Le Sénat inquiet sur plusieurs points du plan de relance
La commission des Finances du Sénat a auditionné Bruno Le Maire et Olivier Dussopt sur le plan de relance. Sur le papier, beaucoup de sénateurs applaudissent la philosophie et les grands axes du texte. Mais, sur plusieurs modalités du plan, ils affichent leurs réserves.
Le plan de relance est attendu avec impatience à la commission des Finances du Sénat, chambre à majorité de droite et du centre. Elle en « approuve le principe » mais demeure inquiète sur sa traduction, qui n’interviendra pas avant l’issue de l’examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2021, en fin d’année. Auditionnés au Sénat ce 10 septembre, une semaine après la présentation du plan par le gouvernement, Bruno Le Maire (ministre de l’économie, des finances et de la relance), et Olivier Dussopt (ministre délégué chargé des comptes publics) ont dû préciser les grands choix du plan de relance. Au-delà de la réelle signification de l’enveloppe annoncée – cent milliards d’euros – les sénateurs ont demandé des détails sur les différents aspects du plan et ont livré certaines réserves, voire inquiétudes. Le rapporteur général de la commission des Finances, Albéric de Montgolfier (LR) a affirmé que le chiffre « séduisant » de 100 milliards d’euros « cachait des mesures d’ores et déjà votées », comme des mesures de soutien sectorielles pour plus de 5 milliards d’euros. « On nous recycle, j’ai l’impression, un certain nombre de mesures ».
Un plan mis en œuvre dans le projet de loi de finances 2021
Le calendrier, ensuite. Déjà en juillet, lorsque le Sénat examinait le troisième budget rectificatif de l’année, Albéric de Montgolfier s’inquiétait de l’absence de plan de relance à l’été ou la rentrée, et donc de l’impossibilité de mettre en œuvre des mesures de relance dès le deuxième semestre 2020. Aujourd’hui encore, le calendrier est accueilli avec « étonnement ». « Je vois déjà qu’il y a des appels à projet qui circulent déjà avec des délais très courts. Avant même que le plan soit examiné par le Parlement. »
Il y a deux mois, le gouvernement mettait en avant le besoin d’avoir plus de lisibilité sur la conjoncture internationale. Désormais, Bruno Le Maire défend l’absence d’un nouveau budget rectificatif avant les débats budgétaires de fin d’année par le « souci de simplicité et de démocratie ». « Je pense que le projet de loi de finances, c’est le cœur battant de la vie politique française […] Mettre un plan de relance en dehors du PLF, je trouvais que ça avait quelque chose d’artificiel. Cela n’exclut pas d’avoir un certain nombre de décisions prises maintenant, qui permettent d’anticiper des projets qui mettent du temps à être montés. » Il s’agit notamment d’appels à projet pour développer des chaînes de production industrielle ou des projets de rénovation énergétique dans des bâtiments publics.
Olivier Dussopt a en outre précisé que des dispositions votées dans le troisième projet de loi de finances rectificative pourraient garantir les financements des actions qui doit être mises en œuvre à la fin de l’année.
Dix milliards d’euros de baisses d’impôts pour l’industrie : des inquiétudes pour la libre administration des collectivités locales
Pour favoriser la relocalisation d’activités stratégiques comme les principes actifs de médicaments ou la production de batteries, le gouvernement compte sur l’amélioration de la compétitivité avec la baisse d’impôts de production, en particulier sur les entreprises industrielles. La CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises), perçue par les régions, va être divisée par deux. Même abaissement pour la cotisation foncière des entreprises (CFE) et la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), dont le produit vient nourrir essentiellement les recettes des communes et des intercommunalités. L’Etat compensera les collectivités locales chaque année à hauteur de dix milliards d’euros. Après la disparition de la taxe d’habitation, la menace d’une réduction de la libre administration locale inquiète chez les élus locaux, et par ricochet, au Sénat qui les représente. « On voit très bien qu’on est dans un mouvement de remplacement de la fiscalité locale par des impôts nationaux », interroge le sénateur LR Charles Guené. « Si vous voulez continuer à rassembler les Français, n’est-il pas temps de mettre ce dossier sur la table, pour évoquer une nouvelle gouvernance des finances locales ? »
Même si l’Association des régions de France (ARF) a noué un accord avec Matignon, compensant la disparition des recettes par l’affectation d’une fraction de la TVA, Bruno Le Maire reconnaît que le sujet est sensible. « Les collectivités territoriales seront intégralement compensées pour ces baisses de recettes. Et les communes gardent une liberté de fixation de taux. »
Le choix d’une affectation du produit de la TVA comporte un avantage, selon le ministre : la recette est « dynamique » et donc garantira une « bonne compensation ». Certains en doutent. « On aura sans doute un long débat car on substitue des impôts relativement stables pour y mettre à la place des impôts conjoncturels », insiste le rapporteur général, rappelant que la TVA ne s’est pas illustrée par un très bon rendement ces derniers mois. Bruno Le Maire a rétorqué que la consommation était « proche » du niveau avant crise (-2 % en août sur un an). « Nous sommes dans la bonne direction. Il ne faut pas se décourager par le moindre incident. Il y a aura forcément des trous d’air. »
Des sénateurs pointent l’absence de contrepartie pour les entreprises
Les doutes ne s’arrêtent pas seulement à la compensation, mais sur la philosophie même de cet allègement. « On l’a vu dans le passé avec le CICE [le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, NDLR], l’absence de conditionnalité risque une fois de plus de ne pas donner de résultats significatifs sur l’emploi », a observé le président du groupe RDSE (à majorité radicale) Jean-Claude Requier. Sophie Taillé-Polian sénatrice membre du mouvement Génération.s s’étonne, elle aussi, d’une « nouvelle baisse d’impôt sans contreparties ».
Sur le volet de l’emploi, Thierry Carcenac, sénateur socialiste, a demandé au gouvernement que les parlementaires soient informés des restructurations au niveau local, prévues par les grands groupes. Le ministre de l’Economie a fait la distinction entre les plans sociaux « nécessaires » pour permettre à des entreprises de « rebondir » et de « survivre » et les « plans sociaux d’aubaine ». « Ceux-là ne sont pas acceptables, nous ne les laisserons pas passer. Nous emploierons tous les moyens qui sont à la disposition du ministère pour les refuser » :
Roger Karoutchi « éberlué » par le « côté totalement aléatoire » de la gestion de crise
Quant à Jean-François Rapin (LR), il soulève la question de l’articulation entre le plan de relance français et le plan européen. « Qui va gérer les fonds ? Toutes ces questions n’ont pas encore de réponses. » Comme gage d’efficacité, Bruno Le Maire a expliqué dans son propos liminaire qu’il fallait une « centralisation des crédits » du plan français, d’où l’inscription d’une « mission relance » dans le budget. « Il faut veiller au décaissement des sommes au jour le jour », ce que des ministères ou des établissements publics ne pourraient pas surveiller aussi précisément selon lui. A ce stade, d’autres pointent également le flou, une fois sorti des grands axes du plan de relance. « Nous restons encore un peu sur notre faim sur le contenu concret des mesures comme les modalités de financement et le rythme d’engagement », note le sénateur Philippe Dominati (rattaché au groupe LR).
Au chapitre de la transition écologique, première des trois grandes priorités du plan de relance avec 30 milliards d’euros engagés pour réduire les émissions de CO2, Bruno Le Maire a défendu une nouvelle approche. « La transition écologique ne doit pas devenir un motif de conflit entre les Français. Nous avons eu suffisamment d’expériences ces dernières années », estime le ministre, se remémorant de décisions parfois trop « brutales ». Il plaide pour des « consultations les plus larges possibles ». Certains au Sénat se souvienne également de la fiscalité carbone qui a enflammé la fin de l’année 2018. « Jusqu’à présent, ça été un phénomène de division », intervient le sénateur Jean-François Husson (LR).
Si certaines parlementaires jugent que le plan comporte des angles morts voire des « parents pauvres » – la construction pour le sénateur LR Philippe Dallier ou l’accompagnement des plus précaires selon Sophie Taillé-Polian (Génération.s) – Roger Karoutchi (LR) estime que l’absence d’un élément fondamental peut mettre en péril l’édifice et l’optimisme du gouvernement : la confiance. « L’irrationnel domine, les gens ne veulent pas désépargner. Je suis un peu éberlué de voir dans ce gouvernement un côté rationnel, clair, précis à Bercy, et un côté irrationnel pour ne pas totalement aléatoire de la gestion de la crise. Si vous ne rendez pas confiance aux Français sur la crise sanitaire, vous ne rendrez pas confiance aux Français dans l’investissement. »
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