique en France. C’est la seule question qui vaille ? » estimait-il.
Avec le dépôt de deux propositions de lois en trois mois, la droite sénatoriale entend effectivement mettre la pression sur l’exécutif sur ce sujet. Devant l’association des maires de France, en novembre dernier, le chef de l’État avait balayé la proposition de Bruno Retailleau. « Comment définir » une liste communautaire ? » « Qui en serait le juge et selon quels critères ? » « Qui peut penser d'ailleurs que de telles listes se présenteront à visage découvert ? » avait-il objecté. Mais avait promis de présenter de nouvelles mesures contre le communautarisme dans les « prochaines semaines ».
Une promesse réitérée lors de ses vœux de la Saint Sylvestre : « Je lutterai avec détermination contre les forces qui minent l’unité nationale et dans les prochaines semaines, je prendrai de nouvelles décisions sur ce sujet ».
À l’issue du point presse du conseil des ministres du 6 janvier, la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye avait confirmé que « le gouvernement ferait des annonces sur le sujet très précis de lutte contre les replis communautaires », « probablement au début du mois de février ». La droite du Sénat semble l’avoir pris au mot.