« L’idée que je puisse être le ministre d’une justice qui prononcerait des condamnations à mort m’était insupportable ». Le 30 septembre 2011, s’adressant aux membres d’un hémicycle dont il avait, durant de nombreuses années, partagé les bancs, Robert Badinter évoquait le combat politique de sa vie : l’abolition de la peine capitale. Il s’agissait de sa dernière allocution au sein de la Chambre haute.
Le Sénat au cœur de l’histoire
Comme le soulignait l’ancien garde des Sceaux, « le Sénat a joué dans l’abolition de la peine de mort en France un rôle essentiel et complètement ignoré du public et des médias ». C’est lui, en effet, qui a permis, par son vote du 30 septembre 1981, de véritablement mettre un terme à cette pratique barbare, décision qui aurait bien pu ne jamais voir le jour.
Tout d’abord parce qu’alors que l’abolition allait de soi pour les parlementaires du Palais Bourbon, majoritairement de gauche, les choses semblaient moins évidentes du côté du Palais du Luxembourg où la droite, largement hostile à la réforme, dominait. C’est donc grâce à sa force de persuasion et par le soutien d’alliés multiples, dont le gaulliste Maurice Schumann, qu’il est parvenu à faire adopter ce texte important.
Mais aussi parce qu’une telle résolution reposait sur un certain courage politique. Selon les propres mots du sénateur des Hauts-de-Seine, « cette décision honorait d’autant plus les sénateurs qui l’ont prise, que l’opinion publique était, dans une large majorité, hostile à l’abolition ». Pour preuve, même trois années après l’abolition de la peine de mort, pas moins de 54 % de la population française demeuraient opposés à cette évolution législative.
Plus qu’une victoire politique
Pour le socialiste, l’adoption de cette réforme du Code pénal constituait une victoire majeure. Elle marquait en effet la fin d’un retard français en matière de droits humains, comparativement à d’autres grandes puissances européennes, tout autant que la fin de « deux siècles de débats passionnés autour de la peine capitale ».
Toutefois, à ses yeux, cette décision représentait bien plus. Elle était une déclaration morale, une pierre de plus de posée dans l’affirmation de la dignité humaine comme principe universel. Et s’il était question de morale, c’était que « le choix de chacun était (alors) affaire de conscience et non plus de politique ».
L’abolition en héritage
Le 9 février 2024, l’ancien garde des Sceaux nous quittait, rejoignant ainsi l’écrivain – et sénateur – Victor Hugo qu’il se plaisait souvent à citer ; cet illustre poète qui avait comme prophétisé la venue du sénateur des Hauts-de-Seine, concluant une ultime proposition d’abolition par ces mots : « Heureux si l’on peut dire de lui : “en s’en allant, il emporta la peine de mort” ».
L’héritage de Robert Badinter demeure cependant fragile. Alors qu’il nous invitait à ne « pas relâcher nos efforts », ces mots résonnent d’une bien étrange façon aujourd’hui, alors que la démocratie recule à travers le monde et que les attaques contre la justice se font de plus en plus virulentes.