La démarche est inédite: le garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas a publié mardi "une lettre" de cinquante-huit pages dans laquelle il soumet au futur ministre de la Justice "dix chantiers (...) pour réparer le présent et préparer l'avenir".
"Dans l'action ministérielle, il manque toujours de temps (...) faut-il alors s'étonner que nos régimes politiques se soient fait une spécialité des demi-mesures, faute de pouvoir bénéficier du recul suffisant pour penser les réformes vigoureuses. C'est pour tenter de pallier cette carence que j'ai engagé le travail que je vous remets", explique Jean-Jacques Urvoas dans ce texte paru aux éditions Dalloz.
"Un ministre doit se comporter comme un jardinier et planter des graines dont seuls ses successeurs profiteront des arbres et récolteront les fruits qui en seront issus", se plait à répéter Jean-Jacques Urvoas, présentant la justice comme une cause nationale dépassant les clivages partisans.
Œcuménique, il a soutenu la mission d'information du Sénat sur le redressement de la justice emmenée par Philippe Bas (LR) et salué le livre blanc sur les prisons coordonné par l'ex-sénateur LR Jean-René Lecerf.
Ces deux rapports reprenaient la première de ses propositions: la création d'une loi de programmation pour la justice (2018-2022), sur le modèle des lois de programmation militaire, avec l'objectif d'atteindre 8 milliards d'euros de budget (contre 7 milliards en 2017).
Le garde des Sceaux a déjà anticipé cette évolution en demandant au secrétaire général du ministère "que soient préparés dès le mois de mai les éléments pour les budgets 2018, 2019 et 2020".
Parmi les autres chantiers, M. Urvoas invite son successeur à "repenser la peine et son exécution" afin "d'éviter le recours trop fréquent, voire systématique, à la seule peine d'emprisonnement", alors que les prisons françaises sont surpeuplées.
"La seule construction d'établissements ne suffira pas, aussi volontaire soit-elle", écrit le ministre qui vient pourtant de présenter un important plan de construction de nouvelles prisons sans accorder plus de moyens aux mesures alternatives à l'incarcération, après l'échec de la réforme pénale de Christiane Taubira.
M. Urvoas demande aussi à son successeur de consacrer l'indépendance de la justice, de supprimer la Cour de justice de la République et réformer le statut du chef de l'État.
"Si protéger la fonction présidentielle de recours abusifs (...) est une indéniable nécessité (...) on ne peut concevoir que le chef de l'État ne réponde pas d'actions juridictionnelles civiles", fait-il valoir en imaginant "une commission de filtrage pour écarter les demandes abusives".