C’était une disposition de la loi Santé de Marisol Touraine, votée sous François Hollande en 2016. La création des groupements hospitaliers de territoires (GHT). On en compte aujourd’hui 136, qui rassemblent au total 898 établissements. Une solution qui permet notamment de mutualiser des moyens entre hôpitaux. Et, sur le papier, un progrès pour les patients. « C’est une réforme majeure pour l’hôpital (…). Une réforme qui permettra de garantir à tous les patients un meilleur accès aux soins sur l’ensemble du territoire » vantait en 2016 Marisol Touraine. Aujourd’hui, on en est pourtant loin.
Le sénateur LR Alain Milon, qui vient de quitter ses fonctions de président de la commission des affaires sociales, avait demandé à la Cour des comptes une enquête sur le sujet. Le rapport qui en résulte a été présenté ce jeudi matin, devant les sénateurs. L’idée était de savoir si « les GHT étaient bien fondés sur un projet de santé, conformément à la loi, et s’ils contribuaient bien à une meilleure organisation de l’offre de soin » a expliqué Catherine Deroche, nouvelle présidente LR de la commission des affaires sociales.
Aucun impact sur l’offre de soins
Dès ses premiers mots, Denis Morin, président de la 6ème chambre de la Cour des comptes, qui était auditionné en même temps que son président, Pierre Moscovici, a voulu résumer l’état des lieux. « Pour aller droit au but : est-ce que les groupements hospitaliers de territoires ont été mis en place ? Oui. Ont-ils eu un impact sur l’offre de soin ? Non » tranche-t-il.
Si la réforme est encore jeune, le rapport de la Cour des comptes en tire pour le moment un constat d’échec. Denis Morin note « une forte hétérogénéité » entre GHT. 28 sont adossés à un CHU, alors que dans certains départements, comme « l’Yonne, la Seine-et-Marne, la Manche, il y a à l’évidence des GHT (…) qui fonctionnent autour d’établissements hospitaliers extrêmement fragiles et qui ne présentent pas la qualité de prise en charge que les citoyens sont en mesure d’attendre ». Ils « ne répondent pas au problème de l’offre » de soins, avec des difficultés de « capacités de prise en charge en moins de 30 minutes des AVC ou des problèmes cardiovasculaires ».
« Si rien ne bouge, on se dirige vers un échec »
Denis Morin pointe « une gouvernance complexe » liée à l’absence, sur le plan juridique, d’une personnalité morale pour les GHT, ou encore des processus de consultation « extrêmement longs ». Les GHT qui fonctionnent le mieux sont en revanche ceux qui « sont le mieux intégrés ».
Mais globalement, le président de la 6ème chambre constate qu’« il n’y a pas de correction des inégalités de santé » depuis la création des GHT. « Le sujet des déserts médicaux n’est toujours pas traité » ajoute Denis Morin. Et « il n’y a pas d’effet restructurant majeur lié à la mise en place des GHT »… Sur le plan de la coopération hospitalière, Morin en vient à affirmer : « Manifestement, si rien ne bouge, on se dirige vers un échec pour les GHT, comparable aux CTS », les conseils territoriaux de santé.
« Vous dites tout haut ce que peu de responsables politiques ont assumé : la création des GHT était essentiellement faite pour faire des économies »
Alain Milon, qui profite d’une liberté de parole retrouvée, en tant que simple sénateur, retient notamment du rapport le fait que « la plupart des GHT sont construits autour d’établissements supports qui sont fragiles ». Pour le sénateur LR du Vaucluse, « c’est probablement dû à l’hyper-administration et aussi à l’orthodoxie financière demandée à ces hôpitaux » qui les poussent à « faire des actes rentables, et pas le reste ». Alain Milon ajoute :
Cette orthodoxie financière à mis en danger l’existence même des hôpitaux (Alain Milon, sénateur LR)
Pour le sénateur, « l’urgence sanitaire a bon dos actuellement, mais elle est le reflet d’une insuffisance de l’offre de soins publique, consécutive de restrictions plus fortes depuis une dizaine d’années ».
Une fois n’est pas coutume, le constat du sénateur LR est partagé par la sénatrice PCF Laurence Cohen, qui dénonce les coupes budgétaires depuis longtemps. S’adressant à Denis Morin, elle dit : « Vous dites tout haut ce que peu de responsables politiques ont assumé. A savoir que la création des GHT était essentiellement faite pour faire des économies. Vous l’affirmez dans votre rapport. Et vous dites que les effets escomptés ne sont pas au rendez-vous » souligne la sénatrice communiste du Val-de-Marne, qui pointe cette recherche d’économies : « On ne doit pas seulement être guidé par cette boussole quand on parle de santé ».
Le président de la 6ème chambre de la Cour « réticent » à l’idée d’associer l’offre privée et publique
Catherine Deroche interroge pour sa part le magistrat de la Cour des comptes sur les possibilités de liens entre les GHT, qui dépendent du public, et les établissements privés et la médecine de ville. « On a vu pendant la crise sanitaire, combien la coopération entre public et privé était indispensable » ajout la sénatrice du groupe Union centriste, Elisabeth Doineau.
Sur ce point, Denis Morin dit avoir « toujours été réticent à dire qu’il faut associer l’offre privée aux GHT ». « Je ne suis pas certain qu’on puisse dans le même GHT associer systématiquement l’offre privée, dont la logique n’est pas tout à fait la même. (…) Il y a souvent une logique de grands groupes capitalistiques, qui n’ont pas grand-chose à voir avec les logiques territoriales et la prise en charge du secteur public » met en garde le président de la 6ème chambre.
Dans ses conclusions, le rapport « souligne que les GHT les plus efficaces sont les plus intégrées » explique Denis Morin, « nous plaidons pour une direction commune au sein des établissements des GHT ». La Cour des comptes encourage ainsi « l’intégration dans les GHT plutôt que la logique fédérative ».