Après trois semaines de discrétion, le Premier ministre est réapparu sur le perron de Matignon en abattant une carte surprise. Devant le risque de censure planant sur les débats budgétaires imminents, Sébastien Lecornu a annoncé qu’il renoncerait à l’utilisation du troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution, celui qui lui permet d’interrompre les débats, et d’engager la responsabilité du gouvernement sur un texte dont il définit le contenu.
Le choix de Matignon, dévoilé juste avant une nouvelle salve de consultations avec les groupes parlementaires d’opposition, peut être perçu à première vue comme un gain à gauche. Celle-ci en a fait depuis des mois l’une de ses revendications. L’abrogation du 49.3 et la revitalisation du Parlement faisaient partie du programme du Nouveau Front populaire pendant les législatives de l’été 2024. Mais les parlementaires demeurent prudents sur les intentions réelles du Premier ministre.
« C’est un retour à la normale. Dans une crise politique, redonner la main au Parlement est légitime. Cela montre que la pression que l’on met provoque quelques bougés », se satisfait Guillaume Gontard, le président du groupe écologiste au Sénat. « C’est accepter l’idée que désormais, c’est le Parlement, et lui seul, qui aura le dernier mot », résume Olivier Faure, le premier secrétaire du Parti socialiste, qui s’exprimait avant son entrevue avec le Premier ministre, aux côtés de ses deux présidents de groupe, Boris Vallaud pour l’Assemblée nationale, et Patrick Kanner, pour le Sénat.
Les socialistes entendent mettre à l’épreuve ce « changement de méthode » en réclamant un vote sur la réforme des retraites de 2023 au Parlement, dont l’adoption n’avait été rendue possible que par l’utilisation du 49.3.
« Sébastien Lecornu sait très bien qu’il y a un certain nombre d’articles viennent contraindre le débat parlementaire »
En réalité, de nombreux responsables à gauche demeurent vigilants sur la façon dont pourraient s’organiser l’examen des textes budgétaires, en l’absence de 49.3. « C’est un peu l’arbre qui cache la forêt dans la Constitution. Sébastien Lecornu est aguerri aux pratiques budgétaires, il sait très bien qu’il existe un certain nombre d’articles qui viennent contraindre le débat parlementaire », relève la présidente du groupe communiste au Sénat, Cécile Cukierman. « On n’est pas dupes, on sait qu’il y a d’autres artifices pour contourner le Parlement », ajoute Guillaume Gontard. Les socialistes mentionnent eux aussi ces éléments qui permettent à l’exécutif de « caporaliser le débat parlementaire ».
Il faut dire que la gauche a en mémoire les nombreux outils du « parlementarisme rationalisé », qui permettent au gouvernement de garder le contrôle du débat. Le Sénat par exemple, en a fait l’expérience ces derniers mois, avec le vote bloqué sur la réforme de l’audiovisuel public, ou encore la deuxième délibération. En la déclenchant l’an dernier à la fin des débats sur le volet fiscal, le gouvernement avait obtenu le retrait de plusieurs amendements votés contre son avis.
« Nous ne sommes pas uniquement à la recherche d’éléments de procédure »
L’article 40, qui interdit aux parlementaires de créer une dépense, sans qu’elle ne soit compensée d’une façon ou d’autre chose, est également un autre verrou que les oppositions de gauche évoquent. « Cet article est de plus en plus surinterprété. Vous pouvez avoir un débat où vous dégagez des recettes nouvelles, et ensuite être bloqué dans l’examen des missions budgétaires car vous ne pouvez pas engager les dépenses », relève Cécile Cukierman.
Flou sur ses intentions à l’heure du dialogue avec les oppositions, le Premier ministre n’a pas répondu à toutes les demandes des oppositions de gauche avec la seule annonce de l’abandon du 49.3. « Nous ne sommes pas uniquement à la recherche d’éléments de procédure », a rappelé Olivier Faure, qui ne veut pas d’un « écran de fumée ». « Cette annonce lui permet de ne pas entrer dans le fond. Il va falloir que les choses se clarifient. On n’a zéro réponse sur les questions environnementales », s’impatiente Guillaume Gontard.
Quelle majorité à l’Assemblée nationale ?
La mise à l’écart du 49.3 ne rassure pas non plus les groupes de gauche sur le type de majorité qui pourrait émerger au cours de l’examen. « Le gouvernement va bien chercher un accord quelque part. Si ce n’est pas avec la gauche, il le trouvera avec le Rassemblement national. C’est sympa de dire qu’on enlève le 49.3 mais si on ne donne pas les outils, on nous coupe les bras », se projette la sénatrice écologiste Anne Souyris.
La répartition des postes à responsabilité au bureau et aux présidences des commissions de l’Assemblée nationale, mercredi et jeudi, n’est pas de meilleur augure, selon plusieurs parlementaires de gauche. Alexandre Ouizille, sénateur PS, voit dans l’annonce du jour un « piège », avec la « promesse d’une discussion budgétaire sans 49.3 dans une Assemblée où désormais les macronistes passent leur temps à faire des deals avec le RN contre la gauche ». Olivier Faure entend par exemple demander au Premier ministre s’il entend « respecter le front républicain » et le « cordon sanitaire vis-à-vis de l’extrême-droite ».
« On va voir comment s’organise le débat à l’Assemblée nationale et au Sénat. Nous jugerons sur pièces », prévient Cécile Cukierman. Le patron du Parti communiste, Fabien Roussel, considère dans l’état actuel des choses qu’il « faut avancer » et que censurer un gouvernement qui renonce au 49.3 serait « raide ». La France insoumise entend, quant à elle, toujours déposer une motion de censure « dès la nomination » du gouvernement de Sébastien Lecornu.