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Le retour médiatique de Laurent Wauquiez : un « coup de vernis populiste sur un discours de droite assez classique »

Le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, pressenti pour porter les couleurs de LR à la prochaine présidentielle, a accordé une longue interview au magazine Le Point, après être resté plusieurs mois en retrait de la scène médiatique. Il esquisse plusieurs propositions de réforme, et développe un discours ambivalent, susceptible à la fois de parler aux électeurs de droite partis chez Marine Le Pen et à ceux qui ont voté pour Emmanuel Macron. Décryptage avec le communicant Philippe Moreau-Chevrolet.
Romain David

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Laurent Wauquiez est sorti de son silence avec un entretien fleuve accordé au Point. Dans cette interview de huit pages, publiée ce jeudi par l’hebdomadaire, le président Les Républicains du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes, souvent cité comme candidat putatif de sa famille politique pour 2027, commente l’actualité et esquisse quelques pistes de réformes pour « enrayer la décadence » qui frappe selon lui la France. Peu lui chaut les critiques sur son mutisme pendant le débat houleux sur la réforme des retraites, débat qui a vivement agité les députés de son parti avec la fronde de plusieurs LR contre le projet de loi, Laurent Wauquiez assume son silence. « J’ai choisi de prendre du recul », justifie-t-il tout en rappelant avoir donné sa position sur la réforme. « On ne devait pas s’opposer à cette réforme, même si une autre était possible », explique-t-il.

« Laurent Wauquiez a pris une défaite par personne interposée pendant le débat des retraites. L’échec d’Éric Ciotti à tenir ses troupes à l’Assemblée nationale est aussi le sien, puisque le patron de LR a fait de la candidature de Laurent Wauquiez à la présidentielle de 2027 le moteur de sa propre présidence à la tête du parti », décrypte pour Public Sénat Philippe Moreau-Chevrolet, professeur de communication politique à Sciences-Po et président de MCBG Conseil. « Il n’a pas réussi à prendre le contrôle de LR. Il tente donc une énième relance, dans un média de droite pour marquer son territoire ».

Dans cet entretien, Laurent Wauquiez cultive aussi la figure du retour et de la repentance, un thème cher aux politiques, sur lequel, par exemple, a joué à plusieurs reprises Nicolas Sarkozy en période de campagne électorale. « J’ai changé parce que les épreuves de la vie m’ont changé », assurait déjà le turbulent ministre de Jacques Chirac au moment de recevoir l’investiture de l’UMP pour la présidentielle de 2007. « Oui, j’ai connu des échecs. Oui, j’ai pris des cicatrices. J’ai appris ce qu’est la solitude de l’échec. J’ai appris à me remettre en question et ça m’a fait beaucoup de bien. J’ai appris l’importance de l’écoute et de l’humilité », développe, sur un registre similaire, Laurent Wauquiez. Une manière de justifier sa mise en retrait de la scène nationale et la diète médiatique des derniers mois.

Des appels aux électeurs de droite partis chez Emmanuel Macron ou Marine Le Pen

Surtout, l’ancien porte-parole du gouvernement de François Fillon, qui ne lève pas le voile sur ses ambitions présidentielles, détaille sa vision du pays, sans surprise très ancrée à droite et flirtant même avec le populisme. Pour autant, son propos est également traversé de nombreuses contradictions. Laurent Wauquiez s’attaque aussi bien à l’hyper-centralisation de la présidence d’Emmanuel Macron, auquel il trouve quelques qualités, qu’à différents contre-pouvoirs qu’il assume de vouloir faire disparaître pour renforcer la marge d’action de l’exécutif. Il évoque également la mise en place d’un « référendum automatique » annuel comme une « respiration démocratique », mais s’en réfère aussi à des figures despotiques comme l’empereur Auguste et Napoléon, ou encore à l’historien Jacques Bainville, monarchiste et membre de l’Action française. « Ces contradictions sont l’incarnation du problème de la droite : l’absence de positionnement idéologique clair et de point de vue original sur les institutions », relève Philippe Moreau-Chevrolet.

Si bien qu’au fil de ses réponses, Laurent Wauquiez semble tout à la fois vouloir donner des gages à l’électorat conservateur sur lequel il s’est souvent appuyé, notamment lorsqu’il présidait le parti de la rue de Vaugirard (2017-2019), et qui a pu filer chez Marine Le Pen ou Éric Zemmour, que chercher à envoyer quelques signaux aux sympathisants LR partis chez Macron, et qui devront se trouver un nouveau champion dans quatre ans.

Le motif de la décadence

Interrogé sur le climat social, Laurent Wauquiez n’y voit pas nécessairement un effet de la réforme des retraites, mais dénonce plutôt un « sentiment de délitement » et de « décadence française », conséquence selon lui « d’une idéologie de la déconstruction des repères [qui] ébranle notre pays plus qu’aucun autre ». Il déplore ainsi la remise en cause de l’autorité, « celle du Président de la République comme du professeur », et le risque d’effacement de la « République des valeurs » face aux « petits intérêts boutiquiers ».

Rappelons que le président du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes a fait de la lutte contre certains mouvements progressistes l’un de ses chevaux de bataille. Début janvier, dans un tweet, il pointait du doigt les « thèses wokistes » qui remettent en cause les racines gréco-romaines de la culture européenne. Un an plus tôt, il faisait suspendre les subventions régionales accordées à Sciences-po Grenoble, dénonçant dans un communiqué « la dérive idéologique et communautariste inacceptable » de cet établissement après la mise à pied d’un enseignant. En octobre 2021, il faisait la chasse à l’écriture inclusive dans les documents administratifs de sa région, estimant auprès du Figaro que celle-ci était porteuse « d’une vision dans laquelle s’emmêle dictature intellectuelle et wokisme ».

Un discours antisystème aux relents trumpistes

Laurent Wauquiez cible encore l’affaiblissement de l’exécutif, qu’il attribue à une prise de pouvoir par l’administration. « Un Etat profond s’est constitué avec une administration qui s’est autonomisée du politique, voire politisée avec ses propres objectifs », argue-t-il. L’expression « Etat profond », assez rare dans la bouche des politiques français, a été en revanche régulièrement utilisée par Donald Trump pendant sa présidence – « deep state » – pour faire peser sur une prétendue conspiration de l’ombre les échecs de sa politique. « Soit l’Etat profond détruit l’Amérique, soit nous détruisons l’Etat profond », a encore lancé le milliardaire le 26 mars dernier lors d’un meeting au Texas, rapporte franceinfo.

« Laurent Wauquiez cible les prétendues résistances internes à une action efficace de l’Etat. C’est un marqueur populiste assez classique qu’il n’est pas le premier à utiliser à droite en vérité », explique Philippe Moreau-Chevrolet. « Tous les candidats de sa famille politique ont fait ça : essayer d’imposer leur candidature en étant le plus à droite possible. Finalement, reprendre une expression utilisée par Trump, c’est donner un coup de vernis populiste sur un discours de droite assez classique. »

Plus encore, ciblant différentes autorités administratives et juridictions auxquelles il conteste toute légitimité démocratique – la Cnil, l’Arcom, la cour de cassation, le conseil d’Etat, la Cour européenne des Droits de l’homme, la Cour de Justice de l’UE et « en partie » le Conseil constitutionnel – Laurent Wauquiez appelle à la « suppression de la quasi-totalité des autorités indépendantes ». « À force d’avoir mis des contre-pouvoirs, il n’y a plus de pouvoir », commente-t-il.

En revanche, il souhaite systématiser le recours au référendum, évoquant le modèle suisse. « Il faut institutionnaliser chaque année un rendez-vous dans la Constitution, avec un référendum automatique. Pourquoi automatique ? Parce que, si le référendum est à la discrétion du président, les électeurs ne répondront pas à la question posée mais à celui qui la pose. Et il faut que ces rendez-vous démocratiques portent sur des sujets sur lesquels on a besoin d’entendre le peuple […] : que voulez-vous pour votre école, votre sécurité, votre retraite, votre système de santé ? », développe-t-il, toujours dans les pages du Point. Une proposition qui n’est pas sans rappeler la « révolution référendaire » promise par le Rassemblement national pendant la présidentielle. Marine Le Pen avait alors expliqué vouloir faire du référendum un « outil de gouvernement » comme un autre.

Des visées sur Matignon

En revanche, l’ancien président de LR porte un regard plutôt nuancé sur le bilan du chef de l’Etat : « Emmanuel Macron n’est pas responsable de cette décadence. Il est responsable de ne pas avoir su la corriger », estime-t-il. Il salue son action à l’international et le leadership qu’il a tenté d’incarner au niveau européen. « Il a porté une ambition, des idées. Il ne nous a pas fait honte, contrairement parfois à son prédécesseur », pointe cet ancien ministre chargé des Affaires européennes.

« Quoi que l’on en dise, la campagne présidentielle a bel et bien commencé et la question de la succession d’Emmanuel Macron se pose déjà, avec une campagne dans la campagne, celle pour Matignon, alors que l’on dit Élisabeth Borne sur la sellette. En ménageant le chef de l’Etat, Laurent Wauquiez adresse clairement une offre de service », décrypte Philippe Moreau-Chevrolet. « Son problème, c’est qu’il imprime beaucoup moins que Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, ex-LR dont le discours, à l’heure actuelle, est encore plus à droite que le sien. »

Plutôt César que Jupiter

Laurent Wauquiez n’hésite pas toutefois à critiquer la verticalité du pouvoir présidentiel tel qu’exercé par l’actuel locataire de l’Elysée, une manière de gouverner « archaïque », selon lui. « La vérité, c’est qu’Emmanuel Macron n’a jamais été Jupiter. À force de vouloir décider de tout, il ne décide de rien », analyse-t-il.

La pique surprend au regard des références historiques invoquées par Laurent Wauquiez dans cet entretien. « Dans l’histoire, aucun pays n’est sorti de la décadence sans changer la façon dont il était dirigé », soutient-il. Il nomme ainsi Octave devenu Auguste, et liquidant du même coup la République romaine pour un empire, ou encore Bonaparte laissant place à Napoléon et mettant ainsi fin à la Première République, là aussi pour mettre en place un régime impérial. Ces différents exemples étonnent, d’autant plus lorsque l’on se souvient que cet agrégé d’histoire avait déclaré lors d’un meeting de Valérie Pécresse qu’Emmanuel Macron tenait à la fois du « monarque » et du « dictateur ». Propos qu’il avait regretté quelques heures plus tard sur ses réseaux sociaux.

De façon un peu plus surprenante, Laurent Wauquiez cite le président Georges Pompidou comme son modèle, quand le général de Gaulle occupe généralement la première place au panthéon des personnalités préférées des responsables de droite. Un président auquel a parfois été comparé un certain… Emmanuel Macron, passé comme son lointain prédécesseur chez Rothschild.

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