Dans sa très attendue décision sur la loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur dite « loi Duplomb », le Conseil constitutionnel a censuré la possibilité de réintroduire l’acétamipride, un néonicotinoïde. « Au regard des exigences de la charte de l’environnement », les Sages ont estimé que les dispositions de l’article 2 n’étaient pas conformes.
D’après la charte de l’environnement, « le législateur doit, lorsqu’il adopte des mesures susceptibles de porter une atteinte grave et durable à un environnement équilibré et respectueux de la santé, veiller à ce que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne compromettent pas la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, en préservant leur liberté de choix à cet égard », indique le communiqué. Le Conseil constitutionnel opère également deux réserves d’interprétation sur les dispositions « facilitant l’implantation de certains ouvrages de stockage d’eau ». Une décision qui suscite des réactions contrastées au Sénat, chambre d’origine du texte.
« L’essentiel du texte est passé, le risque était qu’il fasse l’objet d’une censure générale »
« Cette loi avait pour ambition de donner des solutions immédiates aux agriculteurs français pour lever la partie la plus visible des freins qui pénalisent notre compétitivité et compromettent notre souveraineté, comme j’ai pu, avec mes collègues, le montrer dans différents rapports depuis mon arrivée au Sénat. La censure de l’article 2 va conduire inexorablement à encore plus d’importations avec de l’acétamipride et de moins en moins de productions françaises victimes d’impasses techniques », déclare le sénateur Laurent Duplomb.
Malgré cela, l’auteur de la proposition de loi souligne que l’intégralité du texte n’a pas été censurée par le Conseil constitutionnel. « Malgré la pression médiatique de la frange décroissante du personnel politique et de nombreuses ONG, le Conseil Constitutionnel en ne censurant pas la totalité de la loi, reconnaît implicitement que le Parlement a justement délibéré », ajoute le sénateur. Une référence aux moyens déposés par certains requérants interrogeant la régularité des débats parlementaires. « En décidant de ne pas censurer l’intégralité de la loi, le Conseil Constitutionnel en reconnaît le bien-fondé, c’est une grande satisfaction », estime Laurent Duplomb.
La FNSEA, principal syndicat agricole et soutien majeur du texte a fait savoir sa déception dans un communiqué de presse. « Les articles censurés, qui concernent notamment l’usage de certains produits phytosanitaires autorisés dans toute l’Union européenne (dont l’acétamipride) devront être retravaillés pour que les engagements politiques de l’hiver 2024 soient enfin tenus », prévient le syndicat. Ces derniers saluent néanmoins la conformité du reste du texte.
Le Conseil constitutionnel valide la procédure parlementaire
Les élus de gauche avaient émis des doutes sur la conformité des débats parlementaires. En effet, le socle commun avait adopté une motion de rejet préalable du texte afin de renvoyer directement le texte au Sénat et de contourner la discussion des centaines d’amendements déposés par la gauche à l’Assemblée nationale. « L’essentiel du texte est passé, le risque était qu’il fasse l’objet d’une censure générale à cause de l’absence de débat à l’Assemblée nationale », se réjouit Franck Menonville, sénateur centriste et coauteur de la proposition de loi.
« C’est une vraie victoire »
A l’inverse, la gauche se réjouit de la censure de l’article 2. « C’est une vraie victoire, l’argument que j’ai avancé tout au long des débats, c’est-à-dire que la réintroduction de l’acétamipride portait atteinte à la charte de l’environnement a été entendu », assure Jean-Claude Tissot, sénateur socialiste.
« C’est une première victoire après le flot de reculs environnementaux que l’on a subi, il faut engager une vraie trajectoire de réduction de l’utilisation des pesticides », souhaite le sénateur écologiste, Daniel Salmon qui veut croire que cette décision sera « un tournant après des mois d’attaques contre l’écologie ». Néanmoins, ce dernier juge que les réserves d’interprétation sur les « mégabassines » sont insuffisantes. « Il y a un bémol qui a été mis sur la reconnaissance d’intérêt général majeur mais ce n’est pas satisfaisant », déclare Daniel Salmon. La décision du Conseil constitutionnel permet de contester devant le juge la présomption d’intérêt public majeur des retenues d’eau qui répondent « à un enjeu de stress hydrique pour l’agriculture ».
Une décision qui fera date ?
Par ailleurs, dans sa décision, le Conseil constitutionnel souligne que la dérogation proposée par la loi Duplomb s’applique à « toutes les filières agricoles » et n’est « pas accordée à titre transitoire pour une période déterminée ». Par conséquent, les Sages jugent que cet encadrement n’est pas suffisant pour pouvoir réintroduire un néonicotinoïde interdit. « Le Conseil censure parce que l’encadrement n’est pas suffisant. Il va être demandé au gouvernement de trouver une solution alternative pour ces filières-là », prévient Franck Menonville.
Dans une décision du 10 décembre 2020 portant sur la réintroduction temporaire d’un néonicotinoïde, le Conseil constitutionnel avait rappelé le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé consacré par l’article 1er de la Charte de l’environnement. Malgré cela, le Conseil n’avait pas censuré le texte, estimant que le législateur poursuivait un motif d’intérêt général en cherchant à protéger les entreprises agricoles. « Je ne vois pas un gouvernement revenir, après ce qu’il s’est passé ces dernières semaines prendre des risques considérables en proposant une autre réintroduction », juge Daniel Salmon.
Emmanuel Macron promulguera le texte
Alors que la pétition qui a dépassé les deux millions de signatures sur le site de l’Assemblée nationale demandait au président de la République de ne pas promulguer la loi Duplomb, l’Elysée a fait savoir qu’Emmanuel Macron « a pris bonne note de la décision du Conseil constitutionnel ». Il « promulguera » le texte « tel [qu’il] résulte de cette décision dans les meilleurs délais ».