Lecornu chargé d’ultimes négociations : « Emmanuel Macron va se retrouver exposé très vite », selon Stéphane Zumsteeg (Ipsos)

Le chef de l’Etat a chargé Sébastien Lecornu de mener deux nouvelles journées de consultations pour ramener de la stabilité politique. Pour plusieurs invités de notre émission Sens Public, c’est un chef du gouvernement démissionnaire profondément affaibli qui va tenter d’arracher un accord. En cas d’échec, c’est bien le président de la République qui se retrouvera face à l’opinion, soulignent plusieurs analystes.
Rédaction Public Sénat

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C’est l’ultime rebondissement d’une journée chaotique. Malgré la démission ce matin de Sébastien Lecornu, qui jugeait que les « conditions n’étaient plus remplies » au vu des critiques très dures dans les oppositions comme dans le socle commun vis-à-vis de la composition son gouvernement, l’Elysée a chargé en fin d’après-midi le Premier ministre démissionnaire d’une mission de la dernière chance.

Emmanuel Macron a demandé à son éphémère chef du gouvernement de mener « d’ultimes négociations » d’ici « mercredi soir » afin d’aboutir à une « plateforme d’action » pour la « stabilité du pays ». Sébastien Lecornu rendra compte de ses consultations mercredi soir, pour que le chef de l’Etat « puisse en tirer toutes les conclusions qui s’imposent ».

Selon Le Parisien et Le Figaro, le locataire de Matignon ne souhaite pas être reconduit, même dans l’hypothèse d’un succès. Cette ultime prolongation des consultations, entamées il y a près d’un mois, ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices.

Sébastien Lecornu « est en situation de faiblesse absolue »

La situation est baroque au vu de plusieurs observateurs. « S’il démissionne, il démissionne. C’est la parole du chef du gouvernement, c’est presque la parole de l’Etat dont il s’agit. Il ne peut pas, quelques heures plus tard, dire : c’est compliqué. On est dans le dur, du point de vue des mécaniques de la confiance politique », s’étonne ainsi Bruno Cautrès, chercheur CNRS au CEVIPOF et enseignant à Sciences Po

Bastien François, professeur de science politique à l’Université Paris I, juge pour sa part le Premier ministre sortant très affaibli, avec une grande interrogation sur son autorité. « En réalité, c’est un Premier ministre un peu ectoplasme que l’on nous remet sur le devant de la scène. » Le malaise est profond au sein de ce qu’il était coutume d’appeler le socle commun, le casting gouvernemental ayant irrité plus d’une famille politique dans cet arc central. « L’alliance avec LR semble vaciller. C’est plus que ça : le socle commun a perdu aussi ses partenaires centristes, de l’UDI », fait remarquer Aurore Malval, grand reporter au service politique de Marianne.

« Il est en situation de faiblesse absolue vis-à-vis des Républicains, qui ont obtenu ce qu’ils souhaitent en partie, en ce qui concerne l’éphémère ministre des armées. Comment imaginer, alors que le Parti socialiste vient de réclamer à nouveau Matignon, après une longue séance d’absence, qu’il pourrait accepter une non-censure dans un gouvernement, qui serait une sorte de copier-coller, sans Bruno Le Maire ? L’équation me paraît encore plus compliquée », réagit sur Public Sénat Stéphane Zumsteeg, directeur du département politique et opinion d’Ipsos.

Tout à long de la journée, de plus en plus de chausse-trapes se sont dressées sur le chemin de Sébastien Lecornu. En fin de journée, Éric Ciotti a annoncé que le RN et ses alliés censureraient « systématiquement tout gouvernement » jusqu’à une dissolution, de quoi remettre les partis de gauche, hors France insoumise, en position de force dans les négociations. Or, le patron de LR Bruno Retailleau a répété à la mi-journée que le sens de la participation de son parti au gouvernement était de « faire barrage » à la gauche. Des demandes irréconciliables pour le négociateur des 48 heures à venir.

« Une forme de responsabilité personnelle » du président de la République qui se joue

Et à l’instar du RN, de plus en plus de responsables politiques plaident ouvertement pour une dissolution de l’Assemblée nationale et donc de nouvelles élections législatives. « Plus les Premiers ministres tombent, plus chacun des partis veut aller à la dissolution, plus le président de la République est exposé. Il n’y a plus que lui qui sera en rétention de cette dissolution, il y a une forme de responsabilité personnelle qui s’y joue », observe la constitutionnaliste Anne-Charlène Bezzina.

Dans une annonce laissant la porte ouverte à toutes les interprétations possibles, Emmanuel Macron s’est d’ailleurs dit prêt à « prendre ses responsabilités » en cas de nouvel échec du Premier ministre démissionnaire.

Pour plusieurs experts invités de notre plateau, le risque est réel que le faisceau de responsabilités pointe de plus en plus vers l’Elysée dans les heures à venir, alors que l’instabilité s’intensifie de plus belle, moins d’un an et demi après la dissolution de juin 2024. Emmanuel Macron « me donne l’impression d’être une sorte de forcené, quelqu’un de replié à l’Élysée, qui tente de négocier des rallonges, des sursis provisoires », commente Mathieu Souquière, essayiste et expert à la Fondation Jean Jaurès

En toile de fond de cette crise politique, se joue également le budget 2026 après plusieurs années de plongée du déficit. Depuis plusieurs mois, l’incertitude a grippé l’économie, et des tensions se matérialisent sur les taux français ou encore la Bourse de Paris. « Si les Français font le lien entre instabilité politique et détérioration du contexte économique, cela va poser un sérieux problème à Emmanuel Macron. Il va se retrouver exposé très vite, et de façon très dangereuse », anticipe Stéphane Zumsteeg, d’Ipsos.

« Pour l’opinion, Emmanuel Macron va être très clairement pointé du doigt sur sa responsabilité. Les indicateurs de popularité sont encore plus mauvais que d’habitude. Il y a une opinion publique qui doit être chauffée à blanc, dans un mélange de dégoût, de lassitude et de confusion », décrit Bruno Cautrès.

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