Le projet de loi de confiance dans la justice définitivement adopté, après un vote du Sénat
Après l’Assemblée nationale, le Sénat a adopté le projet de loi « pour la confiance dans l’institution judiciaire », sur lequel les deux chambres du Parlement s’étaient entendues en octobre. Le texte comporte des modifications de dernière minute, voulue par le gouvernement sur l’épineuse question du secret professionnel des avocats.
L’ultime vote du Sénat ce 18 novembre, deux jours après les députés, signe l’adoption définitive du projet de loi « pour la confiance dans l’institution judiciaire ». C’est donc le clap de fin après sept mois de discussions. La lecture des conclusions de l’accord, trouvé le 21 octobre entre députés et sénateurs, au Sénat marque donc le « terme d’un chemin long et sinueux qui, ces dernières semaines, était plus proche du rallye Corse que d’une longue promenade de santé », a souri la rapporteure du texte, la sénatrice LR Agnès Canayer.
Il faut dire qu’une partie importante des avocats a donné de la voix ces dernières semaines pour protester contre les dispositions concernant l’évolution du secret professionnel (relire notre article). « La profession d’avocat a une culture d’indépendance, une culture du secret, ceci l’a conduit à s’auto-considérer comme bénéficiant d’un secret professionnel dit général ou illimité. C’est exact en matière de défense, ce n’est pas le cas en droit positif en matière de conseil », a tenu à rappeler le second rapporteur du projet de loi, le centriste Philippe Bonnecarrère.
Le texte définitivement adopté prévoit d’étendre la protection du secret professionnel entre un avocat et son client aux activités de conseil. Cette extension a été introduite dans le texte par les députés dans le projet de loi, qui se limitait à l’origine à renforcer le secret professionnel dans le cadre d’une activité de défense. Mais ce secret en matière de conseil sera limité par trois cas de figure, des limitations dont le Sénat est à l’origine : les affaires de fraude fiscale, de corruption et de financement du terrorisme. « Aucun Français ne comprendrait qu’il n’en soit autrement », a insisté le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, alors que les avocats plaidaient pour un secret sans restriction.
« Personne ne pourra dire que nous avons voulu tuer le secret professionnel et que nous en serions les fossoyeurs », déclare Éric Dupond-Moretti
« Ceux qui ont pu dire que nous étions en opposition sur certains sujets, comme le sujet du secret professionnel, se sont trompés […] Le Sénat a rappelé, à juste titre, que le secret du conseil n’était pas absolu, qu’il n’était pas garanti par notre Constitution », a poursuivi le ministre. Pour lui, le conseil reste une activité « de service, une activité commerciale », que l’on retrouve aussi chez les notaires. « Personne ne pourra dire que nous avons voulu tuer le secret professionnel et que nous en serions les fossoyeurs, c’est insupportable car c’est le contraire », a-t-il ajouté.
Comme les députés, les sénateurs ont accepté une modification du gouvernement de dernière minute (et plutôt rare s’agissant d’un texte sur lequel les deux assemblées se sont entendues), pour reformuler l’article qui hérissait les barreaux, demandeurs d’une suppression totale. La modification s’est faite en concertation avec les deux rapporteurs des deux assemblées et la Chancellerie. Un alinéa de l'article jugé problématique a donc été retiré. Il prévoyait que le secret professionnel en matière de conseil ne s’appliquait pas « lorsque l’avocat a fait l’objet de manœuvres ou actions aux fins de permettre, de façon non intentionnelle, la commission, la poursuite ou la dissimulation d’une infraction ». L’article adopté précise enfin que le bâtonnier sera présent lors des perquisitions mettant en cause des avocats.
« Beaucoup d’avocats nous disent aujourd’hui merci et comprennent les avancées considérables qui ont été portées tant au secret de la défense tant au secret du conseil », a résumé le ministre. « Le secret professionnel est consacré désormais dans le Code de procédure pénale, ce qui n’était pas le cas avant. C’est une avancée inconstatable. »
Parfois qualifié de texte « patchwork » ou hétéroclite, le projet de loi comprend une série variée de dispositions comme la captation et la diffusion d’audiences pour le grand public (relire notre article), l’encadrement de la durée des enquêtes préliminaires, l’encouragement du bracelet électronique, ou encore la généralisation en 2023 des cours criminelles départementales, un sujet sur lequel le Sénat a refusé toute généralisation précoce.
« Des changements qui vont intéresser Éric Dupond-Moretti, justiciable », accuse la socialiste Marie-Pierre de la Gontrie
Le texte prévoit aussi une suppression des crédits de réduction de peines automatiques, une réforme du travail des détenus et remplace les rappels à la loi par un « avertissement pénal probatoire ». Le délai probatoire de l’avertissement pénal probatoire, qui a été fixé à deux ans par la commission mixte paritaire, a été ramené en tout fin d’examen à un an en pour les contraventions, « car la prescription de l’action publique pour les contraventions est de seulement un an », a rappelé le gouvernement.
Plusieurs groupes ont souligné que ce projet de loi sera loin de répondre en profondeur aux problèmes du monde judiciaire. La séance a été marquée par un rappel au règlement de la socialiste Marie-Pierre de la Gontrie. « Au fond, c’est un texte d’Éric Dupond-Moretti pour Éric Dupond-Moretti C’est-à-dire que lorsqu’on lit les seuls changements dans ce texte, ce sont des changements qui vont intéresser Éric Dupond-Moretti, justiciable, et ça, il faut le dire : la modification que le Sénat a souhaitée sur la prise illégale d’intérêts, les restrictions du pouvoir du parquet national financier et enfin, les encadrements de procédure lorsqu’il y a des investigations visant des avocats. »
Au terme d’un scrutin public, le projet a été définitivement adopté par 235 voix contre 94. Les trois groupes de gauche (socialistes, communistes et écologistes) s’y sont opposés.
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