Le Sénat demande aux services de la Douane un effort important de réorganisation. Dans un rapport sur le fonctionnement et les moyens dont dispose la Direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) face au trafic de stupéfiants, les sénateurs LR Albéric de Montgolfier et Claude Nougein se sont penchés sur le contrat d’objectifs et de moyens (COM) de cette administration pour la période 2022-2025. Ce document stratégique, présenté en décembre dernier par Olivier Dussopt, alors ministre délégué chargé des Comptes publics, fixe les engagements financiers de l’Etat au regard des missions qui sont confiées aux douaniers. Il prévoit un effort supplémentaire de 148 millions d’euros sur trois ans, dont 97 millions consacrés à des dépenses d’équipements. « Cette enveloppe n’est toutefois pas exempte de critiques », notent les élus. Leur rapport, mené dans le cadre de la mission de contrôle budgétaire de la commission des Finances de la Chambre haute, s’interroge ainsi sur « la sincérité » de l’effort vanté, alors que certaines dépenses, comme l’acquisition de deux scanners à rayons X ou encore le remplacement d’une partie de la flotte d’hélicoptères et de vedettes, inclus dans cet exercice budgétaire, étaient déjà prévues de longue date. Par ailleurs, 51 millions d’euros restent encore sans attribution.
Si les sénateurs ne proposent pas de revoir à la hausse les crédits alloués, ils appellent toutefois, à travers douze recommandations, à déployer d’importants efforts de gestion pour pouvoir recentrer la dépense sur la lutte contre le trafic de stupéfiants, dont la Douane est devenue l’un des acteurs majeurs. « Elle est à l’origine de 60 % à 80 % des saisies de stupéfiants sur le territoire national », note le rapport. Une mission qui tend à se renforcer dans les années à venir alors que le continent européen est devenu « le deuxième plus grand marché du monde pour la cocaïne et l’un des plus grands centres mondiaux de production de drogues synthétiques ». Par ailleurs, la plupart des missions fiscales confiées jusqu’à présent à la DGDDI ont été redirigées vers la Direction générale des finances publiques.
Une hausse importante des saisies
115 tonnes de stupéfiants ont été saisies par les services de la Douane en 2021, soit une augmentation de 31,5 % par rapport à 2020, selon des chiffres de la DGDDI. Ce fort rebond est pour partie imputable à la très forte baisse du trafic aérien, maritime, terrestre, et donc de la circulation des individus et des marchandises pendant l’épidémie de covid-19, il marque toutefois une hausse sensible par rapport aux chiffres d’avant crise (97 tonnes en 2018, 101 tonnes en 2019). En neuf ans, le volume des produits saisis a grimpé de 265,9 %. Dans le détail, 65 % des saisies réalisées en 2021 concernent le cannabis, 16,7 % le khat, 16,2 % la cocaïne, 1,3 % les drogues de synthèses, 0,9 % l’héroïne et les amphétamines.
Les voies de circulation varient selon la provenance des produits. La voie maritime est généralement utilisée par les trafiquants de cocaïne, obligeant les agents de la Douane à intervenir à la fois dans les ports, mais aussi en haute mer, sur les bateaux. Le transport aérien concerne la plupart des stupéfiants, mais son usage pour faire passer de la cocaïne, généralement en provenance de Guyane, fait l’objet d’une attention particulière de la part des autorités, en raison notamment du phénomène des « mules », certaines personnes ingérant directement les produits pour duper les agents de sécurité. « Il y a parfois plusieurs dizaines de passeurs par vol, les réseaux privilégiant une stratégie de saturation des vols, en étant prêts à sacrifier les premiers pris », notent les sénateurs. Enfin, les transports terrestres « sont fréquemment utilisés pour le trafic de résine de cannabis, notamment en provenance d’Espagne, et d’héroïne, par la route des Balkans. » Par ailleurs, une attention particulière est portée aux territoires ultramarins, souvent à la croisée des routes maritimes et aériennes.
Redéployer les fonds et les effectifs vers la lutte contre les trafics de stupéfiants
Les sénateurs identifient l’acquisition de matériel, notamment des scanners, fixes et mobiles, mais aussi les moyens maritimes et aériens, tels que des drones, comme un ressort essentiel de la lutte contre le trafic de stupéfiants. Ils recommandent un report annuel des crédits non consommés, afin de les allouer spécifiquement à l’achat de nouveaux matériels et aux dépenses informatiques. Surtout, ils proposent la mise en place d’un important programme d’économies, dont les principaux axes s’inscrivent dans la lignée de critiques déjà formulées en septembre 2020 par la Cour des comptes. Cette juridiction, chargée d’examiner la dépense publique, appelait alors à un « recadrage nécessaire », pointant la multiplication des exceptions statutaires, la complexité du régime d’indemnisation et un trop grand laisser-aller dans l’administration du parc immobilier.
« Simplifier les régimes statutaires et indemnitaires pourrait permettre de réduire la masse salariale et de réutiliser les économies ainsi induites pour financer les nouveaux emplois, en particulier dans les brigades de surveillance extérieure (ports, aéroports) ainsi qu’au sein de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières et des services en charge du fret express et postal », pointe le Sénat. De la même manière, l’informatisation des tâches permettrait de redéployer le personnel concerné sur des missions plus gourmandes en mains-d’œuvre. Sur l’immobilier, la Haute assemblée appelle à la « rationalisation » d’un parc locatif jugé vétuste, peu adapté aux besoins des agents, à la fois minés par les vacances et les loyers impayés.
Des unités médicales à l’intérieur des aéroports
Le Sénat estime également qu’un renforcement des coopérations est susceptible d’améliorer la lutte contre les trafics. À la fois au niveau européen, avec la mise en place d’une base de données commune à l’ensemble des services douaniers des 27, mais aussi au niveau national, entre les différentes administrations. Ils évoquent ainsi la possibilité d’un accord avec des établissements hospitaliers à proximité des aéroports d’Orly, de Cayenne et de Roissy, pour pouvoir y conduire rapidement les personnes ayant ingéré de la drogue, contre l’Hôtel-Dieu actuellement, en plein cœur de Paris. À terme, ils recommandent l’installation d’unités médicales dédiées à proximité, voire à l’intérieur de ces aéroports.