L’examen du projet de loi de financement pour la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2021 s’est prolongé toute la journée du samedi 14 novembre au Sénat. À l’approche de la fin du texte, les parlementaires se sont penchés sur les dispositifs de lutte contre la fraude aux prestations sociales, en adoptant une série d’amendements, à l’initiative de membres de la majorité sénatoriale de droite et du centre. Certains ont reçu un avis favorable du gouvernement, ce qui renforce leurs chances d’être définitivement adoptés à l’issue de la navette parlementaire.
Il faut dire que de nombreuses contributions ont alimenté ces derniers mois la réflexion en amont de ces discussions financières. Début septembre, la Cour des comptes a remis un rapport, commandé par la commission des affaires sociales du Sénat. Le même jour, une commission d’enquête à l’Assemblée publiait ses propres recommandations, après six mois de travaux. Et un an plus tôt, deux parlementaires (Carole Grandjean, LREM, et Nathalie Goulet, UDI) avaient déjà présenté un autre rapport, résultat d’une mission que leur avait confié le gouvernement.
Sans parvenir à de réels chiffrages de l’ampleur du problème, ces différents rapports avaient dressé un état des lieux des différents types de fraudes, dans chaque branche de la Sécu, afin de lister des propositions concrètes pour renforcer les conditions de délivrance des prestations et les moyens de détection des comportements fautifs. En amorce des débats, le sénateur centriste Olivier Henno a déclaré que ces travaux et discussions étaient « utiles ». « Souvent, on a abordé la lutte contre la fraude sociale avec trop de pudeur. Ça participe à la confiance au sein de la société française », a-t-il insisté.
Une demande de fusion de répertoires d’inscrits, contre l’avis du gouvernement
Plusieurs amendements portés par la sénatrice (Union centriste) Nathalie Goulet, l’un des fers de lance contre les fraudes fiscales et sociales au palais du Luxembourg, ont été adoptés par l’hémicycle. Contre l’avis du gouvernement, un amendement a précisé les conditions dans lesquelles devait s’opérer la vérification de la régularité de la situation des assurés étrangers affiliés à la Sécurité sociale. Celle-ci devra intervenir « dès l’ouverture du dossier de demande d’affiliation », un stade plus précis que « la procédure d’affiliation », tel que la loi le dispose actuellement. L’Assemblée nationale avait demandé, auparavant, que les différentes informations recueillies puissent être communiquées entre les différents organismes de la Sécurité sociale.
Afin de faciliter le suivi des données, et donc les opérations de contrôle, le Sénat a demandé, après l’adoption d’un amendement de Nathalie Goulet, de fusionner le répertoire national des bénéficiaires (RNB) des CAF et le répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS), qui se base sur le numéro d’inscription au répertoire (NIR ou numéro de Sécu). Rappelant un écart constaté de 2,35 millions de numéros entre deux bases, Valérie Boyer (LR) était même favorable à ce que le second fichier puisse intégrer un historique remontant jusqu’à 5 années dans les prestations accordées à chaque individu.
« Si nous ne sommes pas capables de prendre ce type de décision, je me demande pourquoi nous siégeons là ! »
Rappelant qu’il existait déjà des dispositifs existants, Brigitte Bourguignon, la ministre déléguée auprès du ministre des Solidarités et de la Santé, a fait savoir qu’elle était défavorable aux fusions, tout comme à un historique élargi sur cinq ans (contre 12 mois actuellement dans les caisses de Sécurité sociale). Ce chantier aurait nécessité des « travaux coûteux pour une plus-value limitée », selon ses mots. Sa position n’a pas été loin d’être accueillie avec consternation. « Franchement, c’est jamais possible ! Il faut savoir que si on veut lutter contre la fraude, il faut s’en donner les moyens », s’est exclamé le rapporteur général de la commission des affaires sociales, Jean-Marie Vanlerenberghe (MoDem). Valérie Boyer (LR) s’est agacée du « manque de volonté politique », ajoutant que les bibliothèques n’étaient pas « assez grandes pour accueillir tous les rapports qui dressent les solutions » pour lutter contre les fraudes. « Si nous ne sommes pas capables de prendre ce type de décision, je me demande pourquoi nous siégeons là. » À plusieurs reprises, Nathalie Goulet a également déploré le manque de soutien sur ses propositions, de la part du Sénat ou plus souvent du gouvernement.
Un autre amendement a imposé l’annulation systématique d’un numéro au répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP) obtenu de manière frauduleuse. Enfin, selon l’article adopté par le Sénat, il sera possible aux organismes gestionnaires de l’Assurance maladie de délivrer aux assurés une carte Vitale biométrique, sur la demande d’un Conseil régional. La ministre Brigitte Bourguignon n’a pas soutenu l’amendement, expliquant que ces questions seraient traitées début décembre à l’Assemblée nationale, dans le cadre d’une niche parlementaire du groupe LR.
Des mesures pour le déconventionnement des professionnels de santé qui ont fraudé
D’autres mesures ont fait plus consensus entre le ministère de la Santé et la chambre haute. Le rapporteur général de la commission des Affaires sociales, Jean-Marie Vanlerenberghe (MoDem) a voulu améliorer le recouvrement des sanctions financières en cas de détection de fraude, en portant jusqu’à cinq années le délai permis aux organismes. Actuellement, les caisses d’Assurance maladie et les caisses d’allocations familiales ne font pas la distinction entre des indus de nature frauduleuse et le reste, lié à des erreurs, ce qui limite leur action à deux années dans tous les cas. Avant l’adoption de cet amendement, le gouvernement avait émis un « avis de sagesse », ce qu’il signifie qu’il s’en remettait au choix de l’hémicycle.
Le rapporteur général a également réussi à renforcer les contrôles portant sur les professionnels de santé. Un autre de ses amendements adoptés permettra à l’Assurance maladie de déroger à l’obligation de paiement sous sept jours d’un professionnel de santé sanctionné ou condamné pour fraude au cours des deux dernières années. Selon un autre amendement adopté par l’hémicycle, un professionnel de santé condamné pour fraude au moins deux fois en cinq ans sera déconventionné d’office. Le gouvernement s’est déclaré favorable à ces deux amendements.
Deux décrets d’application dans l’attente depuis plus de dix ans
Autre contribution de Jean-Marie Vanlerenberghe : deux articles du Code de la Sécurité sociale (organisant notamment le déconventionnement d’urgence d’un professionnel de santé en cas de fraude grave) devront faire l’objet d’ici 9 mois de décrets d’application. Deux textes indispensables à leur mise en œuvre qui manquent à l’appel depuis… plus de dix ans, comme l’a récemment mis en lumière la Cour des comptes. La sénatrice Nathalie Goulet a souligné que ces mesures s’attaquaient notamment « aux gens qui ont les moyens » et qui « fraudent le système de l’intérieur ». La ministre Brigitte Bourguignon s’est engagée à ce que les textes réglementaires soient publiés « très prochainement », l’un d’entre eux étant actuellement examiné devant le Conseil d’État.
Dernier changement notable dans le projet de loi : soutenus par le gouvernement et à l’initiative du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (ex-LREM), les sénateurs ont supprimé un article jugé problématique, qui avait été introduit à l’Assemblée nationale. Ce dernier visait à conditionner les remboursements de l’Assurance maladie aux soignants à l’inscription de ces derniers à leur ordre professionnel. Une façon de lutter contre la fraude. Les sénateurs du groupe RDPI ont souligné que la solution pour améliorer le taux d’inscription, et espérer lutter contre la fraude, était « inadaptée », car l’arrêt des remboursements aurait des conséquences pour les patients. « Ils ne sauraient être tenus pour responsables des faits qu’ils n’ont pas commis », s’est étonné le sénateur Martin Lévrier.