Le PDG de Dassault Aviation, Eric Trappier, défavorable à un élargissement du Scaf, l’avion du futur, à d’autres pays

Alors que le ministre de la Défense, Sébastien Lecornu, a évoqué « l’élargissement » du programme Scaf « à d’autres partenaires », le PDG de Dassault Aviation, Eric Trappier, voit l’idée d’un très mauvais œil. Soulignant que « c’est déjà difficile » à trois pays – la France, l’Allemagne et l’Espagne – il prévient : « Si on me l’impose, je me battrai ».
François Vignal

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Des moyens, avec un total de 413 milliards d’euros, mais aussi des choix et des « étalements » de programme. La loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030, dont les députés ont commencé l’examen, ne satisfera pas tout le monde. Auditionné par la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat ce mercredi, en vue de l’arrivée du texte à la Haute assemblée fin juin, le PDG de Dassault Aviation, Eric Trappier, a pu détailler les futures livraisons de Rafale à l’armée française et faire le point sur le projet d’avion du futur, le Scaf.

Production de Rafale : « Nous sommes capables de monter en charge mais il faut un délai pour le faire »

La LPM revoit à la baisse le nombre de commandes du célèbre Rafale, qui équipe l’armée française. Les sénateurs l’ont bien volontiers rappelé. « Il est prévu que la cible de Rafale de l’armée de l’air, à l’horizon 2030, passe de 185 à 137 appareils, ce qui n’est pas une mince affaire », a pointé du doigt le président LR de la commission, Christian Cambon, qui ajoute que « le ministre nous a dit que ces éléments visaient à privilégier la cohérence sur la masse » pour « améliorer la disponibilité ». « J’ai été comme tout le monde assez surpris de la responsabilité qu’on veut faire porter aux industriels sur l’étalement de programme à 2035, lié notamment à l’incapacité des industriels de répondre à la demande en matière de production et d’accélération des productions. […] On a des étalements qui ressemblent étrangement à des renoncements aujourd’hui », ajoute le sénateur LR, Cédric Perrin.

Lire aussi » Loi de programmation militaire : « Un texte moins ambitieux que le précédent alors qu’on y met 40 % de budget en plus », pointe le sénateur Cédric Perrin

S’il fait preuve d’un certain franc-parler, Eric Trappier n’a pas cherché ici à critiquer ce rythme des commandes. En prenant en compte le remplacement des 12 avions vendus à la Grèce, et les 12 d’occasion livrés à la Croatie, il a détaillé les livraisons à venir pour l’armée française : « 13 avions en 2023 », « 13 avions en 2024, 12 en 2025 et 1 avion en 2026, qui clôturera les avions français que nous avons dans notre carnet de commandes depuis bien longtemps ». Ils avaient été retardés pour « raison budgétaire », a-t-il rappelé. Pour la suite, « normalement, en 2023, une commande de 42 avions devrait arriver », avec « le gros des livraisons arrivant plutôt à partir de 2029 ».

Quant à la question du niveau de production, « nous sommes capables de monter en charge mais il faut un délai pour le faire », reconnaît le PDG de Dassault Aviation. S’il y a du chômage, « le paradoxe, c’est que les industriels ont du mal à recruter ».

Lancer le Scaf en « 2040, c’est la date très optimiste »

Concernant le Scaf (système de combat aérien du futur), Eric Trappier a fait un point d’étape. Le Scaf, c’est à la fois un avion de chasse de sixième génération, le NGF (pour new generation fighter), un avion furtif, qui pourra être accompagné de drones, dans le cadre d’un réseau de combat qui les connectera (le cloud).

Après de fortes tensions, notamment sur le rôle de l’avionneur français et la propriété industrielle, Dassault et Airbus ont finalement trouvé un accord en fin d’année 2022 pour lancer une première phase. « C’est la phase 1B, qui a démarré en début d’année avec nos amis allemands et espagnols […] à Saint-Cloud, dans notre bureau d’études ». « Notre objectif est de faire voler un démonstrateur. Il faudra encore passer un contrat, qui s’appelle la phase 2 », explique le PDG.

S’il est « très enthousiaste s’il s’agit de faire voler un démonstrateur », il est très prudent pour la suite. « Savoir maintenant comment on va développer un programme capacitaire, opérationnel, on n’en est pas là. On est en préparation », tempère Eric Trappier, qui évoque un lancement « largement après 2040 (la date initialement annoncée de mise en service, ndlr). Quand vous regardez les vitesses à laquelle les choses s’enclenchent, 2040, c’est la date très optimiste ».

Elargissement du Scaf à d’autres pays : « Je ne vois pas pourquoi je donnerais du travail aux Belges », lance Eric Trappier

Alors que le Scaf démarre avec trois pays – France, Allemagne, Espagne – l’éventualité d’un élargissement à d’autres pays interroge. « Le 28 avril dernier, à Madrid, a été officiellement lancé le programme 1B du Scaf. […] C’est déjà très difficile de faire le Scaf à trois. […] Tout élargissement réduira la part de la France (dans le développement). […] Ce qui a été évoqué par notre ministre de la Défense et la ministre espagnole, d’élargir, ne va pas dans le bon sens », a mis garde le sénateur LR Ronan Le Gleut. Lors d’une audition à l’Assemblée sur la LPM, Sébastien Lecornu n’a en effet pas écarté l’ouverture du projet. « La mutualisation est une bonne manière de gérer l’argent des contribuables et il faut se poser la question de l’élargissement du programme à d’autres partenaires, pourvu que cela présente un intérêt industriel et militaire », a soutenu le ministre.

A écouter Eric Trappier, on comprend qu’aux yeux du PDG de Dassault Aviation, ce serait une très mauvaise idée. « Rajouter des gens au Scaf, c’est compliqué. J’entends parler des Belges. Très bien. Je préconise de faire un club F-35 au sein du Scaf pour développer les futurs avions européens… Il faut déjà faire ce qu’on a dit qu’on fera », raille Eric Trappier, en référence au fait que la Belgique a commandé des avions F-35 américains… comme l’Allemagne. Le PDG ajoute :

 Si on veut rajouter du monde, les discussions seront plus longues. 

Eric Trappier, PDG de Dassault Aviation

« Pourquoi je ferais de la place dans mes usines, mon bureau d’études, à des gens qui ont fait le choix du F-35 ? […] Je vais enlever de l’emploi de France pour le mettre dans des pays qui ont fait le choix d’acheter du F-35 », affirme encore le responsable de Dassault Aviation, qui insiste : « C’est déjà difficile aujourd’hui. On fait la phase 1B. On obtient un contrat phase 2 avec les mêmes, sinon, on rouvrira tout le partage des tâches. […] Si on rouvre la porte trop vite… J’entends dire qu’on pourrait donner du travail aux sociétés belges tout de suite. Non. Si on me l’impose, je me battrai. Mais je ne vois pas pourquoi je donnerais du travail aux Belges aujourd’hui »… Pour nos amis belges, il y a de quoi se gaufrer.

Un Rafale modernisé pour avoir « un drone accompagnateur »

Le développement à rallonge du Scaf va nécessiter de faire durer le Rafale. Le PDG de Dassault Aviation note que « le ministre s’est exprimé pour dire que le Rafale, bien sûr, va vivre au moins 30 ans en parallèle avec le NGF. C’est quelque chose qui sera sur du très long terme. C’est pour ça que c’est important de continuer à moderniser le Rafale […] pour le faire vivre dans les années 2030 jusqu’à post 2050 ».

Pour cela, comme le souligne le sénateur PS Yannick Vaugrenard, « le gouvernement a déposé un amendement (à l’Assemblée) à la LPM indiquant que le standard F5 du Rafale […] comprendra notamment un drone accompagnateur, issu des travaux du démonstrateur nEUROn (un démonstrateur de drone de combat (UCAV) furtif européen, mis en œuvre par Dassault, ndlr) ». « On avait en tête un F5 pour 2032. Je vois que c’est légèrement décalé à 2035, donc post LPM dans les deux cas », note Eric Trappier. « L’avion doit évoluer avec son temps » et « le combat collaboratif », prévu pour le Scaf, « a déjà démarré. […] Tout ça va être fait au titre du Rafale. Le F5 sera la poursuite du combat collaboratif qui se développe et qui est déjà dans le F4 », explique-t-il. Avec une difficulté : « Plus on se connecte, plus on est connecté, plus on est vulnérable. Il faudra être connecté et moins vulnérable », prévient Eric Trappié. C’est pourquoi « le calculateur très proche de la mission sera totalement indépendant », à la différence de « calculateurs périphériques » qui « ne se connectent pas au cœur du cœur, pour éviter les cyberattaques ». Précision utile : « Le plus tôt on aura spécifié ce standard, le mieux on pourra le préparer ».

« Qu’il n’y ait pas une peur d’un Terminator développé par les vilains industriels »

Répondant à une question de la sénatrice PS Hélène Conway-Mouret sur l’usage de l’intelligence artificielle, Eric Trappier affirme que « sur l’intelligence artificielle, on y travaille déjà dans le cadre du Rafale, on n’attend pas le Scaf ». Mais « il faut être prudent sur l’utilisation du mot. L’IA, c’est le machine learning. Je ne pense pas qu’il soit bon de dire qu’il faut qu’on ait une totale capacité, avec l’intelligence artificielle, de conduire des opérations de guerre ». Dassault travaille plutôt à ce qu’un drone « soit capable de continuer la mission ou de rentrer tout seul à la maison », si le lien est coupé avec l’avion principal. « On a fait des simulations, chez nous, à Saint-Cloud, qu’on a montrées à la direction générale de l’armement. […] Il faut continuer à travailler mais en étant très prudent sur le fait que ce n’est pas la machine qui décide toute seule. Et vous avez aussi le devoir de l’expliquer à nos concitoyens, pour qu’il n’y ait pas une peur d’un Terminator développé par les vilains industriels ». Sarah Connor peut dormir tranquille.

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