Gagner plus, mais à condition d’enseigner plus. Emmanuel Macron a présenté son programme de réélection jeudi, au cours d’une conférence de presse fleuve. Et comme annoncé dans sa Lettre au Français, par laquelle il a officialisé sa candidature à sa succession le 3 mars, il entend faire de l’école l’un des principaux chantiers d’un second quinquennat. Emmanuel Macron promet d’investir 12 millions d’euros dans l’Education et la jeunesse. Il compte établir « un pacte nouveau pour les enseignants », qui sera défini en début de mandat par une large concertation au niveau national de « toutes les parties prenantes ». L’objectif : définir le cadre d’une augmentation de la rémunération des enseignants. Emmanuel Macron a toutefois indiqué qu’elle se ferait sur la base de « nouvelles missions ». En lieu et place d’une revalorisation générale, telle que la proposent certains candidats à la présidentielle comme Anne Hidalgo, le chef de l’Etat veut lier la hausse des salaires à la mise en place de missions pédagogiques spécifiques, par exemple le remplacement d’un collègue absent, la participation à la vie périscolaire ou encore un investissement dans le suivi individualisé des élèves.
Une conception de l’enseignement inspirée du monde de l’entreprise
Autre mesure phare : renforcer l’autonomie des établissements, avec la possibilité pour les directeurs « de récuser des profils (d’enseignants) et de participer à la décision d’en recruter d’autres. » « Nous sommes face à l’abandon du modèle républicain au profit d’un modèle entrepreneurial à l’anglo-saxonne », dénonce auprès de Public Sénat Pierre Ouzoulias, sénateur communiste des Hauts-de-Seine, également vice-président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Cet élu pointe la mise en place d’une logique comptable déterminée par des facteurs de rentabilité. « On tend à faire du chef d’établissement un chef d’entreprise, puisqu’après tout, un chef, c’est fait pour cheffer », s’agace-t-il.
Emmanuel Macron entend également rendre publique le résultat des évaluations nationales organisées en CP, CE1, 6e et en seconde, par établissement mais aussi par classe, pour « voir quels sont les modes d’accompagnement et les pratiques pédagogiques », et ce afin d’identifier et de diffuser « les bonnes pratiques ». « La publication des évaluations va donner aux parents d’élèves des indicateurs pour mettre en concurrence les établissements », poursuit Pierre Ouzoulias, À ses yeux, la mesure sous-tend une « réforme de la sectorialisation scolaire qui ne dit pas son nom », avec un risque de « ghettoïsation pédagogique ». « Publiez ces résultats, c’est implicitement donner une note aux établissements. Et si vous notez, c’est pour permettre aux familles de choisir. Ce qui va se passer, c’est que les écoles publiques en difficultés vont se voir déserter par les familles les plus aisées, en faveur du privé », argumente cet élu, qui regrette également « l’absence de mesures sur la mixité sociale ».
» Lire notre article : Emmanuel Macron souhaite un pacte nouveau pour les enseignants
« Il ne reste plus à Emmanuel Macron qu’une chose à faire : prendre le sénateur Max Brisson comme ministre de l’Education nationale », ironise encore Pierre Ouzoulias. « Son programme est identique à celui de Valérie Pécresse, et tout le monde sait que Max Brisson est à l’origine du volet éducation. Après avoir laissé en poste pendant cinq ans Jean-Michel Blanquer à l’Education nationale, il est dommage de voir le président sortant recopier intégralement la copie de la droite. » De fait, l’autonomie des établissements et l’augmentation de la rémunération pour les enseignants qui acceptent des missions supplémentaires figurent dans le « projet présidentiel » de l’ancienne ministre de l’Enseignement supérieur de Nicolas Sarkozy. Tout comme la réintégration des mathématiques au tronc commun, également évoquée par Emmanuel Macron jeudi.
Bonnet blanc, blanc bonnet ?
« C’est vrai qu’on a regardé cette conférence avec… un peu de surprise », glisse l’un des collaborateurs de Max Brisson. Le sénateur LR ne s’en cache pas, jeudi après-midi, il a été « stupéfait de voir à quel point Emmanuel Macron s’est servi de la photocopieuse ». « Mais, une photocopieuse qui a bavé », tient-il à préciser. Il l’assure, si certaines mesures sont similaires, la philosophie du projet n’est pas la même. « En accordant davantage d’autonomie aux chefs d’établissement, Emmanuel Macron encourt un risque de caporalisation du corps enseignant. Nous, nous parlons d’accorder plus de libertés à l’ensemble des équipes pédagogiques », nuance-t-il.
Concernant la publication des résultats des évaluations nationales, une mesure que l’on ne trouve pas chez Valérie Pécresse, Max Brisson, comme son collègue Pierre Ouzoulias, dénonce un risque de « mise en concurrence des établissements ». « D’autant que l’on sait très bien que les conditions et la qualité de l’enseignement dépendent aussi de l’environnement dans lequel se trouve l’établissement, et des moyens mis à la disposition du personnel. »
Sur la question des rémunérations, le démarquage, en revanche, est plus subtil. « Valérie Pécresse indique que les enseignants font déjà beaucoup de choses qui ne sont pas rémunérées. Il y a une uniformisation de la rémunération alors que le métier, lui, n’est pas uniforme. Avec des missions supplémentaires, Emmanuel Macron veut encore leur charger la barque. Ils apprécieront », tente de défendre l’élu. Et pourtant, à y regarder de près, dans le projet de la candidate LR, en ligne sur son site de campagne, on peut lire la proposition suivante : « Augmenter la rémunération des enseignants en début de carrière, ceux qui acceptent des missions supplémentaires, qui enseignent dans les territoires ruraux isolés ou dans des établissements particulièrement difficiles. »
« Ses promesses sont plombées par le bilan »
On l’aura compris, le programme d’Emmanuel Macron en matière d’éducation risque de contraindre LR à un difficile exercice d’équilibriste : dénoncer un projet qui, sur bien des mesures, ressemble comme deux gouttes d’eau au leur. « Nous dirons aux Français deux choses très simples : le copier-coller n’honore pas celui qui le fait, et de préférer l’original à la copie », balaye Max Brisson. « Il y a une différence majeure : le candidat est aux affaires depuis 5 ans. En 2017, il parlait déjà de la transmission des savoirs fondamentaux et de l’autonomie des établissements. En 2022, il redit la même chose. C’est la preuve qu’il a échoué, ses promesses sont plombées par le bilan », brocarde cet ancien inspecteur général de l’Education nationale.
Il en veut pour preuve le rapport d’information qu’il a présenté fin février avec ses collègues Annick Billon (centriste) et Marie-Pierre Monier (PS), et qui revient sur les cinq années passées par Jean-Michel Blanquer rue de Grenelle. Un bilan sévère, qui épingle notamment l’absence de revalorisation du métier d’enseignant, la précipitation dans la mise en place de certaines réformes, ou encore le manque de moyens pour accompagner le dédoublement des classes de grande section au CE1. « Ce quinquennat fut aussi celui des circulaires et des vadémécums pour réduire l’autonomie des établissements », ajoute Max Brisson, qui pointe ainsi une contradiction avec les annonces faites jeudi.
» Lire notre article : Le Sénat note sévèrement le bilan de Jean-Michel Blanquer
Approfondir la réforme de l’apprentissage
Dernier domaine de l’Education évoqué par Emmanuel Macron jeudi : le lycée professionnel. Le candidat veut y étendre la réforme de l’apprentissage lancée durant son premier mandat, notamment en « déréférençant » des formations professionnelles qui ne seraient « pas suffisamment qualifiantes ou ne permettent pas de déboucher sur des emplois durables ». Là encore, Pierre Ouzoulias dénonce une vision néolibérale qui oublie les principes républicains. « On bascule dans une vision totalement utilitariste de la connaissance et du savoir, puisque l’on s’appuie sur le marché du travail pour définir ce qui doit être enseigné », regrette-t-il. Une vision court-termiste par ailleurs, puisque, selon ce sénateur, les bouleversements qu’appellent la transition énergétique et la décarbonation de notre économie laissent présager une importante transformation du monde du travail. « On est dans l’incapacité de savoir ce que seront les métiers de demain. Au contraire, il faudrait miser sur des formations qui soient le plus large possible », fait-il valoir.
Sur ce point Max Brisson reproche au locataire de l’Elysée de « laisser le monde du travail, les entreprises, prendre la main sur les voies de la professionnalisation, et de n’accorder aucune place aux collectivités, qui sont garantes de l’intérêt général ». Dans son programme, Valérie Pécresse, qui prône un rapprochement des lycées professionnels et des entreprises, souhaite effectivement en confier la gestion aux régions.