French President receives his Czech counterpart Petr Pavel

L’année 2023 d’Emmanuel Macron : le pire est-il à venir ?

Réforme des retraites, loi immigration, conflit en Ukraine et au Proche-Orient, Emmanuel Macron a dû faire face en 2023 à un certain nombre de crises, qu’il a parfois lui-même provoquées. Certaines pourraient d’ailleurs connaître des prolongements dans les mois qui viennent. Pour Public Sénat, plusieurs analystes se penchent sur cette année de turbulences politiques.
Steve Jourdin

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« Une année en trompe-l’œil »

Le 31 décembre 2022, lors de ses vœux aux Français, le chef de l’Etat promettait une année « d’unité, d’audace, d’ambition collective et de bienveillance ». Un an plus tard, après la mobilisation des retraites, les émeutes urbaines de l’été, les fortes turbulences au Parlement et les répercussions du conflit au Proche-Orient sur notre société, difficile de donner un satisfecit à Emmanuel Macron. « Il est certes parvenu à tenir sur le plan parlementaire, malgré une motion de censure qui a frôlé la majorité sur le texte retraites, et malgré les déboires de la loi immigration. Il est arrivé à faire voter les textes qu’il voulait faire voter. Mais c’est une année en trompe-l’œil car derrière une apparente maîtrise du Parlement, on voit la difficulté qui consiste à gouverner avec une majorité relative », observe Arnaud Benedetti, professeur associé à l’université Paris-Sorbonne et rédacteur en chef de la « Revue politique et parlementaire ».

Cette année n’aura pas servi à régler la question de la majorité parlementaire. Les élections législatives de juin 2022 avaient envoyé 250 députés macronistes au Palais Bourbon. Avec une majorité absolue à 268, cela contraignait dès l’origine le camp présidentiel à opérer des compromis avec les oppositions. « 2023 n’a pas apporté de réponses lisibles et claires à une question essentielle : où va le deuxième mandat d’Emmanuel Macron ? Il n’y a pas de cap. On ne sait toujours pas où sont les priorités et quels sont les objectifs » juge le politiste Bruno Cautrès. « C’est un président qui navigue à vue, et la majorité relative renforce cette impression », appuie la communicante Emilie Zapalski. « S’il avait au moins le courage d’assumer son virage à droite, il pourrait proposer une alliance avec les Républicains ! ».

 

Ni de gauche, ni de gauche

De fait, le chef de l’Etat a commencé et terminé l’année 2023 en fâchant la gauche. Présentée fin janvier en conseil des ministres, la réforme des retraites, emballée dans un projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificatif (PLFSSR), prévoit de repousser l’âge de départ de 62 à 64 ans. « Il y a eu la très longue séquence de la réforme des retraites, avec beaucoup de mobilisation et de colère dans la rue, et une utilisation du 49.3 qui a beaucoup heurté une partie de l’opinion », rappelle Bruno Cautrès. L’adoption définitive du texte le 16 mars avec l’utilisation de l’article 49.3 marque les esprits, « au point que le recours à cet instrument de procédure est aujourd’hui considéré comme très impopulaire ». La rue s’en souvient encore : l’intersyndicale allant de la CGT de Philippe Martinez à la CFDT de Laurent Berger parvient entre janvier et avril à organiser le plus grand mouvement social depuis le plan Juppé en 1995. Mais échoue à faire retirer le texte.

Au-delà du fond, c’est la méthode qui bouscule. « L’utilisation de l’article 49 alinéa 3 n’est pas un problème en soi, c’est la façon dont il a été utilisé qui questionne. La réforme des retraites est passée, mais dans un processus très torturé », estime Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’université Paris 2 Panthéon-Assas. Presque tous les artifices de la procédure parlementaire ont été dégainés par l’exécutif : recours à l’article 47-1 de la Constitution fixant des délais d’examen contraints dans l’hémicycle, procédure du vote bloqué pour obliger les élus à se prononcer sur le texte par « blocs » d’amendements sélectionnés par le gouvernement, utilisation de points de règlements des assemblées pour accélérer les débats. Sur les retraites, « Emmanuel Macron a obtenu une victoire à la Pyrrhus qui démontre la fragilité de son assise parlementaire » selon Arnaud Benedetti.

Une fragilité encore mise à l’épreuve sur la loi immigration, examinée à l’hiver. « Ce texte a été vendu comme un texte de compromis, mais il se rapproche de la compromission, avec certaines mesures inspirées directement du logiciel du Rassemblement national. Avec cette loi, le ‘en même temps’glisse encore davantage à droite » juge Emilie Zapalski. Le texte définitivement adopté par le Parlement le 19 décembre prévoit, entre autres, un durcissement du regroupement familial, le rétablissement du délit de séjour irrégulier, la déchéance de nationalité pour les binationaux coupables de meurtres contre des personnes détentrices de l’autorité publique, ou encore la limitation du droit du sol. Pour Benjamin Morel, l’adoption de cette loi pose un problème politique. « Ce texte est une sacrée erreur dans la manière dont il a été politiquement géré depuis Matignon et l’Elysée. L’exécutif a ignoré l’aile gauche de sa majorité, cela risque de créer un épisode type frondeur. Cela va en tout cas laisser un profond malaise au Parlement ».

 

A l’international, Emmanuel Macron cherche un cap

Certains présidents peuvent, quand les choses tanguent à l’intérieur, se réfugier à l’international. Mais quand la Russie passe en économie de guerre et que le Proche-Orient tout entier menace de s’embraser, la manœuvre est plus délicate. Entre la crise ukrainienne et les attaques du Hamas contre Israël, Emmanuel Macron s’est tout au long de l’année heurté aux limites du ‘en même temps’. « Il s’agit du plus gros échec de 2023. Ses initiatives diplomatiques sont restées très peu porteuses et la France apparaît aujourd’hui très isolée, à la fois en Europe et sur la scène internationale » estime Arnaud Benedetti.

Dans la foulée du 7 octobre et des attentats du Hamas, Emmanuel Macron multiplie les messages de condamnation contre le groupe islamiste. Des ressortissants français sont directement touchés : 11 morts, 18 disparus, premier bilan. Mais le chef de l’Etat attend cinq jours avant de s’exprimer solennellement à la télévision. Se rendra-t-il en Israël ? Seulement s’il est susceptible de se rendre « utile », glisse l’Elysée aux journalistes. Le 24 octobre, il atterrit finalement à Tel Aviv. Surprise : « La France est prête à ce que la coalition internationale contre Daech […] puisse lutter aussi contre le Hamas ». La proposition est faite à Benyamin Netanyahou. Aucune chancellerie, aucun diplomate français n’étaient dans la confidence. Le quai d’Orsay se sent mis à l’écart ; les capitales arabes l’ont mauvaise.

Quelques heures plus tard, depuis Le Caire, changement de pied : le président insiste sur le soutien humanitaire aux Gazaouis et la recherche d’une solution politique au conflit israélo-palestinien. La coalition internationale ? Enterrée, ou en tout cas amendée, remplacée par une « initiative pour la paix et la sécurité ». Difficile de suivre. « Il y a eu un zigzag à quelques heures d’écart, avec une communication internationale très forte et la proposition d’éliminer le Hamas, et puis cette tentative rapide d’aller dans l’autre sens et de faire en sorte que la France retrouve une position d’équilibre dans le conflit au Proche-Orient », analyse Bruno Cautrès. « Il y a eu cette volonté d’apaiser le monde arabo-musulman en renouant avec ce qui est vécu comme une position gaulliste traditionnelle ». Mais le chef de l’Etat a-t-il vraiment une ligne dans sa politique au Proche-Orient ? « Les changements de pied divers et multiples qu’il a pu opérer sur la question israélo-palestinienne montrent que la France n’a plus une voix très importante dans la région. Emmanuel Macron est très dépendant des soucis internes, ses prises de position s’expliquent par les répercussions du conflit en France et les divisions de la société française » ajoute Arnaud Benedetti.

 

Un président empêché ?

Le président se projette. En 2023 « on a fait beaucoup de choses malgré une majorité relative, on a avancé », explique-t-il dans une interview accordée fin décembre à l’émission C à vous sur France 5. « Il y a une France maintenant plus forte et plus en situation de se protéger et de se projeter. Je veux qu’on aborde de nouveaux grands sujets et de grands projets ». Lesquels ? Emmanuel Macron promet d’ouvrir l’année 2024 avec un « grand rendez-vous ». Pour l’heure, rien n’a filtré de ses intentions.

Emmanuel Macron est comme une mouche dans un bocal. Il est condamné à tourner, à faire de l’agitation pour ne pas couler.

Une dissolution est-elle inévitable ? Pour l’heure, peu d’observateurs misent dessus. Trop risqué. « Il est dans une forme d’impuissance. Il peut encore passer des réformes, mais à quel prix ? Sur chaque projet de loi, on assiste à un quoi qu’il en coûte politique » grince Emilie Zapalki. Une chose est sûre : entre une loi sur la fin de vie annoncée pour février, et les Jeux olympiques de l’été, les enjeux ne manqueront pas. « Emmanuel Macron est comme une mouche dans un bocal. Il est condamné à tourner, à faire de l’agitation pour ne pas couler. Mais il y a une réelle impossibilité d’aboutir, car aucune opposition n’est disposée à le sortir de la situation dans laquelle il se trouve ! » résume avec ironie Benjamin Morel. Bonne année (politique) 2024 à tous !

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