Le protocole sanitaire dans les écoles : « Une usine à gaz » pour les enseignants

Le protocole sanitaire dans les écoles : « Une usine à gaz » pour les enseignants

Jeudi matin, les grandes lignes du protocole sanitaire destiné aux établissements scolaires ont été dévoilées par Le Monde. Ce document liste les règles à respecter pour éviter au maximum le risque de contamination du coronavirus quand les premiers élèves retourneront en classe après le 11 mai.
Public Sénat

Par Samia Dechir

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Pas question d’effusion pour les grandes retrouvailles des écoliers. Ceux qui retourneront en classe devront théoriquement respecter un mètre de distance avec leurs camarades et leurs enseignants, y compris dans la cour de récréation et les couloirs. À leur arrivée, ils devront se laver les mains, un geste à répéter après s’être mouchés, après avoir toussé ou touché un objet potentiellement contaminé.

Ils devront aussi respecter un « sens de circulation » indiqué par des marquages au sol dans l’établissement, qui sera régulièrement désinfecté. Pour éviter de se croiser, les pauses des différentes classes devront être prises en décalé, voire dans les salles de cours. Si un enfant présente des symptômes du coronavirus, il devra être isolé à l’infirmerie jusqu’à l’arrivée des parents.

Usine à gaz

Le document, largement inspiré des recommandations du conseil scientifique, suscite inquiétudes et critiques du milieu enseignant. « C’est une usine à gaz de règles de sécurité qui ne seront pas faisables et donc pas respectées. Les élèves vont passer la moitié de la journée à se laver les mains » dénonce Jean-Rémi Girard, président du syndicat national des lycées, collèges et écoles du supérieur (SNALC).

C’est sans doute chez les plus petits que la distanciation semble la plus compliquée à faire respecter. Enseignante en maternelle, Charlotte ne voit pas comment l’appliquer avec ses élèves plus de quelques minutes. « La première chose qu’ils vont faire en arrivant, c’est aller vers l’enseignant, vers les copains. Ils sont petits, ils ne vont pas rester assis, immobiles » explique-t-elle. Difficile en effet de demander à un enfant de trois ans de ne pas approcher ses camarades.

« Impossible à tenir dans le temps »

Dans le primaire aussi, les enseignants sont inquiets. « C’est impossible à respecter » nous confie la professeure d’une classe de CE1 en réseau d’éducation prioritaire (REP). « En REP, on nous a demandé d’enseigner autrement. Ma classe est remplie de jeux, d’ateliers, on doit faire de la manipulation. Ma méthode de mathématiques est basée sur des jeux d’entraide. Si j’y retourne, je ne pourrai faire que de la garderie améliorée, mais pas enseigner » s’inquiète-t-elle.

Beaucoup de directeurs s’interrogent sur la capacité de leur établissement à appliquer le protocole sanitaire. L’un d’eux explique par exemple qu’en primaire, il n’y a pas d’infirmerie pour isoler un enfant présentant des symptômes du coronavirus. Mais il craint surtout le relâchement de la vigilance. « En l’état actuel, avec un protocole sanitaire aussi strict, ce n’est pas très raisonnable de rouvrir les écoles, parce que c’est impossible à tenir dans le temps ».

Des écoles fermées

À Waziers, les écoles ne rouvriront pas. Dans cette commune du nord de la France, le maire a jugé qu’il n’était tout simplement pas possible de respecter le protocole sanitaire. La mairie n’avait pas les moyens de recruter assez de personnels pour assurer plusieurs services à la cantine, permettre un accueil échelonné des élèves le matin, ou désinfecter les sanitaires après chaque passage. Bruno Robin, qui dirige l’une des six écoles de la ville, se dit « soulagé » par cette décision. Ce membre du SNUIPP-FSU craignait, comme beaucoup de chefs d’établissement, d’être responsable pénalement en cas de contamination d’un élève dans son école.

Fallait-il attendre septembre pour rouvrir les établissements Pour Rodrigo Arenas, la réponse est oui. « On n’est pas prêts. 30 % des écoles n’ont pas assez de points d’eau pour le lavage des mains. On organise les inégalités entre les établissements » dénonce le coprésident de la FCPE, en référence aux communes qui n’auront pas les moyens d’assurer le nettoyage et les activités périscolaires des écoles.

« On avait les moyens de faire redémarrer l’économie autrement »

Tous les enseignants interrogés disent leur colère. Pour beaucoup, c’est un motif économique qui a d’abord motivé la décision de rouvrir les écoles : permettre aux parents de reprendre le travail. « On avait les moyens de faire redémarrer l’économie autrement » regrette Jean-Rémi Girard. Défavorable à une réouverture des établissements le 11 mai, le SNALC avait proposé au ministère d’élargir l’accueil minimum dans les écoles au-delà des enfants de personnels soignants. « Pourquoi pas pour les enfants dont les parents sont jugés indispensables à l’activité économique, ou sur critères sociaux. Mais ce n’est pas l’hypothèse retenue. Là, on fonce tête la première ».

Reprendre le contact

Certains sont plus partagés. Amenée à se déplacer dans de nombreux établissements, une psychologue scolaire nuance la faisabilité des mesures : « Ça dépend beaucoup des établissements. Certains sont modernes, avec de grandes classes. D’autres n’ont plus une seule salle de libre et ont des couloirs étroits ». Pour elle, la période qui s’ouvre jusqu’à l’été n’est pas une rentrée mais une reprise de contact. « On doit rouvrir les écoles. C’est important socialement pour les enfants, il y en a beaucoup qui sont en souffrance actuellement » s’inquiète-t-elle.

La décision finale d’envoyer les enfants à l’école ou au collège, lorsqu’ils seront ouverts, reviendra de toute façon à leurs parents. D’après Jean-Michel Blanquer, la réouverture vise d’abord à « aller chercher ces 4 % de décrocheurs que nous avons eus pendant le confinement ». Mais il semblerait pour l’instant que les enfants les plus nombreux à revenir en cours seront ceux issus des milieux aisés. En éducation prioritaire, beaucoup d’enseignants affirment que les parents sont plus réticents. Sur une classe de CE1 de 12 élèves, une enseignante de REP nous a confié qu’un seul de ses élèves allait reprendre le chemin de l’école après le 11 mai.

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