Le jour où … le Sénat a inauguré (avec fracas) les questions au gouvernement
Le 29 avril 1982, huit ans après les députés, les sénateurs organisent pour la première fois des questions d’actualité au gouvernement. L’expérience est accueillie avec satisfaction du côté du président Alain Poher. Mais sur la forme, cette première est laborieuse et la durée de la séance s’étale sur près de trois heures. Troisième épisode de notre série d'été sur les jours qui ont marqué l'histoire du Sénat.
« L’ordre du jour appelle les questions d’actualité au gouvernement. » Cette phrase solennelle et routinière résonne deux après-midis par semaine : à l’Assemblée nationale puis au Sénat. De tous les travaux de contrôle, les séances où les parlementaires interpellent les ministres dans l’hémicycle sont le rendez-vous le plus médiatique et le plus suivi. On pourrait penser que ce rituel presque immuable est aussi vieux que les institutions de la Ve République. En réalité, le rendez-vous des « QAG », tel qu’on le connaît aujourd’hui, s’est installé relativement tardivement.
Depuis 1958, la Constitution est formelle. L’article 48 dispose qu’une « une séance par semaine est réservée par priorité aux questions des membres du Parlement et aux réponses du gouvernement ». Assemblée nationale et Sénat ont à leur disposition les questions orales comme instrument principal. Problème : elles souffrent de plusieurs défauts. Dans les années 60, les questions ne sont pas forcément en lien avec l’actualité, elles subissent le filtre des instances des assemblées (conférences des présidents). Et la concision ne fait pas école. Le bon rythme n’est pas non plus trouvé et il n’est pas rare qu’elles soient organisées le vendredi, le jour où les parlementaires rentrent dans leurs circonscriptions.
Sous l’impulsion du président de la République Valéry Giscard d’Estaing, une procédure rationalisée des questions d’actualité s’établit à l’Assemblée nationale en 1974. Avec les ingrédients à l’origine du succès de la recette : une heure, un jour régulier, réunissant l’ensemble du gouvernement face à un hémicycle bondé, des questions choisies par les groupes politiques et communiquées tardivement, et bien sûr, la retransmission à la télévision en direct, devenue systématique à partir de 1981.
Un rendez-vous mensuel à l’origine au Sénat, mais plus long qu’à l’Assemblée
La Haute assemblée n’est pas restée insensible à ce nouvel échange vivant et régulier avec l’exécutif, bien plus spontané que les questions orales, souvent techniques et manquant de spontanéité ou de caractère général. Un certain nombre de sénateurs en rêvaient sous le quinquennat de Valéry Giscard d’Estaing. C’est au cours d’une réception à l’Élysée du Bureau du Sénat, le 15 décembre 1981, sous la présidence de François Mitterrand, que la décision d’étendre la formule des QAG dans la chambre haute est prise. Les conditions sont un peu différentes toutefois. Durant un premier temps, les QAG du Sénat, d’une durée de deux heures, ne sont organisées qu’un seul jeudi par mois.
Lorsque la première séance du genre s’ouvre le 29 avril 1982, le président du Sénat, en fonction depuis plus de 13 ans, se montre plutôt satisfait de l’expérience. « Je tiens, d'abord, à remercier M. le Président de la République qui a rendu possibles ces séances que nous souhaitions depuis longtemps voir se tenir au Palais du Luxembourg », se réjouit Alain Poher. La nouveauté est attrayante, mais le Sénat va vite essayer les plâtres.
Jacques Delors (ministre de l'Économie et des Finances) et Roger Quilliot (ministre du Logement), au Sénat, le 29 avril 1982
Le profil des intervenants illustre le caractère inaugural de cette première séance de QAG : plusieurs présidents de groupe prennent la parole, et le Premier ministre saisit le micro à cinq reprises, sur les 18 questions adressées au gouvernement. Dès sa première intervention, le socialiste Pierre Mauroy fait savoir que son gouvernement « prend plaisir » à répondre aux questions des sénateurs. Il profite également de l’instant de courtoisie républicaine pour souligner que le gouvernement « a toujours considéré le Sénat comme une assemblée à part entière, comme l’Assemblée nationale ». « Nous ne sommes plus une petite assemblée ? » faisait remarquer malicieusement, quelques secondes auparavant, le sénateur RPR Jacques Larché, lui qui ne manquait jamais de replacer dans les débats la critique formulée par un « ministre d’État » au sujet du comportement du Sénat.
Quasiment un an après l’arrivée des socialistes au pouvoir, la majorité sénatoriale de droite et du centre profite de l’occasion pour attaquer les choix de l’exécutif ou pour l’interroger sur ses prochains arbitrages. Ce 29 avril 1982, c’est notamment l’avenir de « l’enseignement libre » et des écoles privées sous contrat qui inquiète les bancs de la droite, mais aussi la dégradation des revenus des agriculteurs. Sur le front des finances, le centriste Jean-Pierre Fourcade se demande comment Pierre Mauroy va mettre fin à « l’incohérence de l’action gouvernementale », quand René Monory (qui accédera à la présidence du Sénat dix ans plus tard) demande des réponses sur le déficit de la Sécurité sociale et de l’Unédic. Certains vont droit au but, faisant preuve de concision. « Ma question est très simple » : ce gimmick parlementaire figure dès le compte rendu du 29 avril 1982. D’autres interventions, au contraire, sont un peu brouillonnes, sans question clairement identifiée. « La question ! » entend-on parfois sur des bancs impatients.
« Il faudra que l'on reconsidère ce problème » : l’embarras d’Alain Poher, après une question d’un quart d’heure
C’est quand le groupe RPR prend la parole que ces premières questions au gouvernement du Sénat déraillent. Charles Pasqua, le président du groupe, interpelle le ministre de l’Intérieur Gaston Defferre, sur la lutte antiterroriste. À l’époque, le groupe gaulliste n’est que la troisième force de la majorité sénatoriale, dominée avant tout par le centre. Nous sommes une semaine seulement après l’attentat à la voiture piégée de la rue Marbeuf, à Paris (un mort et une soixantaine de blessés), et un mois après l’attentat du Capitole, où 5 personnes ont perdu la vie.
L’intervention de l’influent sénateur des Hauts-de-Seine, en pleine ascension politique, prend la forme d’un réquisitoire contre le gouvernement, contre son impuissance et contre le « climat de suspicion » entretenu, selon lui, à l’encontre des forces de l’ordre. Les minutes s’écoulent, et les sénateurs de gauche s’impatientent bruyamment, priant, à de multiples reprises, Charles Pasqua de poser sa question. Lorsque le tunnel s’achève, le président du Sénat met les choses au clair. « Monsieur Pasqua, vous vous êtes trompé de débat. Il s'agit d'une question au gouvernement. Sur les 17 minutes prévues, vous avez parlé 15 minutes 45 secondes. »
Contrairement à l’usage en vigueur, où la couleur politique des orateurs est alternée pour dynamiser la séance, en 1982, les groupes politiques se succèdent les uns après les autres, chacun disposant d’un temps de parole proportionnel à son effectif (réponses des ministres comprises), à utiliser et à répartir entre ses membres comme bon lui semble.
Alain Poher poursuit : « Certes, vous étiez libre de disposer de votre temps comme vous l'entendiez, mais je le regrette. Il faudra que l'on reconsidère ce problème. Car, si les auteurs de question parlent pendant tout le temps de la question, le gouvernement ne peut plus répondre. » Un sénateur socialiste, cité par le compte rendu, s’exclame ironiquement : « C’est le terrorisme de la parole ! » Le ministre Gaston Defferre a tenu lui aussi à développer longuement son propos, excédant largement les deux petites minutes qu’il lui restait en théorie.
« Ce qui m'intéresse […] c'est d'entendre la réponse qui y est apportée »
Au cours de cette séance, chez les socialistes – proximité idéologique avec le gouvernement oblige – le ton des questions est plus apaisé, donnant l’occasion aux ministres de s’exprimer pêle-mêle sur l’évolution du financement des transports en commun, sur la relance de l’accession à la propriété ou encore sur les pensions des anciens combattants. Les sénateurs PS ne manquent pas de rebondir sur l’incident de séance. « M'adressant à mes collègues de la majorité du Sénat, notamment à M. Pasqua, je leur rappellerai simplement que le Larousse définit ainsi une question : une demande faite pour s'éclairer sur quelque chose », relève avec malice le sénateur-maire de Besançon, Robert Schwint. « Ce qui m'intéresse, ce n'est pas de poser longuement une question, comme l'ont fait nos collègues de la majorité du Sénat, c'est d'entendre la réponse qui y est apportée », raille le sénateur-maire de Clermont-Ferrand, Roger Quilliot.
Lorsque s’achève la séance de questions au gouvernement, le président Alain Poher promet une « mise au point », et remercie le gouvernement de s’être plié à l’exercice pendant « une heure de plus » que les deux heures initialement imparties. « J'espère que, la prochaine fois, il s'agira de véritables questions et que nous prendrons moins de temps aux ministres », lance-t-il. Le point est même abordé à la conférence des présidents suivante (l’instance qui réunit président du Sénat, présidents de groupes et de commissions). Alain Poher, tirant les leçons de cette première expérience, a rappelé à ses collègues, au cours de la deuxième séance de QAG, celle du 27 mai 1982, que les questions devaient être posées « d'une manière aussi brève que possible ».
Le président Alain Poher au plateau, le 29 avril 1982
Au fil du temps, les modalités des QAG n’auront de cesse d’évoluer. En 1992, le Sénat (comme l’Assemblée nationale) s’inspire du modèle britannique. Son règlement l’inscrit noir sur blanc : l’auteur d’une question est tenu à deux minutes et demie, et le ministre à une durée équivalente. Il est aussi convenu que les parlementaires n’ont aucune obligation à transmettre par avance leurs questions au gouvernement. Lorsque les nouvelles règles entrent en vigueur le 17 décembre, le président René Monory prévient ses collègues : « J’essaierai d'être sévère afin que soient respectés les temps de parole. » Seul le Premier ministre est dispensé de limite.
En 1995, dans la foulée de l’instauration d’une session parlementaire unique, le nombre de séances de QAG au Sénat passe d’une à deux par mois, quand l’Assemblée nationale ajoute une nouvelle séance hebdomadaire d’une heure le mardi, en plus de celle du mercredi. La révision constitutionnelle de 1995 prévoit également que les QAG se tiennent pendant les sessions extraordinaires.
Précurseur en 2015, le Sénat a inspiré l’Assemblée nationale
Vingt ans plus tard, à l’occasion de la réforme du règlement du Sénat de 2015 portée par Gérard Larcher, la périodicité des QAG devient hebdomadaire. Les QAG ont lieu en alternance les mardis après-midi (après la séance de l’Assemblée nationale) et les jeudis après-midi, cette dernière étant plus longue. Pour donner une idée du volume : 460 questions d’actualité ont été inscrites à l’ordre du jour de 37 séances durant la session 2018-2019, selon les services du Sénat. Une innovation plus importe est instaurée : l’introduction d’un droit de réplique après la réponse d’un ministre, si le sénateur n’a pas usé de la totalité des deux minutes réservées à sa question.
Cette nouveauté, qui renforce l’interactivité des débats, est reprise en octobre 2019 par l’Assemblée nationale, qui étend même le principe d’une « contre-réplique » aux ministres. Dans le remodelage du règlement, les députés décident également de fusionner leurs deux séances hebdomadaires en une séance unique de plus de deux heures le mardi, comportant 26 questions. De nombreux députés, de l’opposition comme de la majorité, estiment que la nouvelle formule est un flop. La succession de questions répétitives et les images d’un hémicycle se vidant au fur et à mesure de la séance ont été désastreuses pour l’image de l’institution à l’automne 2019. En face : le Sénat jubile. Il a mis fin à la bascule peu lisible pour le grand public entre mardi et jeudi. Et s’est engouffré dans le créneau stratégique du mercredi après-midi, qui suit les conseils des ministres, bénéficiant d’une exposition médiatique plus importante.
Les jours qui ont marqué l'histoire du Sénat - tous les épisodes :
Après avoir été présenté en conseil des ministres ce mercredi 11 décembre, le projet de loi spéciale sera examiné à l’Assemblée nationale à partir du 16 décembre et au Sénat en milieu de semaine prochaine. Cet après-midi, les ministres démissionnaires de l’Economie et du budget ont été entendus à ce sujet par les sénateurs. « La Constitution prévoit des formules pour enjamber la fin d’année », s’est réjoui le président de la commission des Finances du Palais du Luxembourg à la sortie de l’audition.
Au moment où le chef de l’Etat s’apprête à nommer un nouveau premier ministre, Emmanuel Macron a reçu ce mercredi à déjeuner les sénateurs Renaissance, à l’Elysée. Une rencontre prévue de longue date. L’occasion d’évoquer les collectivités, mais aussi les « 30 mois à venir » et les appétits pour 2027…
Olivier Faure, le Premier secrétaire du PS, réclame un Premier ministre de gauche, alors que LFI refuse de se mettre autour de la table pour travailler sur la mise en place d’un gouvernement, préférant pousser pour une démission du chef de l’Etat. Ce mercredi, députés et sénateurs PS se sont réunis alors que le nom du nouveau chef de gouvernement pourrait tomber d’un instant à l’autre.
Si une semaine après le renversement du gouvernement Barnier, Emmanuel Macron est sur le point de nommer un nouveau Premier ministre, la situation politique française inquiète particulièrement les eurodéputés à Bruxelles que certains comparent à celle en Allemagne.
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