Une « décision historique » et une « étape majeure ». Le 21 juillet, les chefs d’Etat et de gouvernement européens n’avaient pas manqué de formules pour saluer l’accord arraché au terme d’un sommet marathon. Pour la première fois de leur histoire, les Vingt-sept acceptaient de verser des subventions aux pays les touchés par les conséquences de la crise du covid-19, sur la base d’un emprunt commun de 750 milliards d’euros.
Mais les cent premiers jours de Joe Biden à la Maison Blanche ont fait de l’ombre à cette solidarité budgétaire inédite en Europe. La valse des milliards a pris une autre dimension. Le nouveau président américain avait déjà fait adopter un plan de relance de 1900 milliards de dollars en janvier, qui est venu s’ajouter aux 2 200 milliards débloqués par l’administration de Donald Trump au début de la pandémie. Joe Biden n’en est pas resté là, puisqu’il a proposé un nouveau programme pluriannuel, pour rénover les infrastructures du pays, de 2000 milliards d’euros. En parallèle, la fiscalité sur les ménages aisés et les sociétés serait rehaussée.
Jusqu’au printemps et l’annonce du deuxième plan Biden, les comparaisons entre les deux rives de l’Atlantique n’avaient pas vraiment de sens. Aux Etats-Unis, où le taux de dépense publique par rapport au PIB est de 20 points inférieurs à celle de la France, beaucoup de mesures d’urgence et de soutien ont constitué l’essentiel des premiers plans. Côté relance, le plan de relance européen n’est pas le seul en piste dans l’Union européenne, puisqu’il vient appuyer les plans de relance nationaux. Par exemple, les subventions européennes financent 40 % du plan de 100 milliards d’euros de France Relance.
Quand Emmanuel Macron plaidait pour une « une réponse sans doute plus vigoureuse »
La dernière rallonge américaine, pour des investissements à long terme, a changé la donne. A la sortie du Conseil européen du 25 mars, le président de la République Emmanuel Macron s’inquiétait de la perspective d’un rebond plus lent en Europe, et d’un « décalage de trajectoire préoccupant » avec les grandes puissances. Les Etats-Unis pourraient retrouver leur niveau d’avant-crise mi-2021, soit un an avant les Européens. Quant à la Chine, le creux des premiers mois de 2020 semble déjà avoir été gommé à l’automne.
« Cela suppose une réponse sans doute plus vigoureuse », avait alors glissé le chef de l’Etat. Son secrétaire d’Etat chargé des Affaires européennes, Clément Beaune, pose aujourd’hui ouvertement la question d’un redimensionnement du plan de relance européen. « Nous avons besoin de faire ce qui n’a jamais été fait auparavant, un grand plan d’investissements sur un horizon de 10 ans, qui prendrait le relais du plan de relance », plaide-t-il ce mercredi dans les colonnes du quotidien Les Echos. L’ancien conseiller Europe d’Emmanuel Macron avait déjà fait part de ses positions un mois plus tôt au Sénat. Pour lui, le deuxième plan Biden doit faire réagir les Européens.
« Il faudra surenchérir si on ne veut pas sortir du jeu », selon André Gattolin
« On a des raisons d’être inquiets », appuie le sénateur (LREM) André Gattolin, pour qui le plan global des Européens « risque d’être insuffisant ». Et pour cause, il a été dimensionné à l’été dernier, à une période où l’Union européenne imaginait une année 2021 placée sous de meilleurs auspices. Le sénateur, qui évoque régulièrement les questions d’autonomie stratégique avec des parlementaires d’autres nations, fait l’analogie avec le poker. « Il faudra surenchérir si on ne veut pas sortir du jeu », résume-t-il. « Je discutais avec un sénateur démocrate influent. Il m’annonçait que les Etats-Unis étaient en train d’engager un plan de 50 milliards de dollars sur les semi-conducteurs. C’est considérable. »
Le socialiste Jean-Yves Leconte estime qu’il faut mettre la vitesse supérieure, avec des montants réactualisés pour développer de nouvelles coopérations européennes, plutôt que de laisser la main à chaque plan national. « C’est maintenant qu’il faut le faire. Si on s’endette trop tard, on s’endettera à des taux plus élevés. Le plan Biden ne laissera pas les taux d’intérêt au même qu’aujourd’hui, il y aura automatiquement des augmentations », redoute-t-il. Le sénateur des Français établis hors de France rappelle que le nouveau cadre financier pluriannuel (le budget de l’Union européenne 2021-2027) a été fortement « contraint » sur certains volets, du fait de l’existence du plan de relance.
« La situation est très tendue », temporise le président de la commission des affaires européennes du Sénat
Du côté des Républicains au Sénat, la prudence est de mise. Le président de la commission des affaires européennes, Jean-François Rapin (LR), juge une nouvelle rallonge européenne délicate à obtenir. « Remettons-en une louche maintenant et on est sûrs de gratter les antieuropéens. Je ne dis pas que ça ne peut pas s’envisager dans le futur, mais la situation est très tendue financièrement. On voit bien que ce plan de relance n’est pas un bébé qui a accouché par voie basse facilement. On l’a tiré aux forceps », estime le sénateur du Pas-de-Calais. La « prudence » s’impose, dans ce dossier où l’Italie, l’Espagne ou encore la France ont bénéficié de la solidarité européenne. « Laissons le premier plan fonctionner. Et s’il faut prendre des mesures complémentaires, voyons à la rentrée », conseille le sénateur.
Sur le tempo, sa position est assez proche de Bruno Le Maire. Auditionné hier devant les députés sur le plan de relance et de résilience (PNRR) adressé à la Commission européenne, le ministre de l’Economie et des Finances a expliqué que sa « priorité absolue » était la bonne exécution du plan européen. « C’est très bien d’envisager déjà qu’on augmente les plans de relance européens, c’est bien de prévoir cette possibilité-là, en fonction de la situation économique en septembre. Ma responsabilité, c’est d’abord de m’assurer qu’on décaisse les plans nationaux et de m’assurer les autres pays ratifier la décision sur les ressources propres [de l’Union européenne]. » Plus tôt, le ministre, dans une interview croisée avec son homologue allemand au quotidien Zeit, n’avait pas caché son agacement sur la comparaison avec le plan Biden. « Il faut arrêter de toujours se comparer aux Etats-Unis ! » avait-il répondu.
La présidence française de l’Union en ligne de mire
Une petite dizaine d’Etats membres (sur 27) n’ont toujours pas validé le mécanisme permettant à l’Union européenne de définir de nouvelles sources de revenu, et donc d’emprunter sur les marchés les subventions nécessaires au plan de relance européen. Rapporteur spécial de la commission des finances au Sénat, pour la mission « Engagements financiers de l’État » dans chaque budget, le sénateur LR Jérôme Bascher rappelle que tout plan de relance devra in fine être remboursé. « Il y a un moment où il y aura des frais à payer. Il ne faut pas tirer sur la corde, il faut arrêter de résonner au niveau européen comme on résonne à l’échelle française », explique le sénateur, qui anticipe une fin des taux d’intérêt bas en 2023.
Pour l’heure, cap en tout cas sur la validation des différents plans nationaux par le Conseil de l’Union européenne, qui interviendra cet été. Aucun calendrier n’a encore été établi pour défendre davantage cette idée d’une éventuelle relance supplémentaire, d’autant qu’en parallèle devront avoir lieu des débats sur l’avenir des critères du pacte de stabilité européen. La question pourrait se poser d’autant plus à l’approche de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, qui est prévue au premier semestre 2022, par ailleurs en pleine période de campagne présidentielle. « Ce qui est sûr, c’est que la présidence française sera une occasion intéressante pour parler de ces sujets-là. Les élections allemandes [le 26 septembre, ndlr] auront eu lieu. La France pourrait, si elle le veut, mettre ces sujets sur la table », nous indique-t-on au gouvernement.