Invités à débattre du budget 2025 sur Parlement hebdo, le rapporteur LR de la commission des finances du Sénat, Jean-François Husson, et le député PS Arthur Delaporte, s’opposent sur le sujet. « Il faudra bien faire des efforts », défend le sénateur LR, quand le socialiste dénonce « un effort incommensurable ».
Le Sénat va-t-il voir son poids politique renforcé avec le gouvernement Barnier ?
Par François Vignal
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Au-delà des LR, le Sénat va-t-il être l’autre gagnant de la nouvelle configuration politique ? Conséquence du soutien de la droite à Michel Barnier et de l’entrée annoncée des LR au gouvernement, la Haute assemblée, détenue par la droite et le centre, pourrait en profiter pour voir son influence grandir.
La précédente législature avait déjà permis aux sénateurs LR et à l’Union centriste de peser davantage dans les débats. La majorité relative qui existe depuis 2022 à l’Assemblée avait rebattu les cartes. Emmanuel Macron pouvait s’appuyer sur les sénateurs LR pour espérer peser sur la position des députés LR, qui jouait le rôle de groupe charnière. On l’a vu lors de la réforme des retraites – Elisabeth Borne s’était inspirée de la réforme paramétrique que proposait chaque année la majorité sénatoriale lors de l’examen du budget de la Sécu – et encore plus clairement sur la loi immigration, où Bruno Retailleau et ses sénateurs LR avaient donné le la.
« Michel Barnier aura sans doute besoin de la majorité sénatoriale pour appuyer ses projets de loi »
Va-t-on voir la Haute assemblée encore renforcée ? « On a, à Matignon, un premier ministre issu des LR, c’est-à-dire la formation majoritaire au Sénat. Donc c’est un allié objectif des sénateurs. Il aura sans doute besoin de cette majorité pour appuyer ses projets de loi », souligne l’historien Jean Garrigues, « et puisque les majorités seront difficiles à trouver à l’Assemblée, c’est évidemment utile de pouvoir compter sur une majorité au Sénat ». Avec « une alliance plus solide entre LR et les groupes du centre et d’Ensemble, à l’Assemblée, ce sera sans doute plus facile effectivement de trouver des terrains d’accord », si bien que « dans le jeu du bicamérisme, il y a aujourd’hui peut-être une fenêtre de tir plus importante pour les sénateurs », ajoute Jean Garrigues.
« Là où cela va sans doute favoriser l’action normative de l’exécutif, c’est en commission mixte paritaire (où députés et sénateurs cherchent un texte commun en cas de désaccord, ndlr), car la majorité y sera sans doute plus facile à atteindre », souligne pour sa part Olivier Rouquan, politologue, enseignant-chercheur en Sciences politiques et chercheur associé au CERSA (Centre d’Études et de Recherches de Sciences Administratives et Politiques). Un point clef dans le processus parlementaire.
« Il est assez probable que beaucoup de textes commencent leur vie au Sénat »
« Ce qui va en faveur d’un renforcement du Sénat, c’est que le gouvernement Barnier s’appuie sur des forces politiques qui sont majoritaires au Sénat. La majorité relative de Barnier à l’Assemblée, c’est au bout du compte la majorité sénatoriale LR et centristes. Cette configuration-là donne évidemment au Sénat un poids important. Il est assez probable que beaucoup de textes commencent leur vie au Sénat pour en encadrer le fondement et en assurer la pérennité », avance pour sa part le constitutionnaliste Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’université Panthéon-Assas. « Et peut-être que le gouvernement aura besoin de se reposer sur le Sénat. Imaginons que la réforme des retraites est abrogée par l’Assemblée, c’est possible. Si le gouvernement veut l’enterrer, il peut compter sur le Sénat, qui rejettera le texte. Et le gouvernement ne donnera pas le dernier mot à l’Assemblée », imagine le constitutionnaliste. Globalement, « le poids politique des sénateurs est évidemment renforcé. Il y a un rôle extrêmement important ».
Autre facteur qui pourrait jouer en faveur du Sénat : « Michel Barnier se présente comme un représentant des territoires. Par rapport à une chambre qui se définit comme la chambre des territoires, il y a de facto une proximité qui se crée et une forme de renforcement implicite. Barnier a intérêt à s’appuyer sur cette dimension locale pour prendre un peu de distance vis-à-vis des partis et montrer sa différence avec Emmanuel Macron », note Jean Garrigues.
Principe de réalité
Mais cette lecture d’un Sénat renforcée serait un peu trop courte. La réalité est plus complexe. Olivier Rouquan tempère ainsi cette vision. « Ça fera du Sénat, sur de nombreux textes, une chambre qui va faciliter l’action de l’exécutif. Pour autant, c’est toujours l’Assemblée qui a le dernier mot », rappelle l’enseignant-chercheur. Olivier Rouquan ajoute :
Et si les LR retrouvent de l’air, politiquement, ils ne seront pas seuls à gouverner. « Si on voit les réactions d’une partie de la gauche macroniste sur la suppression de l’Aide médicale d’Etat, on voit que ce ne serait pas du tout évident que ça puisse passer », alors que la mesure est défendue par la droite sénatoriale et les LR, remarque Jean Garrigues, qui ajoute que « la coalition Ensemble, c’est trois fois plus de députés que les LR à l’Assemblée. Ils pèseront moins ». Le principe de réalité pourrait vite s’imposer à la droite, une fois la session parlementaire reprise…
« Le vrai patron du gouvernement, c’est cette majorité capricieuse à l’Assemblée »
Benjamin Morel apporte aussi un bémol. « A côté de ça, il y a un gouvernement qui repose sur une majorité très compliquée, très instable, avec un RN qui a décidé de ne pas le renverser. Le vrai patron du gouvernement, c’est cette majorité capricieuse. Si sa survie en dépend, le gouvernement devra céder à l’Assemblée. Si jamais il y a des arbitrages sénatoriaux qui créent des tensions trop importantes à l’Assemblée, le gouvernement devra donner quitus à l’Assemblée », avance le professeur de droit, qui insiste : « Si la majorité à l’Assemblée exige quelque chose, avec un équilibre trouvé très délicat, un modus vivendi, le Sénat aura très peu d’influence alors. Si le Sénat décide d’imposer sa version, ça peut faire capoter le deal d’une majorité improbable ».
Bilan des courses, selon Benjamin Morel, « en période de faible tension, le Sénat peut jouer un jeu où il est gagnant, avec son expertise sénatoriale, mais sur les sujets très politiques, très compliqués, avoir l’aval du Sénat sera un luxe que le gouvernement ne pourra pas se permettre de rechercher ». « On peut dire qu’a priori, il y a une forme de renforcement du Sénat, dans la mesure où il devient l’assemblée par excellence en soutien à la majorité gouvernementale. De ce fait, il a un rôle plus important. Mais c’est plus sur le terrain politique qu’institutionnel », résume de son côté Jean Garrigues.
« Le rapport de force est complètement inversé au Sénat »
Autre conséquence de taille pour le Sénat, avec des LR embarqués dans le futur gouvernement Barnier : la majorité sénatoriale, qui était dans l’opposition au gouvernement, se retrouve dans la majorité. Un revirement à 180 degrés qui va changer beaucoup de choses au Palais de Marie de Médicis. « Le rapport de force n’est plus du tout le même au Sénat. Il est complètement inversé. Depuis 2017, on avait une opposition bipolaire, avec d’un côté les PS et de l’autre les LR, prenant en étau la majorité présidentielle. Là, c’est le contraire. C’est comme si les centristes et les macronistes entraient dans une majorité sénatoriale qui est un soutien du gouvernement », relève Jean Garrigues.
La gauche sénatoriale, qui partageait avec les LR l’opposition à Emmanuel Macron à la Haute assemblée, va se retrouver seule en piste sur ce terrain. De quoi tendre les débats dans l’hémicycle. Les discussions, généralement plus policées au Sénat qu’à l’Assemblées, pourraient gagner en intensité avec ce nouveau clivage.
Le Sénat contre-pouvoir, « c’est fini », pense Jean Garrigues
Un autre effet devrait se faire sentir dans les mois à venir : il ne serait pas étonnant que la mission de contrôle du gouvernement par le Sénat soit exercée différemment. Pas sûr qu’on retrouve une commission d’enquête comme celle sur l’affaire Benalla, où le Sénat et l’exécutif entretenait des relations polaires, ou celle sur le covid-19, les cabinets de conseils ou le fonds Marianne. La Haute assemblée avait gagné une image de contre-pouvoir à Emmanuel Macron. « Ça, c’est fini. Ça me semble terminé. Ce serait cohérent. Ça va s’estomper, logiquement. On peut parier que les commissions d’enquête ne seront pas diligentées par la majorité sénatoriale, du moins pas à l’encontre du gouvernement Barnier », pense l’historien. Dans la période politique très instable qu’on connaît depuis la dissolution, on n’est plus à une surprise près.
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