Les enseignants remontés contre « une provocation » et le « mépris » de Blanquer
Le ministère de l’Éducation publie aujourd’hui quatre circulaires très précises à destination des enseignants du primaire sur l’apprentissage des savoirs fondamentaux. Pour les syndicats, ces directives sonnent comme une défiance à l’égard des professeurs.

Les enseignants remontés contre « une provocation » et le « mépris » de Blanquer

Le ministère de l’Éducation publie aujourd’hui quatre circulaires très précises à destination des enseignants du primaire sur l’apprentissage des savoirs fondamentaux. Pour les syndicats, ces directives sonnent comme une défiance à l’égard des professeurs.
Public Sénat

Temps de lecture :

5 min

Publié le

Mis à jour le

C’est un guide de couleur orange, et de 130 pages, qui risque de faire beaucoup parler de lui dans les écoles de France. Le ministère de l’Éducation nationale vient de transmettre ce jeudi aux enseignants du primaire un guide « pour enseigner la lecture l’écriture aux CP ». Quatre circulaires, avec le même souci du détail, publiées dans le « Bulletin officiel », livrent des « recommandations » concernant l’apprentissage des savoirs fondamentaux : lecture, écriture, grammaire et orthographe, ou encore calcul. Face à ce qu’ils considèrent comme une menace sur la liberté pédagogique, les syndicats d’enseignants sont montés au créneau.

Dans un entretien au Parisien, le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer se défend de revenir aux « méthodes de la IIIe République ». Il précise que son intention est de « créer une référence commune » pour les enseignants.

Des séances quotidiennes de calcul et d’écriture

Fidèle à son credo, le ministre a dans son viseur l’acquisition des savoirs dits « fondamentaux », une réponse au décrochage des élèves français dans les enquêtes internationales. Fruit selon lui d’une « intelligence collective » et de « recherches les plus avancées », ce « cadre » national liste une série de préceptes et d’orientations à suivre pour le corps professoral. Le quotidien des écoliers sera désormais rythmé par plusieurs rendez-vous : une dictée, un quart d’heure de calcul mental et un quart d’heure d’exercices d’écriture.

Les notes recommandent aussi l’usage de comptines pour apprendre à compter, et la mémorisation de tables d’addition dès le CP. Toujours dans l’implantation d’une « référence » commune, le ministre préconise une « systématisation des manuels de lecture », et in fine « la fin progressive des photocopies ».

Concernant l’apprentissage de l’écriture cursive, le détail des directives est poussé jusqu’au choix des cahiers, qui devrait être limité au lignage Séyès (plus connu sous le terme de « gros carreaux »).

Chez les principaux syndicats d’enseignants, cette série de directives, et leur présentation par voie de presse, suscite une grande incompréhension.

« Il semble dire qu’aujourd’hui on fait un travail désordonné »

Certains passages de l’interview ne passent pas. « Quelques phrases relèvent davantage de la provocation que la volonté de construire la confiance, qui lui est si chère », réagit auprès de PublicSenat.fr Stéphane Crochet, secrétaire général du syndicat des enseignants Unsa. À commencer par cette déclaration du ministre : « La liberté pédagogique n’est pas l’anarchisme ». « En creux, il décrit une école qui n’est pas l’école vécue. Il semble dire qu’aujourd’hui, on fait un travail désordonné, non-pensé, un peu au grès des humeurs, que c’est l’anarchie dans nos écoles. C’est très mal vécu, c’est perçu comme insultant. »

Toujours sur la forme, Stéphane Crochet pointe un « texte personnel du ministre ». « Ces recommandations n’ont pas fait l’objet du circuit habituel, notamment d’un travail du Conseil supérieur de l’Éducation ».

La philosophie générale des textes fait l’unanimité contre elle, chez les trois principaux syndicats du premier degré. Le puissant SNUipp-FSU, premier dans la profession, dénonce dans un communiqué « la volonté du ministre de mettre au pas enseignantes et enseignants » et des documents qui susciteront « défiance et incompréhension ». « L’acte d’enseigner ne peut se résumer à des recettes simplistes […] On ne lutte pas contre l’échec scolaire en publiant des bréviaires », poursuit le syndicat.

Francette Popineau, cosecrétaire générale, va même jusqu’à dénoncer sur France Info une « forme de mépris » et un « excès d’orgueil » de la part de Jean-Michel Blanquer.

Même son de cloche à la CFDT, qui « conteste le principe même de ces circulaires qui nient l’expertise des personnels ».

« Populisme pédagogique »

« On fait comme si les enseignants étaient des reproducteurs de recettes, et pas des conceptions de leur séquence d’apprentissage », s’agace Stéphane Crochet.

Ancien président de l’association CRAP et des Cahiers Pédagogiques, Philippe Watrelot estime que la stratégie de Jean-Michel Blanquer tient du « populisme pédagogique ». « On joue clairement la carte des parents (et des grands-parents...) en ravivant de vieilles recettes datant d'une école nostalgique et fantasmée », écrit-il sur son blog.

Certains représentants s’étonnent aussi que le ministre réveille le débat sur la méthode d’apprentissage de la lecture. Dans son entretien, Jean-Michel Blanquer identifie la méthode syllabique comme la seule méthode « qui fonctionne », face à une méthode globale « qui ne marche pas ». « Il ne peut y avoir de compromis mixte », tranche-t-il. Les syndicats rappellent que l’apprentissage de la langue autour des syllabes est désormais très majoritaire. « Ce ne sont pas des nouveautés », appuie Stéphane Crochet. De manière plus large, il souligne que ces directives « comportent un certain nombre d'éléments intéressants mais qui sont déjà en œuvre ».

Pour le représentant de l’Unsa, « on ne peut avoir une approche identique dans toutes les classes ». Il prend un exemple. « L’approche de la lecture construite sur seul un manuel scolaire peut démobiliser un certain nombre d’élèves ».

Appelant les enseignants à « continuer d’appliquer les programmes », les syndicats pointent enfin le fait que la question de la formation des enseignants et celles des conditions de travail des élèves ne soient pas abordées.

Partager cet article

Dans la même thématique

Capture 2
3min

Politique

Cancers : l’Union européenne n’a pas « d’excuse pour ne rien faire »

Un sommet européen sur le Cancer doit se tenir à Bruxelles du 19 au 20 novembre. Il s’agit de la deuxième cause de mortalité sur le Vieux Continent. Chaque année, 2,6 millions de nouveaux cas sont diagnostiqués. Tabac, alcool, pesticides, polluants divers, nos modes de vie et conditions de travail sont en cause. Alors, comment endiguer le fléau du cancer dans l’Union européenne ? Pourquoi sommes-nous aussi touchés ? Ici l’Europe ouvre le débat avec les eurodéputés Laurent Castillo (PPE, France) et Tilly Metz (Verts, Luxembourg). L'UE n'a pas "d'excuse pour ne rien faire", estime cette dernière.

Le

Paris : session of questions to the government at the Senate
9min

Politique

Face à un « budget cryptosocialiste », la majorité sénatoriale veut « éradiquer tous les impôts » votés par les députés

Ils vont « nettoyer » le texte, le « décaper ». Les sénateurs de droite et du centre attendent de pied ferme le budget 2026 et le budget de la Sécu. Après avoir eu le sentiment d’être mis à l’écart des discussions, ils entendent prendre leur revanche, ou du moins défendre leur version du budget : plus d’économies et faire table rase des impôts votés par les députés.

Le

Marseille: Amine Kessaci candidate
4min

Politique

Assassinat du frère d’Amine Kessaci : le militant écologiste engagé contre le narcotrafic était « sous protection policière et exfiltré de Marseille depuis un mois »

Le petit frère d’Amine Kessaci, jeune militant écologiste marseillais, connu pour son combat contre le narcotrafic, a été tué par balles jeudi soir à Marseille. L’hypothèse d’un assassinat d’avertissement est privilégiée et pourrait faire basculer la France un peu plus vers ce qui définit les narco Etats. C’est ce que craignaient les sénateurs de la commission d’enquête sur le narcotrafic. Le sénateur écologiste de Marseille Guy Benarroche, proche d’Amine Kessaci a pu s’entretenir avec lui, ce matin.

Le

Les enseignants remontés contre « une provocation » et le « mépris » de Blanquer
2min

Politique

Assassinat du petit frère d’Amine Kessaci : revoir le documentaire sur le combat contre le narcotrafic du militant marseillais 

Mehdi, le petit frère d’Amine Kessaci, jeune militant écologiste marseillais, connu pour son combat contre le narcotrafic, a été tué par balles jeudi soir à Marseille. En 2020, c’est l’assassinat de son grand frère Brahim, qui avait conduit le jeune garçon à s’engager en politique. Son parcours est le sujet du documentaire « Marseille, des larmes au combat », Anaïs Merad, à revoir sur Public Sénat.

Le