Le Nouveau Front Populaire (NFP) peine à porter une voix commune sur les prochaines échéances parlementaires, malgré la volonté partagée par l’ensemble des groupes de gauche de censurer le futur gouvernement de Michel Barnier. En outre, l’affrontement des derniers jours entre Jean-Luc Mélenchon et François Ruffin interroge sur la place de LFI au sein de l’alliance.
Le conseiller des Français établis en Ukraine raconte avoir été pris de court par l’intervention russe : « On ne croyait pas à un bombardement »
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Rétrospectivement, c’est une forme de déni occidental qui est mort cette nuit, avec l’invasion de l’Ukraine, pour Jean-Yves Leconte. « C’était difficile au XXIème siècle, d’imaginer une situation de cette nature impliquant des pays européens. J’étais encore à Kiev il y a 10 jours, c’était difficile d’imaginer des bombardements sur l’ensemble du pays, aussi proches de la frontière polonaise », avoue le sénateur représentant les Français établis hors de France. Le sénateur socialiste, spécialiste de l’Europe orientale, regrette une forme d’illusion collective – faussement réconfortante – dans laquelle a été pris l’Europe ces dernières années : « On s’accrochait à l’espoir que l’attitude de la Russie ces dix dernières années en Géorgie, en Crimée, au Donbass, ne posait que des microproblèmes, presque chirurgicaux. On détournait un peu les yeux, en se disant parfois que Poutine devait avoir de bonnes raisons de faire ce qu’il faisait. On voit maintenant les conséquences de ne pas avoir réagi de manière correcte en 2014, parce que la Russie semble avoir préparé quelque chose de très impressionnant. C’est terrifiant. »
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« On ne croyait pas à un bombardement »
Mais n’est-ce pas aussi une illusion – rétrospective cette fois – que de regarder les dix dernières années à la lueur de ce que l’on sait aujourd’hui ? « Tout le monde est sidéré », reconnaît Jean-Yves Leconte. « On connaît théoriquement la progression de l’impérialisme russe. Mais on est quand même absolument stupéfait de la violence et de l’ampleur de ce qui est fait » poursuit le sénateur socialiste. Sur place, beaucoup ont été pris de court. C’est le cas de David Franck, conseiller des Français de l’étranger en Ukraine, c’est-à-dire l’élu local des Français établis en Ukraine. Il a quitté Kiev dimanche, pour ce qu’il pensait être « des vacances » et il était présent aujourd’hui au Sénat. Nous l’avons rencontré en compagnie des sénateurs socialistes des Français établis hors de France, Jean-Yves Leconte et Yan Chantrel. « On ne croyait pas à un bombardement. On a eu un conseil de sécurité exceptionnel hier, dans lequel ils nous ont dit ‘pas d’alarmisme, les Américains continuent de nous dire que ce sera pour demain ou après-demain’, en l’occurrence cette fois-ci, c’était vrai. »
Face à l’invasion soudaine, l’ambassade aurait identifié 350 Français encore présents en Ukraine et mis en place une ligne téléphonique vers une cellule de crise. Mais quelles consignes ont-elles été transmises aux ressortissants français ? « La consigne de partir a été donnée plusieurs fois. Ceux qui sont restés sont des migrants comme moi. Nous, on a nos vies là-bas. Partir pour où, pour faire quoi ? Cela fait 8 ans que l’on est en guerre, cela fait 8 ans que l’on aurait dû partir. Mis à part si les obus pleuvaient, pourquoi on partirait ? Ceux qui sont partis ne pensent qu’à revenir. » David Franck entend d’ailleurs utiliser tous les moyens à sa disposition, pour réussir à rentrer en Ukraine, retrouver « [sa] vie là-bas » : « Moi je pense déjà à y retourner. Peut-être pas en avion parce que l’aviation est clouée au sol, mais en train, en bus, en voiture… J’ai ma famille, j’ai ma vie là-bas, il va falloir que je reparte, je suis obligé. Et ça, même ma famille d’ici a du mal à comprendre. » En attendant, les consignes des autorités françaises sont de surtout rester chez soi et de ne pas prendre la route. « Les consignes du jour sont ‘restez chez vous’, n’allez pas sur les routes, qui sont surchargées, les gens roulent du côté inverse, ne respectent plus la signalisation, c’est proche du chaos », explique le conseiller des Français de l’étranger en Ukraine.
« Le régime russe a aussi ses difficultés »
Si les Français sur place ont pu être surpris par l’ampleur de l’attaque russe, sur le fond, David Franck en est persuadé, « ça ne va pas s’arrêter à l’Ukraine. » Il est rejoint par le sénateur des Français de l’étranger, Jean-Yves Leconte, qui voit une logique impérialiste se dégager de la politique étrangère russe : « On ne peut pas se dire que c’est seulement une attaque de la Russie contre l’Ukraine. Si on pense que c’est juste l’Ukraine, on a déjà perdu. La logique d’influence russe se construit sur l’absence de résistance européenne. » L’attitude de l’Europe reste le nœud du problème pour le sénateur socialiste, qui en appelle à des prises de position plus fortes : « On n’a pas compris le discours tenu depuis 8 ans par l’exécutif russe sur l’Ukraine. Il faut maintenant comprendre que même si, dans un premier temps, Poutine s’arrête, ça n’est qu’une étape. Il faut toujours parler, mais en position de force, pas en se mettant à genoux et en demandant d’arrêter la guerre. » Même son de cloche chez le conseiller des Français de l’étranger en Ukraine : « L’Europe doit avoir une réaction forte parce que ça ne va pas s’arrêter à l’Ukraine. C’est une zone d’essai pour Poutine, si on ne l’arrête pas, il ira plus loin, jusqu’à toute l’Europe. Il ne comprend que la force, il s’assoit sur les sanctions. C’est un fou, on ne peut pas raisonner avec lui. »
Et si la Russie ne s’arrêtera pas là, c’est aussi pour des raisons intérieures, explique Jean-Yves Leconte : « Le régime russe a aussi ses difficultés : la place des groupes Tchétchènes dans le système Poutine, les tensions que l’on a pu voir avec le directeur des services secrets… Je doute qu’aujourd’hui ces choses s’expriment compte tenu du contexte. » Si la situation intérieure – et notamment économique – russe est aussi compliquée, c’est « malheureusement pour le peuple russe, parce que cela fait des années que le niveau de vie et le développement économique ne sont pas la priorité des autorités. » Finalement – après les Ukrainiens – ce sont peut-être les Russes qui seront les plus impactés : « Le pire dans tout ça, c’est que pour reconstruire une nostalgie, qui est une fiction, sur la force de la Russie en Europe, la même Russie devient de plus en plus un vassal de la Chine. C’est dangereux pour le pays lui-même. Le développement économique de la Russie n’est pas au niveau où il devrait être et le régime est profondément corrompu. Pour entretenir cette nostalgie, cela oblige Poutine à céder sur tous les autres fronts. » À l’est de l’Europe, on sait bien depuis Clausewitz que la guerre n’est que la continuation de la politique par d’autres moyens. Le régime russe semble avoir retenu les leçons prusses.
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