L’État est-il repris par ses vieux démons ? Après deux années de nette diminution des dépenses engagées pour des missions de conseil extérieur, en 2022 et en 2023, celles-ci sont reparties à la hausse l’année dernière. C’est ce que nous apprennent des données inscrites dans une annexe au projet de loi de finances pour 2026, un « jaune » dans le jargon budgétaire, dont la remise annuelle s’est imposée à la suite des travaux d’enquête du Sénat.
Les dépenses pour des recours à des cabinets de conseil en 2024 ont augmenté de 31 %, pour atteindre 96,1 millions d’euros. L’année précédente, en 2023, les autorisations d’engagement pour ce type de dépenses s’étaient établies à 73,4 millions d’euros, en recul de 46,5 % sur un an. Cette statistique contrecarre l’ambition de modération des dépenses prévue par le gouvernement, qui souhaitait donner l’exemple. Selon Politico, le cabinet de Sébastien Lecornu compte saisir la mission dite « État efficace » pour qu’elle « analyse cette hausse et fasse des préconisations ».
En trois ans, les dépenses reculent de 65 %
L’enveloppe consacrée en 2024 à ces missions de conseil reste toutefois très loin du niveau record atteint en 2021, à savoir 271 millions d’euros selon les données de Bercy. En trois ans, les dépenses ont tout de même fondu de deux tiers. Le recours croissant à des cabinets extérieurs avait fortement progressé sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, et singulièrement durant la crise sanitaire. En mars 2022, à l’issue de six mois d’audition, une commission d’enquête au Sénat avait dénoncé un « phénomène tentaculaire et opaque ».
On se souvient, le sujet avait empoisonné en partie la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron, plusieurs semaines avant le scrutin du premier tour. Plusieurs opposants avaient attaqué le président sortant sur ce qui avait été surnommé « l’affaire McKinsey », du nom du cabinet de conseil américain. Les auditions parlementaires avaient mis au jour le coût vertigineux de certaines prestations.
Face aux révélations du travail de contrôle des parlementaires, le gouvernement avait pris les devants, en édictant de nouvelles règles de recours à des cabinets extérieurs. Selon une circulaire émise par le Premier ministre le 19 janvier 2022, les ministères doivent s’assurer que le recours à un prestataire externe est bien justifié, en vérifiant l’absence de disponibilités, de compétences ou de ressources internes, ou encore en s’interrogeant sur la bonne adéquation du prix. Le nouvel accord-cadre de la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP), conclu pour la période 2023-2027, et qui s’applique à tous les ministères (sauf celui des armées) a aussi concouru à maîtriser le montant des dépenses de conseil, mais aussi les règles de déontologie, de transparence et de mise en concurrence.
Hausse du montant moyen des commandes
Dans cette annexe budgétaire, le gouvernement précise que les engagements qui portent sur « la réalisation de prestations de conseil métier et d’études techniques métier expliquent à eux seuls plus de 90 % de la hausse constatée des engagements en 2024 par rapport à 2023 ».
La hausse globale des dépenses s’explique aussi par des missions aux coûts plus élevés sur un an. Le montant moyen d’une commande était de 23 222 euros en 2024, alors qu’il n’était que de 15 686 euros en 2023, mais 29 618 euros en 2022.
En 2024, les ministères « Écologie, développement et mobilité durables » (26,2 % du total des dépenses) et « Défense » (25,6 % du total des dépenses) ont représenté à eux seuls près de la moitié des dépenses de conseil. Ces deux ministères sont d’ailleurs en forte progression sur un an, les dépenses pour des prestations de consultants extérieurs du premier ont bondi de 64,5 %, et celles du ministère des Armées de 33,4 %.
S’agissant de la défense, une part importante de la progression s’explique par des contrats en conseil en stratégie et organisation, ainsi que des « études techniques métier y compris recherche et développement ». C’est également ce deuxième segment qui progresse au ministère de la Transition écologique, et dans une moindre mesure du conseil et de l’expertise juridique. La plus grosse mission, réalisée par l’entreprise Ixo, concerne une assistance technique relative aux ouvrages et structures en vue de la fin de plusieurs concessions d’autoroutes. Coût de l’opération : près de 800 000 euros.
Une progression notable dans les ministères de l’Agriculture et de la Santé
Outre les missions de conseil réalisées pour des politiques interministériels (qui progressent de 322 % à 5,9 millions d’euros), deux ministères voient leurs dépenses de conseil extérieur augmenter le plus, en pourcentage : l’agriculture avec des autorisations qui passent de 430 000 euros à 1,3 million d’euros, et la santé avec un passage de 65 000 euros à 204 000 euros.
Pour le ministère de l’Agriculture, la plus importante mission est une prestation d’assistance et de conseil à l’optimisation des baux immobiliers de l’Etat et de certains établissements publics de l’Etat. Pour la Santé, le plus gros contrat (607 000 euros), est un appui aux programmes et projets « de transformation du numérique en santé sur le périmètre médico-social ». Il s’agit aussi d’un « accompagnement au pilotage des travaux du Ségur numérique » dans le secteur médico-social.
Trois ministères enregistrent de fortes baisses, mais ils totalisent à eux trois 600 000 euros de dépenses, soit 0,6 % du volume global en dépenses de conseils de l’État en 2024. Celles du ministère du Travail fondent de 85,8 %, le recul atteint 70,1 % pour l’Enseignement supérieur et la recherche, et 66,8 % pour le ministère des Affaires étrangères.
À noter, selon le rapport, que l’objectif de réinternalisation des compétences en conseil s’est poursuivi en 2024. 20 équivalents temps plein (ETP) complémentaires ont été ouverts pour créer l’Agence de conseil interne de l’État, intégrée à la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP), visant un effectif de 55 ETPT fin 2024.
Parallèlement, la navette parlementaire sur la proposition de loi sénatoriale, née des recommandations de la commission d’enquête, est toujours au point mort. Adopté en deuxième lecture au Sénat en mai 2024, le texte est toujours en attente d’inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.