Le gouvernement Lecornu avait duré quelques heures. Le gouvernement Lecornu II va-t-il durer quelques jours ? C’est la question qui est dans toutes les têtes à en ce début de semaine qui s’annonce décisive pour l’exécutif.
Un premier conseil des ministres se tiendra mardi matin. Le gouvernement y présentera un projet de budget avec « un objectif de déficit inférieur » à 5 % du PIB selon la nouvelle porte-parole du gouvernement Maud Bregeon. L’épreuve de vérité aura lieu l’après-midi avec la déclaration de politique générale du Premier ministre à l’Assemblée nationale.
De ce discours dépendra l’avenir du Premier ministre soumis à plusieurs motions de censure. La première a été déposée par LFI et quelques élus écologistes et communistes, la deuxième par le RN et l’UDR d’Éric Ciotti. Le parti de Marine Le Pen a déjà indiqué qu’il voterait la motion des Insoumis dont l’examen devrait avoir lieu mercredi. Du côté de socialistes, on n’exclut pas le dépôt d’une autre motion de censure à l’issue du discours de politique générale, si Sébastien Lecornu ne répondait pas à leurs demandes.
S’il en était besoin, un rapide rappel s’impose ici. C’est l’article 49, alinéa 2 de la Constitution de 1958 qui permet la motion de censure : « L’Assemblée nationale met en cause la responsabilité du Gouvernement par le vote d’une motion de censure […]. La motion de censure ne peut être adoptée qu’à la majorité des membres composant l’Assemblée ». Avec deux sièges vacants, le total des sièges pourvu à l’Assemblée est actuellement de 575, il faudrait donc 288 voix pour faire tomber le gouvernement.
« Le PS ne peut pas éviter le vote de la censure, s’il n’obtient pas a minima 2 totems »
Si l’on additionne les voix des communistes (17), des écologistes (38) et ceux de la France Insoumise (71), soit 126 sièges aux voix du RN (123) et de l’UDR d’Éric Ciotti (15), on arrive à un total de 264 sièges, reste donc 24 voix à aller chercher notamment chez les 69 députés socialistes.
« Le PS ne peut pas éviter le vote de la censure, s’il n’obtient pas a minima 2 totems : la confirmation du renoncement à l’article 49.3 de la Constitution et le mot magique de la suspension de la réforme des retraites. On peut être, à cet égard surpris de la non-reconduction d’Élisabeth Borne au gouvernement. Comme si elle devait payer son initiative de la semaine dernière en faveur de la suspension de la réforme », analyse Luc Gras, politologue, auteur de « La démocratie en péril ».
Du côté du PS, un accord de non-censure n’est, en effet, pas encore écarté à ce stade avec en préalable une suspension « immédiate et complète » de la réforme des retraites de 2023, c’est-à-dire non seulement la mesure de l’âge légal de départ mais aussi l’accélération de la hausse du nombre de trimestres cotisés.
Quelles « concessions remarquables » pour le PS ?
« De toute façon, si Sébastien Lecornu n’annonce pas une suspension de la réforme des retraites, c’est la censure immédiate et imminente », appuie Stéphane Zumsteeg, directeur du département politique et opinion d’Ipsos. « Et c’est l’erreur tactique du président de la République. En persistant, depuis un an, à nommer à Matignon des gens de plus en plus proches de lui, il n’a fait que monter les enchères. Le PS qui aurait pu, il y a quelques mois, se contenter d’une suspension de la réforme, va demander beaucoup plus. Ils vont demander des concessions remarquables, pour reprendre les mots d’Olivier Faure, sur la taxation des plus riches et sur le pouvoir d’achat ».
Mais avec un gouvernement qui ne tient qu’à quelques voix près, le Premier ministre va devoir faire de la dentelle et tenir compte des votes intragroupes. En février dernier, malgré la décision du Bureau du parti de ne pas censurer le gouvernement Bayrou, 8 députés socialistes s’étaient affranchis de la consigne. Une fronde à relativiser néanmoins. Puisque le RN avait décidé de ne pas voter la censure, le gouvernement n’avait aucune chance de tomber.
« Le problème, c’est qu’Emmanuel Macron confond son pouvoir, un certain nombre de compétences qui lui sont propres comme la prérogative de nomination du Premier ministre, avec son autorité. Or, ce n’est pas la même chose », souligne Thibault Mulier, maître de conférences en droit public à l’Université Paris Nanterre. « Par les excès d’usage de son pouvoir, Emmanuel Macron a perdu de l’autorité et finit par poser, lui-même, la problématique de sa légitimité. Les votes intragroupes sont de moins en moins structurés », ajoute-t-il, tout en rappelant, une règle immuable sous la Ve République. « Plus on s’approche d’une élection présidentielle et plus un Président sortant qui ne peut se représenter perd son autorité ».
« La fenêtre de tir existe, mais elle est ténue »
De quoi imaginer des députés du bloc central voter la censure ? « Ce n’est pas un pari, c’est une accumulation de paris que va faire Sébastien Lecornu », reconnaît Stéphane Zumsteeg. « Il va devoir accumuler les gestes en direction du PS tout en comptant sur la mansuétude et la neutralité bienveillante de LR et d’Horizons pour qu’ils ne basculent pas dans la censure. Une majorité de députés Les Républicains s’est prononcée pour un maintien au gouvernement et 6 ministres sont issues de leur rang, malgré le mot d’ordre de Bruno Retailleau. Mais une partie des députés Liot pourrait aussi censurer. Tout est possible. La fenêtre de tir existe, mais elle est ténue ».
Emmanuel Macron n’a pas facilité la tâche de Sébastien Lecornu en ciblant ce matin « les forces politiques qui ont joué la déstabilisation de Sébastien Lecornu sont les seules responsables de ce désordre ». On a connu meilleurs arguments pour apaiser les élus.