C’est une idée comme tant d’autres qui a au moins le mérite de relancer le débat sur la représentativité du mode de scrutin des élections législatives. Elle a germé dans l’esprit de Jean-Louis Missika. Dans les colonnes du Figaro, l’ancien adjoint d’Anne Hidalgo à la mairie de Paris, ex-soutien d’Emmanuel Macron à l’élection présidentielle de 2017 et membre du groupe de réflexion Telos, propose de revenir sur le seuil de 12,5 % des inscrits, nécessaire pour pouvoir se maintenir au second tour, et de l’abaisser à 10 % des suffrages exprimés. « Avec une abstention galopante, ce seuil devient impossible à atteindre et étouffe la démocratie », justifie-t-il. Un mois plus tôt sans une autre tribune publiée sur Slate.fr et cosignée avec le politologue Gérard Grunberg, Jean-Louis Missika rappelait : « En 2017, avec une abstention de 51 %, il fallait obtenir au moins 26 % des suffrages exprimés […] un seuil impossible à atteindre pour la plupart des candidats », expliquait-il.
Sa solution permettrait, selon lui, de contenir l’abstention entre le premier et le deuxième tour. « Surtout, ce seuil abaissé obligerait candidats et partis à faire des alliances pour le second tour. Si plusieurs candidats de gauche ou plusieurs candidats de droite peuvent se maintenir, des discussions s’imposent. On retrouve l’un des buts de la proportionnelle : la gouvernance partagée et la construction d’alliances politiques », fait-il valoir.
Toujours dans les colonnes du quotidien, ce changement des règles de scrutin proposé pourrait faire la part belle à La République En Marche. La piste évoquée ne serait pas un abaissement du seuil à 10 % des suffrages exprimés mais à 7,5 % des inscrits afin de multiplier les triangulaires. Dans l’hypothèse d’une courte victoire d’Emmanuel Macron sur Marine Le Pen, ce changement de seuil permettrait « à LR de se maintenir malgré la démobilisation de son électorat. Pour éviter que les électeurs LR, de plus en plus radicalisés et déçus d’avoir perdu la présidentielle pour la troisième fois de suite, ne se tournent vers le RN […] Dans d’autres circonscriptions, il s’agit de faire qualifier LFI pour empêcher l’union de la gauche, et là encore, sauver les Marcheurs », explique un cadre de la majorité.
François Patriat : « Ça s’apparenterait à de la manipulation politique »
Pas vraiment au courant de cette piste, d’ailleurs totalement virtuelle à ce stade, le patron du groupe LREM du Sénat, François Patriat y est, néanmoins, totalement défavorable. « A un an des élections, faire une réforme qui aurait pour but de multiplier les triangulaires, ça s’apparenterait à de la manipulation politique. A titre personnel, j’étais en faveur d’une grande réforme institutionnelle qui aurait conduit à une baisse du nombre de parlementaires et donc de facto à un redécoupage des circonscriptions. C’est maintenant trop tard. Ça n’a pas pu se faire car le Sénat l’a empêchée » reproche-t-il. Le Sénat a toujours rejeté la responsabilité de l’échec de cette réforme, promesse d’Emmanuel Macron, maintes fois repoussée. Et si les sénateurs n’ont jamais été très friands de la réduction du nombre de parlementaires, les députés LREM ne l’étaient pas non plus (voir nos articles ici et ici).
Le président du groupe PS du Sénat, Patrick Kanner n’est pas chaud non plus pour changer les règles à un an du scrutin, mais esquisse tout de même l’idée « d’une uniformisation des seuils pour se maintenir au second tour à toutes les élections, exception faite de la Présidentielle ». Pour rappel, aux élections municipales, seules les listes ayant rassemblé au moins 10 % des suffrages exprimés sont autorisées à se maintenir au second tour.
« Toucher aux institutions demande un débat sérieux »
« La République n’est pas une variable d’ajustement pour la majorité présidentielle. On ne touche pas comme ça à la va-vite au mode de scrutin pour échapper à des tourments électoraux », s’agace le président du groupe centriste, Hervé Marseille qui n’hésite pas à parler « de bidouillage ». « Toucher aux institutions demande un débat sérieux. En tant que centriste, je serais plutôt en faveur de la proportionnelle. C’est clair, lisible et simple mais ça demande à être débattu, car il y a différentes nuances dans la proportionnelle. Au plus fort reste ? à la plus forte moyenne ? » rappelle-t-il.
Autre piste soutenue de longue date par le président du Modem, François Bayrou, la proportionnelle par départements « permet une représentation large et un effet majoritaire assez fort », selon lui. Une réforme qui a également l’avantage de ne pas toucher aux circonscriptions. Au Sénat, André Vallini (PS) et Gérard Longuet (LR) ont récemment défendu la proportionnelle par départements dans une tribune publiée dans le JDD. Il faudrait faire plus de 5 % des suffrages exprimés pour avoir un siège. Un modèle simple, pour lequel une loi simple, votée rapidement par le Parlement, suffirait. Interrogé par publicsenat.fr, André Vallini reconnaît que la proposition de Jean-Louis Missika est « intellectuellement stimulante ». « Mais elle est compliquée et risque d’être mal comprise. Elle va être perçue comme une volonté de faire du bidouillage électoral car toutes les interprétations sont possibles. Certains vont dire que baisser le seuil favorisera le RN, d’autres que ça favorisera La France Insoumise, d’autres encore LREM. Je suis très sceptique sur les chances d’aboutissement d’une telle réforme qui ne permet pas de dégager une majorité à l’inverse de la proportionnelle par départements », juge-t-il.
« Les alliances auraient tendance à se faire après l’élection »
Quelle que soit la réforme envisagée, elle pourrait se faire « même à trois mois du scrutin » relève le sénateur LREM, Alain Richard, auteur en 2019, d’une proposition de loi visant à clarifier le droit électoral. Si son texte a pour but notamment de stabiliser le droit dans l’année qui précède le scrutin, « cela ne concerne que ce qui relève du pouvoir réglementaire comme par exemple les limites d’une circonscription », précise-t-il. Si un changement des règles du scrutin, comme le propose Jean-Louis Missika, est techniquement possible, Alain Richard se montre très réservé sur son opportunité. « Elle faciliterait un éclatement de la majorité. Les députés représenteraient un nombre plus faible d’électeurs, le système serait donc beaucoup moins représentatif. Un tel système handicaperait la gauche divisée qui aurait énormément de mal à l’inverse du RN et de LR à se maintenir au second tour. De plus, dans notre système actuel, l’entre-deux tours oblige les candidats à faire des alliances devant les électeurs que ce soit par des désistements ou des consignes de vote. Avec le système de Jean-Louis Missika, les alliances auraient tendance à se faire après l’élection », observe l’ancien ministre qui craint que l’abaissement du seuil pour se maintenir au second tour, comme la proportionnelle par départements « affaiblissent la gouvernabilité du pays par la victoire des groupes charnières qui négocieront des coalitions sur chaque texte ».
Enfin, au groupe LR du Sénat, on reste également attaché au mode de scrutin actuel. Interrogé par publicsent.fr en février dernier, François-Noël Buffet, président LR de la commission des lois était « convaincu que le scrutin uninominal à deux tours reste le garant du système démocratique et de l’ancrage territorial ».