Le Sénat commence l’examen du budget 2021 avec une croissance de 6% revue à la baisse

Le Sénat commence l’examen du budget 2021 avec une croissance de 6% revue à la baisse

Le Sénat débute l’examen d’un budget 2021 « exceptionnel », avec le plan de relance d’une économie en pleine récession de -11 %. Le gouvernement est contraint de revoir ses prévisions économiques pour 2021 en raison du reconfinement. Les sénateurs comptent taxer les assurances, la vente en ligne et aider les collectivités.
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En économie, l’incertitude n’est jamais bonne. Pas de chance, on nage en plein dedans. L’énorme récession que traverse la France, la plus grave depuis la Seconde guerre mondiale, en raison de l’épidémie de Covid-19, et la part d’inconnue liée à la situation sanitaire rendent forcément la suite instable. C’est dans ce contexte que le Sénat entame ce jeudi l’examen du projet de loi de finances (PLF) 2021, trois jours après avoir adopté un quatrième collectif budgétaire 2020, rendu nécessaire avec le reconfinement.

Dès ses premiers mots, le ministre en charge des Comptes publics, Olivier Dussopt, a résumé la situation. « Ce projet de loi de finances est particulier, et à bien des égards, exceptionnel », alors que « le pays est traversé par l’incertitude liée à la crise sanitaire ». Le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a lui brillé par son absence, récurrente à la Haute assemblée sur les textes qui pourtant le concernent. Ce qu’a peu apprécié le rapporteur général du budget, le sénateur LR Jean-François Husson :

Je regrette et souligne l’absence de Bruno Le maire. En pareille circonstance, ce manque de respect est une faute.

« Cette hypothèse de croissance à 6 % aura des conséquences sur les grands chiffres »

Illustration de l’incertitude : le gouvernement est contraint de réviser, une nouvelle fois, ses prévisions économiques. Ce qu’il avait déjà fait pour préparer ce PLF. « Le rebond de la crise épidémique nous a amenés à revoir nos prévisions : une récession de -11 % plutôt que -10 % », un « déficit public particulièrement élevé » de « 11,3 % plutôt que 10,2 % et une dette de 119,5 % à 119,8 % du PIB » pour 2020 résume Olivier Dussopt, des chiffres plus « prudents » que les prévisions de la Banque de France.

Mais le gouvernement doit donc, à nouveau, revoir sa copie face aux conséquences du second confinement. « Nous prévoyions initialement un rebond de l’activité de 8 % grâce à la levée des contraintes sanitaires. Toutefois, avec la recrudescence de l’épidémie, nous avons intégré des comportements plus prudents de la part de tous les acteurs » explique Olivier Dussopt, avec « un chiffre de rebond à 6 % au lieu de 8 % » pour 2021. Un scénario à 6 % que la commission des finances estimait plus probable il y a déjà deux semaines (lire ici).

« Cette hypothèse de croissance à 6 % aura des conséquences sur les grands chiffres » prévient le ministre, « notamment le déficit », alors que le gouvernement tablait jusqu’ici sur un déficit public ramené à 6,7 % du PIB en 2021. « Cela se traduira inévitablement par une dégradation des autres ratios » ajoute Olivier Dussopt, sans pouvoir encore donner les chiffres pour le déficit et la dette. Pour modifier ses prévisions, le gouvernement attend l’avis du Haut conseil des finances publiques, qu’il n’a saisi que « mardi soir » pour « attendre » de voir « les effets » du reconfinement. Autre conséquence : « Pour les crédits de la mission urgence pour 2021, nous proposons de les ouvrir lors de la deuxième lecture, quand nous aurons plus de visibilité sur les conditions de sortie du confinement et les moyens nécessaires » glisse le ministre délégué aux Compte publics.

« Nous discutons d’un texte qui pourrait sous peu ne plus ressembler à ce qu’il est… »

Ce qu’apprécient peu, une fois encore, les sénateurs. « Nous venons d’apprendre que le gouvernement prévoit de réviser la croissance de 8 % à 6 % » « et le dispositif d’urgence devrait évoluer d’ici quelques semaines pour être intégré dans le PLF. Autrement dit, nous discutons d’un texte qui pourrait sous peu ne plus ressembler à ce qu’il est… » constate Jean-François Husson, qui « regrette » que le gouvernement attende « le retour du texte devant l’Assemblée pour acter ces changements ».

Olivier Dussopt a aussitôt tenté de calmer le jeu : « Si le Haut conseil […] rend son avis avant la fin de l’examen de la première partie (mercredi prochain, ndlr), nous intégrerons notre prévision pour faire en sorte que le Sénat adopte un texte le plus d’actualité possible » promet le ministre. Face à la pression des sénateurs, il ajoute « espérer obtenir cet avis lundi ». Le ministre insiste sur le « besoin de plus de lisibilité sur le rythme de sortie du déconfinement pour calibrer les mesures au mieux et faire en sorte, nonobstant le risque de troisième confinement que personne ne souhaite, que le PLF puisse porter les mesures nécessaires ». Incertitude quand tu nous tiens…

Le gouvernement a ouvert les vannes pour limiter l’incendie

Une chose est sûre, le gouvernement a ouvert les vannes pour limiter l’incendie. En septembre, il annonçait fièrement un plan de relance à 100 milliards d’euros tout rond. En réalité, pour les trouver, c’est un peu compliqué. La mission plan de relance ne compte que 36 milliards d’euros en autorisations d’engagement (l’argent qui sera dépensé à terme) et 22 milliards de crédits de paiement (c’est-à-dire l’argent réellement dépensé pour 2021). Où est le reste ? Une partie a déjà été prévue en 2020, une autre est à trouver dans la Sécurité sociale ou la Banque publique d’investissement, dans la baisse des impôts de production pour les entreprises (20 milliards sur deux ans), les investissements d’avenir (11 milliards) ou tout simplement dans les lignes de crédit classiques du budget (lire ici pour plus de détail).

Les différentes missions sont à la hausse, avec des ministères régaliens bien servis : 430 millions de hausse pour l’Intérieur, 1,7 milliard pour l’armée, 610 millions pour la Justice, soit une hausse de « 8 %, une augmentation inédite » (lire ici pour plus de détail). L’Education nationale gagne 1,4 milliard, la Transition écologique 1 milliard, l’Enseignement supérieur 500 millions, la Culture 150 millions.

Jean-François Husson (LR) pointe « les grandes insuffisances du plan de relance, notamment pour les plus fragiles »

Mais le compte n’y est pas, pour les sénateurs. Jean-François Husson regrette « les grandes insuffisances du plan de relance, notamment pour les plus fragiles », un « plan trop tardif ». S’il met en garde sur le poids du déficit, il alerte surtout sur « la situation de précarité sociale, écologique et territoriale ». Il ajoute : « La relance de l’économie doit être mise à profit pour impulser un renouveau, un changement profond des paradigmes, de notre modèle de production et de développement, s’appuyant, pour en faire des opportunités et des atouts, sur certaines contraintes écologiques et environnementales ».

Des propos qu’on n’était pas habitué à entendre dans la bouche d’un rapporteur général du budget du Sénat, ni même, généralement, dans celle des sénateurs LR. Son collègue du groupe LR, Jérôme Bascher, met lui en garde sur les prévisions de croissance qui risquent, estime-t-il, d’être encore plus mauvaises du fait du commerce extérieur. Le sénateur de l’Oise préfère encore rire de cette situation macroéconomique :

Aujourd’hui, c’est le Beaujolais nouveau et pour fêter tout cela, tous vos indicateurs sont au rouge !

Concrètement, le rapporteur va défendre une série d’amendements dans ce PLF (lire ici le détail), notamment pour créer une taxation exceptionnelle sur les assurances et la vente en ligne, comme Amazon. Le Sénat compte renforcer les compensations pour les collectivités, face aux pertes liées à la baisse des impôts de production, élargir le fonds de solidarité pour les entreprises et les indépendants, prolonger de six mois la prime à l’embauche pour les PME ou encore étaler sur 5 ans la hausse du malus auto pour les émissions de CO2, pour ne pas « tomber dans la fiscalité punitive ».

« La réduction d’impôt sur les entreprises n’est soumise à aucune contrepartie ou presque »

Le président PS de la commission des finances, Claude Raynal, demande pour sa part un réel effort pour « les plus démunis », alors que seuls « 86 millions d’euros sont prévus pour le programme aux personnes précaires ». Il pointe aussi le « risque de paupérisation de la jeunesse ». Les socialistes défendent la création d’une dotation « pour l’autonomie de la jeunesse », parmi de nombreux autres amendements (lire ici pour plus de détails). « La réduction d’impôt sur les entreprises n’est soumise à aucune contrepartie ou presque », dénonce le sénateur PS de Paris, Rémi Féraud, « pour un tel montant de 20 milliards d’euros, c’est un pari risqué ».

Le socialiste remarque que « la droite tire la sonnette d’alarme sur la pauvreté, mais la majorité sénatoriale est-elle prête à nous suivre ? » demande Rémi Féraud, qui appelle l’autre bord de l’hémicycle à « passer des paroles aux actes ». Le socialiste rappelle au passage que lors du PLFR, la droite a rejeté les amendements socialistes.

« Vous comptiez sur les ruissellements, nous attendons encore les premières gouttes »

Le communiste Eric Bocquet, défendant une question préalable pour arrêter l’examen du texte – elle a été rejetée – a rappelé le contexte des dernières années, où « les placements financiers des ménages les plus aisés ont augmenté de 45 à 143 milliards entre 2017 et 2018 » ou encore « la hausse des dividendes ». Et de lancer : « Vous comptiez sur les ruissellements, nous attendons encore les premières gouttes ».

Le sénateur PCF du Nord propose cette mise en perspective : « L’Etat français se finance autant par endettement que par l’impôt. Nous nous retrouvons de plus en plus sous tutelle des marchés financiers qui dictent leurs choix et exigent avec l’Union européenne, le FMI, la Cour des comptes, des réformes structurelles. C’est au nom de la dette, qu’on impose la réduction de la dépense publique, des privatisations, la dérégulation, et l’affaiblissement de l’Etat ».

En réponse, Olivier Dussopt récuse toute « qualification de néolibéral », « l’année où l’Etat s’est substitué aux entreprises pour garantir le maintien des salaires de 12 millions d’actifs, l’année où nous engageons 413 milliards d’euros de dépenses publiques ». Blague de Jérôme Basher : à ce niveau « de dépenses publiques, on est dans un pays communiste ! »

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