La loi a longtemps fait de l’homosexualité une faute. La proposition de loi s’inscrit dans une histoire juridique marquée par de profondes discriminations à l’égard des personnes homosexuelles. Si l’homosexualité n’a jamais été pénalisée en tant que telle en France, plusieurs dispositions du Code pénal ont permis, pendant des décennies, de réprimer spécifiquement les relations entre personnes de même sexe. La loi de 1942, adoptée sous le régime de Vichy puis maintenue après la Libération, instaurait notamment un âge de consentement différencié : 21 ans pour les relations homosexuelles, contre 15 ans pour les relations hétérosexuelles. Ce dispositif n’a été abrogé qu’en 1982, date de la dépénalisation complète de l’homosexualité.
Des milliers de condamnations sur plusieurs décennies
Au-delà de la question de l’âge de consentement, d’autres dispositions ont servi à réprimer les personnes homosexuelles, notamment l’article du Code pénal renforçant la sanction de l’« outrage public à la pudeur » lorsqu’il était commis entre personnes de même sexe. Selon les estimations de l’historien et maître de conférences à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), Régis Schlagdenhauffen, environ 10 000 condamnations ont été prononcées sur la base de l’âge de consentement spécifique, et près de 40 000 pour outrage public à la pudeur. Les personnes condamnées étaient majoritairement des hommes, le plus souvent sanctionnés par des amendes ou des peines de prison.
L’indemnisation au cœur du désaccord parlementaire
Dans sa version initiale, la proposition de loi prévoyait un dispositif d’indemnisation des personnes condamnées, comprenant une allocation forfaitaire de 10 000 euros, complétée par 150 euros par jour de privation de liberté. Cette disposition a toutefois été supprimée par le Sénat lors des premières lectures. Les sénateurs ont également modifié la période concernée, la faisant débuter en 1945, estimant que la République n’avait pas à « s’excuser pour les crimes du régime de Vichy ».
L’Assemblée rétablit le texte initial
Les députés ont, au contraire, choisi de rétablir la version initiale du texte. Pour les défenseurs de l’indemnisation, reconnaître un préjudice sans le réparer serait insuffisant. « Reconnaître un préjudice suppose de le réparer, l’un ne va pas sans l’autre, c’est nécessaire d’un point de vue symbolique », a ainsi déclaré le rapporteur du texte à l’Assemblée, lors de l’examen du texte. Selon ses partisans, l’impact budgétaire resterait limité, la plupart des personnes concernées étant aujourd’hui décédées ou très âgées.
Une commission mixte paritaire pour trouver un compromis
Le désaccord persistant entre l’Assemblée nationale et le Sénat conduit désormais à la convocation d’une commission mixte paritaire, composée de sept députés et sept sénateurs, chargés d’élaborer une version de compromis. À travers ce texte, c’est la manière dont la République entend reconnaître et réparer une part longtemps ignorée de son histoire législative qui se joue, plusieurs décennies après la dépénalisation de l’homosexualité en 1982 et la légalisation du mariage pour tous en 2013.