Près de trois ans après l'élection d'Emmanuel Macron, désormais identifié avec le centre droit, des ténors de la majorité s'inquiètent de la crispation croissante des électeurs de gauche qui avaient voté pour lui en 2017 et qu'ils jugent indispensables à toute réélection en 2022.
Samedi, en Seine-Saint-Denis, Jean-Yves Le Drian et Olivier Dussopt, ministres issus du PS, doivent lancer leur mouvement, "Territoires de progrès", qui entend "incarner une social-démocratie au sein de la majorité présidentielle".
Or, selon cette petite centaine d'anciens socialistes qui avaient déjà signé une tribune en novembre dernier - dont François Loncle, Jean-Pierre Masseret ou Roland Ries-, "pour assurer la réussite impérieuse de ce quinquennat, la majorité a besoin d'une aile gauche affirmée, influente et indépendante de LREM".
Chez les troupes macronistes, la question du centre gauche a pris une place prégnante ces dernières semaines, à l'aune d'études d'opinion alarmistes: seuls deux Français sur dix reconnaissent au chef de l'Etat une capacité à rassembler (Elabe), loin de la promesse du "en même temps" originel.
Pire: seul un sympathisant socialiste sur six est satisfait de l'ancien ministre de François Hollande, contre un sur deux il y a encore deux ans (Ifop). Un marcheur historique autrefois habitué de la rue de Solférino tranche: "Il faut admettre que le rassemblement est un échec".
- "Giscardisation" -
"Oui, il y a un éloignement" des électeurs sociaux-démocrates, convient également un ministre issu du PS. "Je ne pense pas qu'on les a définitivement perdus, mais il y a des choses qui agacent: Benalla, les violences policières... Après, économiquement, je n'ai aucun problème avec ce qu'on fait: c'est la seule politique qui peut être efficace", poursuit-il.
Parmi les handicaps identifiés à faire entendre cette voix sociale-démocrate, la surreprésentation dans l'espace médiatique de l'aile droite de la majorité. À commencer par Édouard Philippe, Gérald Darmanin ou Bruno Le Maire.
"Qui a émergé parmi les ministres issus de la gauche? Schiappa? Un peu. Buzyn? Un peu. Mais c'est pas grand chose", énumère un autre transfert du PS, qui résume: "Bien sûr qu'on est invisible".
C'est aussi la personnalité du chef de l'État - "le type le plus à droite de La République en marche !", raille un fidèle - qui est remise en cause. Au point de créer une vraie détestation, plus seulement confinée aux extrêmes, mais qui s'étend aux franges modérées.
"Il a un côté énervant, mais c'était pareil pour Sarko ou Hollande", tempère un ancien conseiller.
Une nouvelle comparaison est récemment apparue : "Parfois, on a l'impression qu'il y a chez lui une forme de giscardisation", tacle une parlementaire LREM ex-PS, qui craint la même fin de mandat que celles des augustes prédécesseurs.
- Confort bourgeois -
Pour un haut cadre de LREM, c'est "la promesse de renverser la table qui n'a pas été tenue", donnant lieu à un début de mandat jugé "conservateur".
A l'Élysée, le risque est identifié, jure un proche. "Lors d'un Conseil des ministres, mi-janvier, le président a dit qu'on ne pouvait pas être un parti bourgeois", raconte un ministre.
Est-il encore temps de "sauver" le quinquennat, tel que certains n'hésitent plus à le formuler?
"Il y a un débat en interne dans la majorité entre ceux qui veulent lever le stylo pour apaiser - comme Richard Ferrand - et ceux qui veulent continuer les réformes radicales. Le conseiller du président Philippe Grangeon, lui, veut apaiser avec des réformes de gauche", explique une figure de la macronie.
Dans la majorité, on veut surtout croire qu'un "retour sur investissement" est proche, donc de nature à retrouver les faveurs du centre gauche.
Parmi les mesures prometteuses: la baisse des impôts, la mise en œuvre du reste à charge zéro, ou encore la réforme du système des retraites. Dont on martèle qu'elle est "vraiment de gauche".