Le Sénat propose un cadre juridique pour les restitutions de biens culturels aux pays étrangers
Une proposition de loi déposée par trois sénateurs réclame l’instauration d’un « Conseil national » des restitutions pour engager une réflexion sur les demandes formulées par les États étrangers. À travers ce texte, les élus dénoncent la propension du gouvernement à disposer de biens culturels inaliénables à des fins diplomatiques, sans passer, au préalable, par le Parlement.

Le Sénat propose un cadre juridique pour les restitutions de biens culturels aux pays étrangers

Une proposition de loi déposée par trois sénateurs réclame l’instauration d’un « Conseil national » des restitutions pour engager une réflexion sur les demandes formulées par les États étrangers. À travers ce texte, les élus dénoncent la propension du gouvernement à disposer de biens culturels inaliénables à des fins diplomatiques, sans passer, au préalable, par le Parlement.
Romain David

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Le sabre d’El Hadj Omar Tall, les 24 crânes de résistants algériens, et la couronne du dais de la reine Ranavalona III de Madagascar. Le point commun entre tous ces objets ? Au cours des deux dernières années, ils ont quitté les collections françaises pour être restitués au Sénégal, à l’Algérie et à Madagascar. Une liste à laquelle pourrait s’ajouter le célèbre tambour parleur des Ébriés. Emmanuel Macron a annoncé vendredi la restitution à la Côte d’Ivoire, d’ici la fin du mois d’octobre, de ce tam-tam de communication qui se trouve actuellement dans les collections du musée du quai Branly à Paris, mais aussi le retour au Bénin de 26 œuvres pillées en 1892, lors du sac du palais d’Abomey par l‘armée coloniale.

« Je suis parlementaire depuis 16 ans, et il n’y a jamais autant eu d’annonces de restitutions », confie la sénatrice Union Centriste Catherine Morin-Desailly, membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Le chef de l’État avait pourtant annoncé la couleur en novembre 2017, lors d’un discours à Ouagadougou : « Je veux que d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique ». Une promesse partiellement tenue en vérité, quatre ans plus tard l’exécutif a pris la fâcheuse habitude de s’émanciper du cadre légal supposé régir l’épineuse question des restitutions. Ce qui amène aujourd’hui Catherine Morin-Desailly et deux vice-présidents de la commission de la culture, le LR Max Brisson et le communiste Pierre Ouzoulias, à déposer une proposition de loi pour « la circulation et le retour des biens culturels appartenant aux collections publiques », afin d’apporter davantage de transparence aux décisions de restitution, mais aussi de replacer au cœur de la discussion des considérations scientifiques et patrimoniales.

L’inaliénabilité des collections françaises face au « fait du prince »

En l’état actuel du droit, la restitution s’oppose à l’inaliénabilité des collections, c’est-à-dire à l’impossibilité de vendre les biens conservés dans des établissements culturels nationaux, comme des bibliothèques ou des musées. Seul le déclenchement d’une procédure de déclassement, passant par le vote d’un texte de loi spécifique, peut contrevenir à ce principe. Un processus complexe, auquel le gouvernement a plus ou moins tordu le cou ces derniers mois en ayant recours à la convention de dépôt, qui concerne d’abord le prêt d’œuvres dans le cadre d’expositions à l’étranger. Une manière d’organiser à travers des dépôts de très longue durée un transfert de propriété déguisé, avant une éventuelle consultation des parlementaires.

Ainsi, le sabre d’El Hadj Omar Tall a d’abord été prêté en 2018 à Dakar pour une durée d’un an, puis de cinq ans, avant que le Parlement ne vote en 2020 une loi autorisant finalement la restitution officielle de cette arme. En novembre de la même année, le transfert en catimini de la couronne de Ranavalona III à Madagascar, au lendemain du vote d’une loi d’exception autorisant la restitution des biens culturels au Sénégal et au Bénin, a été vécu par les sénateurs comme un soufflet infligé par l’exécutif. « Nous avons également appris que les crânes de résistants algériens avaient été restitués subrepticement à Alger, sans que la représentation nationale ne soit consultée ! », ajoute, agacée, Catherine Morin-Desailly.

Au sein de la Chambre Haute, les élus s’inquiètent de cette façon de faire, et dénoncent ouvertement un « fait du prince » auquel profite l’absence de véritables garde-fous juridiques. « J’ai vécu les dernières restitutions comme ce qu’on appelait sous l’Ancien régime un lit de justice ! », soupire Pierre Ouzoulias, lui-même ancien conservateur du patrimoine au sein du ministère de la Culture. « Le patrimoine national appartient à la nation, et à ce titre, le seul organe qui peut décider de la restitution d’objets inaliénables, c’est le Parlement », souligne-t-il. « À mes yeux, en l’absence de décisions parlementaires, il ne s’agit pas de restitutions, mais seulement de dépôts ! », tempête le sénateur Max Brisson.

Mise en place d’un « Conseil national » des restitutions

« Le but de cette proposition de loi n’est pas de s’opposer au principe de restitution, mais de proposer un cadre et des mécanismes de contrôle, afin que les décisions de restitution soient prises en dehors de tout arbitraire », explique Catherine Morin-Desailly. Le texte propose ainsi l’instauration d’un « Conseil national de réflexions sur la circulation et le retour de biens culturels extra-européens ». Cette instance, composée de douze membres, historiens d’art, ethnologues, juristes, nommés par le gouvernement, sera saisie pour toute réclamation de biens culturels formulée par un État étranger. Elle émettra un avis public sur la question avant que les autorités françaises ne donnent leur réponse.

Mais peut-on parler d’un véritable pare-feu face aux desiderata d’un exécutif qui use aussi des restitutions comme instrument de sa politique étrangère ? « Nous ne sommes pas naïfs, la logique diplomatique continuera de jouer », admet le sénateur Union Centriste Laurent Lafon, président de la commission de la culture. « Mais l’objectif est de remettre en avant une logique patrimoniale et démocratique », en déclenchant un débat d’experts autour de chaque demande, mais aussi de favoriser, avis après avis, l’élaboration d’une doctrine française en matière de restitution d’œuvres d’art, face à un phénomène qui devrait continuer de prendre de l’ampleur. Au cours des cinq dernières années, les sénateurs ont listé sept demandes de restitution adressées au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, par le Bénin, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Tchad, Madagascar, le Mali ou encore l’Éthiopie. « D’autant qu’il ne pourra jamais y avoir de loi-cadre », avertit Pierre Ouzoulias. « Chaque œuvre est unique, on ne restitue pas des manuscrits coréens comme on restitue des objets d’art africains. »

Faciliter le retour des restes humains

La proposition de loi intègre également une disposition concernant la restitution des restes humains patrimonialisés, en élargissant la loi relative à l’annulation de l’acquisition d’un bien culturel d’origine illicite aux corps humains ou éléments de corps humain identifiés et faisant l’objet d’une demande de restitution. Cette mesure fait suite aux débats qui ont entouré la restitution en 2002 à l’Afrique du Sud de la dépouille de Saartjie Baartman, la « Vénus hottentote », et en 2011 celle de 21 têtes maories momifiés à la Nouvelle-Zélande.

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