Le général Éric Vidaud, directeur du renseignement militaire quitte ses fonctions sept mois après sa nomination. Le président de la commission des affaires étrangères du Sénat, Christian Cambon voit cette démission d’un mauvais œil. « C’est une affaire grave, un haut responsable militaire qui démissionne à ce niveau, c’est inédit », précise le sénateur Les Républicains.
Un problème d’analyse et d’organisation des services de renseignement ?
Depuis l’invasion de l’Ukraine le 24 février, le renseignement militaire français est sous le feu des critiques pour sa mauvaise analyse de la situation à la frontière russo-ukrainienne avant le déclenchement du conflit. La DRM avait estimé que la Russie n’attaquerait pas son voisin. Les services de renseignement américains et anglais estimaient le contraire. Selon le journal, l’Opinion, qui site une source interne, il est également reproché au haut gradé « un manque de maîtrise des sujets » et des « briefings insuffisants. » Le départ d’Éric Vidaud s’inscrit également dans « une réorganisation plus globale du service », explique une source proche du dossier à l’AFP. Il était question de proposer un autre poste à l’ancien commandant des forces spéciales pour l’été 2022, mais ce dernier a refusé l’offre du chef d’État-Major des armées et a préféré quitter l’armée de manière immédiate.
Interrogé par le journal Le Monde début mars, le chef d’Etat-major des armées, le général Thierry Burkhard avait regretté publiquement l’erreur d’analyse de ses services par rapport aux services anglo-saxons qui prédisaient le déclenchement d’une guerre. « Les Américains disaient que les Russes allaient attaquer, ils avaient raison. Nos services pensaient plutôt que la conquête de l’Ukraine aurait un coût monstrueux. » Christian Cambon, le Président de la commission des affaires étrangères le rejoint : « Il y avait des signes. L’armée russe avait massé plus de 150 000 hommes aux frontières de l’Ukraine et déplacé en nombre des poches de sang. Ces éléments posent quand même question. »
Pour le sénateur, les insuffisances du renseignement ne se limitent pas à la guerre en Ukraine, le problème aurait des racines organisationnelles. « Le renseignement ne tient pas à un homme, mais quand il y a une erreur, c’est son chef qui en porte la responsabilité », poursuit Christian Cambon. Pour l’élu, il existe des précédents qui interrogent sur des défaillances. « Au Sénat, à la commission des affaires étrangères, nous nous sommes déjà interrogés sur cette question du renseignement à la suite du coup d’Etat dans le coup d’Etat au Mali en mai 2021 et la perte du contrat des sous-marins australiens en octobre. »
Une possible saisine de la délégation parlementaire du renseignement
Le sénateur exprime également sa préoccupation concernant la qualité des informations transmises au plus haut sommet de l’Etat. « Visiblement, le président de la République ne disposait pas des renseignements adéquats quand il s’est rendu à Moscou, début février pour s’entretenir avec Vladimir Poutine », souligne-t-il. A la suite de sa rencontre avec le maître du Kremlin le 7 février, le président de la République avait assuré « avoir obtenu » de la part de son homologue russe qu’il n’y aurait pas « de dégradation ni d’escalade » entre Kiev et Moscou. L’invasion de l’Ukraine par les forces armées russes le 24 février avait brisé les espoirs de paix. « En temps de guerre, la qualité du renseignement est essentielle. Ça n’a pas toujours été le cas jusqu’ici », souligne le sénateur LR.
Face à ces insuffisances des services de renseignement, Christian Cambon envisage une action avec la délégation parlementaire au renseignement (DPR). « Il est encore tôt mais il faut comprendre ce qu’il s’est passé, » explique le sénateur. Toutefois, le sénateur rappelle qu’il « faut faire preuve de prudence sur des dossiers extrêmement complexes. » Pour rappel, la DPR est composée de quatre députés et quatre sénateurs. Elle est actuellement présidée par le sénateur du Rhône François-Noël Buffet. La délégation est chargée depuis sa création en 2007 « d’exercer le contrôle parlementaire de l’action du gouvernement en matière de renseignement » et « d’évaluer la politique publique en ce domaine. » Les auditions de la DPR se tiennent à huis clos et sont couvertes par le secret-défense. Les membres de la délégation commune entre l’Assemblée nationale et le Sénat peuvent adresser des préconisations sous la forme d’un rapport adressé au président de la République ou au Premier ministre.