Depuis quelques jours, c’est une petite musique qui tourne dans les médias et sur les réseaux sociaux : le régime de retraite des sénateurs serait (trop ?) avantageux. La semaine dernière, Jean-Paul Delevoye, lui-même, n’a pas manqué d’associer le régime des parlementaires aux régimes spéciaux. « On voit bien que sur un certain nombre de principes d’universalité pour tous, la fin des régimes parlementaires et des régimes spéciaux, il y a un soutien populaire » a-t-il lancé devant le Congrès national des professions libérales.
Du côté de l’Assemblée nationale, on ne s’est pas senti visé par cette pique du Haut-commissaire aux retraites. Et pour cause, comme a aimé le rappeler, en réaction à l’un de nos articles le questeur LREM de l’Assemblée nationale, Florian Bachelier, « les députés ont dès le 1er janvier 2018 mis fin à leur régime spécial de retraites (…) d’autre part, nous voulons intégrer immédiatement le régime universel » a-t-il tweeté.
« Il vaut mieux attendre pour connaître les règles du jeu. On en a vu qui étaient droit dans leurs bottes et qui ont renoncé »
Invité de Public Sénat ce jeudi, Gérard Larcher a lui aussi confirmé que « naturellement le régime parlementaire du Sénat évoluerait pour rentrer dans la réforme générale des retraites ». Hasard du calendrier selon lui, c’est ce jeudi qu’il a annoncé au Bureau du Sénat la mise en place d’un groupe de travail pour plancher sur ce sujet. « Le régime des sénateurs sera adapté, dès lors que la loi portant réforme des régimes de retraite sera promulguée » précise le communiqué. « Cette réforme universelle des retraites, c’est quand même une révolution macronienne. Le texte arrive au Parlement dans deux mois. Il vaut mieux attendre pour connaître les règles du jeu. On en a vu qui étaient droit dans leurs bottes et qui ont renoncé » explique Éric Bocquet, sénateur communiste, membre du Bureau du Sénat.
1,4 milliard d’euros dans la caisse de retraite du Sénat
Pour rappel, le régime de retraite des sénateurs est financé par une caisse autonome créée en 1905 et dont le financement est « assuré par une cotisation des sénateurs (12%), par une cotisation employeur du Sénat (28%), ainsi que par un prélèvement sur les revenus procurés par les actifs financiers de la caisse autonome (60%) ». Selon les chiffres diffusés par Le Parisien, la caisse autonome du Sénat disposerait d’1,4 milliard d’euros. Ce qui fait dire à un sénateur contacté par publicsenat.fr, que « si l’État gérait la caisse nationale d’assurance retraite comme nous, il n’y aurait pas de problème ». Éric Bocquet rappelle, quant à lui, le souci du président de la chambre haute « de placer les actifs de la caisse autonome du Sénat dans des fonds éthiques ».
« Quand on veut laver plus blanc que blanc, il vaut mieux avoir les fesses propres »
Un autre s’énerve lorsqu’il prend connaissance de la phrase de Jean-Paul Delevoye. « Quand on veut laver plus blanc que blanc, il vaut mieux avoir les fesses propres ». Une référence à la rémunération de Jean-Paul Delevoye en tant que président de Parallaxe, un institut de réflexion dépendant du groupe de formation IGS. 16.000 euros perçus sur les trois derniers mois, alors que la Constitution interdit « toute activité professionnelle » aux membres du gouvernement.
La retraite des députés vs la retraite des sénateurs
Sur le site du Sénat, il est indiqué que « la pension mensuelle moyenne nette de retraite d'un sénateur, hors majoration pour enfants, était au 1er mars 2018 d'environ 3.856 € ». Selon nos informations, aujourd’hui, après un seul mandat, un sénateur perçoit à l’âge de la retraite, une pension de 2.190 euros net par mois. À l’Assemblée nationale, depuis 2018, « pour un mandat cotisé, les droits à retraite ouverts passent de 1 053 à 664 euros » peut-on lire sur le site de la chambre basse.
Cette comparaison entre les régimes des deux assemblées a le don d’en agacer plus d’un à la Chambre haute. « Le régime de retraites des sénateurs est un régime autonome, qui ne reçoit aucune subvention spécifique, qui applique les mêmes paramètres que ceux applicables au régime général et qui repose sur un régime de base par annuités et un régime complémentaire par points » a d’abord rappelé Gérard Larcher à la réunion du Bureau.
« J’en ai ma claque de cette histoire » s’irrite un sénateur LR. « On compare la retraite des sénateurs à celle des députés. Mais déjà, rappelons que la réforme de l’Assemblée nationale ne s’applique qu’aux nouveaux députés. Ils ont décidé de supprimer leur caisse autonome il y a 15 ans. Résultat, c’est l’État qui comble le déficit. Ça représente 64 millions par an. En comparaison, au Sénat, la cotisation employeur représente 9 millions sur les 342 du budget annuel. Je rappelle aussi que nous partons à la retraite plus tard que la plupart des Français : 71 ans de moyenne. Et nous cotisons 50% de plus (15,5% contre 10,5% pour les députés) » insiste ce sénateur LR.
« Le régime de retraite des sénateurs est favorable. Il ne faut pas se le cacher »
« Les députés sont allés très très loin. L’opinion publique s’interroge légitiment sur le montant des pensions des parlementaires. Le régime de retraite des sénateurs est favorable. Il ne faut pas se le cacher. Il s’agit d’argent public. Nous ne devons pas exercer un mandat électif pour nous enrichir. Ce sujet devra être abordé au moment de la réforme. Nous devons être transparents jusqu’au bout sans pour autant prêter le flanc à l’antiparlementarisme ambiant » reconnaît Éric Bocquet.
Pour mémoire, le Sénat a déjà réformé son régime de retraite en 2004, 2010 et 2014. En 2010, le système avantageux de double cotisation, qui prévalait jusque-là, a été supprimé, remplacé par un système de retraite complémentaire par points, comme AGIRC et ARRCO (voir notre article à l’époque ici. La durée de cotisation a aussi été progressivement relevée. « Elle a atteint 41 ans et 6 mois à compter du 1er janvier 2015 et continuera ensuite à augmenter régulièrement, jusqu'à 43 ans à l'horizon 2035 » précise le Sénat sur son site, soit le même nombre d’années que dans la fonction publique. Quant à l’âge de départ à la retraite, il est passé de 60 ans, pour les sénateurs nés avant le 1er juillet 1951, à 62 ans, pour ceux nés à compter du 1er janvier 1955.