Lutter contre des contenus jugés illégaux sur Internet pourrait revenir à se mettre dans la peau d’Héraclès s’attaquant à l’Hydre de Lerne. Tranchez une tête, et il en réapparaîtra une autre. C’est un peu le problème de sites internet bloqués par la justice. Leur réapparition sous de nouvelles formes ou noms – les sites miroirs – intervient plus rapidement que la procédure judiciaire. L’article 19 du projet de loi sur le respect des principes républicains (ou lutte contre les séparatismes) vise à renforcer la lutte contre ces « sites miroirs », il a été adopté au Sénat ce 2 avril.
En clair, selon cet article, l’autorité administrative pourra demander aux fournisseurs d’accès à Internet et aux hébergeurs de bloquer l’accès ou de déréférencer ces sites, déjà jugés illicites par une décision exécutoire. « Aujourd’hui, il fallait une procédure pour refaire fermer le site, comme si c’était un nouveau », a expliqué la rapporteure (centriste) Dominique Vérien. L’autorité administrative en question est l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication, qui gère la plateforme Pharos, nom plus connu par les internautes.
Une « avancée indispensable » selon Cédric O
L’article n’a pas convaincu tout le monde. « C’est un article purement déclaratif », a estimé la sénatrice LR Christine Bonfanti-Dossat, constatant l’absence de sanction prévue pour les hébergeurs qui refuseraient une demande des autorités. « Je ne crois pas que le fait qu’il n’y ait pas de sanction rende l’article totalement inopérant. Il n’y a pas d’exemple de fournisseur ou d’hébergeur ayant refusé d’appliquer une décision de justice ou d’autorité administrative », lui a opposé Cédric O, le secrétaire d’Etat chargé de la Transition numérique, qualifiant l’article d’ « avancée indispensable ».
Les sénateurs ont adopté un amendement technique du gouvernement élargissant les acteurs visés par les procédures (des exploitants de certains serveurs par exemple), et adaptant la procédure. Comme lors de l’examen en commission des lois, les sénateurs ont rappelé que les surcoûts pensant sur les intermédiaires techniques, lors de ces interventions, devraient être assumés par l’Etat.
Mais c’est surtout sur la définition de la notion de site miroir que la rédaction a évolué. A l'initiative des sénateurs du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (à majorité LREM), l’hémicycle a adopté un amendement « de compromis » entre la position des députés et celles des sénateurs en commission. Initialement, le projet de loi précisait qu’il était question de contenus qui reprenaient en « totalité ou de manière substantielle » le contenu jugé illicite. Les députés ont préféré indiquer que serait visé un contenu « équivalent à tout ou partie » du contenu incriminé par la justice. Une notion bien plus large. L’amendement est revenu à la première définition, jugée plus opérationnelle.
Le spectre de la loi Avia, censurée en juin 2020
En commission des lois, le Sénat avait voulu border le dispositif pour s’assurer notamment de sa constitutionnalité. La notion de « contenu équivalent » avait été précisée : les sénateurs avaient ajouté que les différences de formulations ne pouvaient être appréciées de manière autonome. La commission des lois avait également inséré le principe d’une information du responsable du service faisant l’objet d’une demande administrative de blocage.
La notion de « contenu identique ou équivalent » a fait débat. Très réservé, le sénateur socialiste David Assouline a mis en avant le « manque de précision » de ce critère, et s’est demandé si cela n’allait pas conduire à des décisions prises « arbitrairement ».
Ces débats sur la fermeture des sites miroirs auront rappelé aux sénateurs ceux autour de la proposition de loi de la députée LREM Laetitia Avia, luttant contre la haine en ligne. Des dispositions similaires étaient présentes à l’article 6 de cette proposition de loi, censurée en quasi-totalité par le Conseil constitutionnel en juin 2020. Le sénateur PS de Paris s’est même interrogé sur les effectifs de la plateforme de signalement Pharos, ou des faibles effectifs du tout nouveau parquet numérique spécialisé. « Sommes-nous outillés pour combattre la haine en ligne ? Parce que nous ne cherchons pas à pallier ce manque de moyens, on fait de l’inflation législative ? »
« Il est juridiquement et politiquement rapide de dire que nous réintroduisons par la fenêtre le contenu de la loi Avia », s’est défendu le ministre Cédric O. La censure de l’article 1er de la loi par le Conseil constitutionnel avait entraîné avec lui de nombreuses autres dispositions, dont celles sur les sites miroirs.